Plus vite, plus loin et plus fort avec ISO 20022 : quelles perspectives pour 2024 et au-delà ?
Dans le premier volet intitulé « Plus vite, plus loin et plus fort avec ISO 20022 : les premiers enseignements clés d’une migration réussie », les experts Société Générale avaient fait part de leurs expériences et proposé leurs meilleurs conseils aux acteurs financiers devant encore effectuer le grand saut dans le prometteur royaume d’ISO 20022. Dans cette deuxième partie, nos experts reviennent sur l’état actuel de la migration des paiements à ISO 20022 dans le monde ainsi que sur les défis et les opportunités qui se présenteront à notre industrie dans les mois et les années à venir.
La route vers ISO est pavée de bonnes intentions
Les utilisateurs finaux ne doivent pas être en reste : le plus tôt ils basculeront eux aussi à un standard ISO comportant des données plus riches et mieux structurées, le plus tôt ils pourront bénéficier à leur tour d’expériences paiement « sans frictions », grâce à un moindre nombre d’erreurs, de réparation de messages de paiement et d’arrêts intempestifs des transferts pour des contrôles réglementaires approfondis.
ISO 20022 est en effet tout le contraire de « garbage in, garbage out » : c’est « quality in, quality out » ! Il est dans l’intérêt de tous les acteurs de la chaîne de paiement d’être en mesure de traiter des informations de qualité et correctement structurées. Cela passe déjà par un état des lieux précis sur les bases de données à disposition des uns et des autres. Car la granularité des données structurées permise par ISO pourrait ne pas être toujours disponible sur des systèmes legacy. Un chantier de remédiation des référentiels de certains applicatifs pourra dès lors se rendre nécessaire.
La possibilité de disposer de bases de données revisitées et améliorées pouvant contenir des données riches et structurées va s’avérer particulièrement importante si vous utilisez plusieurs infrastructures de marché pour traiter différentes devises. En effet, même si toutes les parties prenantes souhaitent tendre vers une interopérabilité maximale, la réalité est souvent bien différente. Bien que les besoins d’interopérabilité entre systèmes obligent à tendre vers la fixation de règles communes, quelques écarts mineurs peuvent subsister. Et l’application plus ou moins stricte des contrôles relatifs à ces règles, en fonction des infrastructures de marché, peut aboutir à des ruptures dans le traitement des paiements. Ralentissements, surcoûts… tout l’inverse de la raison d’être de la mise en place du nouveau format !
L’harmonisation maximale et globale souhaitée demandera encore du temps et des efforts ! Entre-temps, les tests vous permettront de déceler les problèmes en amont, de lancer des ateliers avec vos partenaires pour résoudre les éventuelles difficultés rencontrées. Et d’effectuer la conduite du changement la plus appropriée auprès de vos clients banques et utilisateurs finaux. Cette dernière est fondamentale : grâce à la bonne instruction de vos clients banques.
« La migration ISO peut devenir une formidable opportunité de faire évoluer de potentielles mauvaises habitudes prises avec les anciens formats de message ! Si tout le monde joue le jeu, les paiements seront beaucoup plus fluides et les taux de paiements non interrompus (« straight through processing ») vont s’améliorer au bénéfice de l’ensemble des acteurs de l’écosystème paiement. » Céline Riber, Responsable transformation paiement crossborder & change
Il est dès lors primordial de respecter la date limite de migration de novembre 2025. Tant que les anciens formats de message cohabiteront avec les nouveaux messages ISO, il y aura de la complexité à gérer au quotidien pour nos personnels des back et middle offices. Bien qu’ayant migré dès mars 2023, nous constatons que des ajustements s’avèrent nécessaires aujourd’hui encore. Des règles stabilisées tardivement et des adaptations de dernière minute ont pu mener à des remplissages non corrects des différentes balises ISO. Et le fait que différentes juridictions migrent à différents moments entraîne la nécessité d’effectuer des conversions entre messages en ancien format et en ISO, qui viennent ajouter une surcouche de complexité, encore plus marquée pour les banques intermédiaires.
L’aventure ISO ne fait que commencer
En fait, l’histoire ISO ne s’arrêtera pas en novembre 2025. La migration en cours est bien au contraire le point de départ de nouveaux développements visant à rendre nos paiements internationaux plus rapides, plus faciles à utiliser et plus efficaces.
L’industrie des paiements a déjà balisé sa feuille de route avec des travaux complémentaires, qui concerneront en particulier le traitement des relevés de compte, des Exceptions et Investigations (« E&I ») ainsi que des « autorisations RMA »1.
« L’industrie s’est focalisée sur la migration des messages de paiement, mais il reste du travail à effectuer sur les messages de relevés d’opération et de relevés de compte. »
Laurent Collinot, Chef de produit
Il s’agit d’un sujet de Place ; il manque une véritable harmonisation et une stratégie sur comment migrer ces messages à ISO 20022. Et disons-le franchement, la demande côté clients reste faible aujourd’hui. Le sujet n’est cependant pas trivial ; il ne se limite pas à un simple exercice de transcription. Il recèle des questions de taille car les messages « riches » en format ISO peuvent générer plusieurs messages en format legacy, d’où de potentielles problématiques de numéros de séquençage, de suivi et d’écriture dans les infrastructures de nos clients.
En ce qui concerne les Exceptions et Investigations, le projet de migrer vers des messages structurés d’ici à fin 2026 est ambitieux. Mais il peut révolutionner la façon de traiter des Back Offices en réduisant drastiquement le nombre de frictions sur les paiements. Les informations structurées permettront de rationaliser les systèmes de la banque en limitant les interventions humaines. L’orchestration orientera directement la demande à l’acteur approprié, sortant ainsi du circuit les acteurs qui y sont associés aujourd’hui sans qu’ils puissent apporter de valeur ajoutée. Gain de temps, efficacité opérationnelle. Nous saurons isoler et traiter différents cas d’usage en déclenchant des règles de fonctionnement. Ainsi, un acquittement d’une demande de retour de fonds pourra être généré automatiquement.
Enfin, la migration à ISO 20022 s’accompagne d’une nouvelle granularité pour les autorisations RMA, même pour celles qui existaient déjà avec les messages legacy. Il faudra désormais savoir gérer les RMA au niveau de « business profiles », qui englobent des ensembles de messages regroupés de façon cohérente pour une activité donnée, et non plus seulement au niveau de la catégorie de messages. Ce changement en profondeur est particulièrement sensible pour les Systèmes d’Information bancaires. Tous les types de message devront dès lors faire l’objet d’une attention RMA particulière. Ainsi, les relevés de compte seront soumis à autorisation RMA. Ce n’était pas le cas auparavant.
L’harmonisation ISO : pourvu que ça dure !
La migration des paiements et du reporting de cash management à ISO 20022 est une véritable opportunité pour l’industrie des paiements d’harmoniser ses formats de message (versions, variants, …) et surtout ses règles d’utilisation des messages. Le Groupe de travail sur les pratiques des infrastructures de marché HVPS+, composé de banques centrales et autres opérateurs de systèmes de paiement, de banques commerciales et de la coopérative interbancaire Swift, a donné un corps aux recommandations d’utilisation des messages (« usage guidelines »). Il peut encore y avoir quelques spécificités locales, mais l’ensemble est déjà très largement harmonisé.
Le groupe CBPR+ en a fait de même pour les besoins du Correspondent Banking. Et CBPR+1 et HVPS+2 ont travaillé activement à la synchronisation des versions ISO utilisées pour le Correspondent Banking et par les différentes infrastructures de marché.
Mais que faire pour éviter que tous ces efforts d’harmonisation ne volent en éclat après 2025 ?! Eh bien, il faut mettre en place un processus de maintenance et d’appropriation des nouvelles versions ISO 20022, qui embarqueront les nouveaux messages. HVPS+ et CBPR+ utilisent, à de rares exceptions près, une version de messages ISO datant de 2019.
Le nouveau processus d’évolution coordonnée va débuter cette année, en se calant sur les rythmes annuels de la maintenance des messages ISO 20022.
Il prévoit le recueil des demandes d’évolution (« change requests ») et la mise en place d’une étape de synchronisation dédiée à ces sujets entre les groupes chargés de la maintenance pour HVPS+ et CBPR+. Cette dernière aura la lourde tâche de favoriser un échange mutuel sur les impacts des évolutions à venir et de mettre à jour les guides d’utilisation. En cas de dissension entre les parties prenantes, un arbitrage sera organisé.
Bonne nouvelle, donc ! L’harmonisation maximale devrait se prolonger après 2025, en intégrant au fil de l’eau les nouvelles infrastructures de marché qui accepteront de monter à bord du vaisseau ISO.
Mais au fait, cette migration des messages de paiement à ISO 20022 : où en est-t-on aujourd’hui ?
A fin octobre 2023, l’adoption du nouveau standard était encore limitée. La coopérative interbancaire Swift estimait que seulement un cinquième des paiements cross-border avaient migré au format ISO 20022. Ce n’est pas une surprise en soi car ce sont bien les infrastructures de marché qui, migrant au fil de l’eau, vont conduire l’adoption. Elles ont jusqu’à novembre 2025 pour le faire, et certaines d’entre elles, pour des devises d’échange importantes au niveau mondial, s’apprêtent à franchir le pas : CHIPS et CHATS en 2024, ou bien encore Fedwire, qui a prévu de migrer au mois de mars 2025. A cette date, les experts de la coopérative interbancaire Swift estiment qu’entre 80% et 90% des paiements de correspondance bancaire, tant en volume qu’en capitaux, s’échangeront au format ISO 20022.
« Rome ne s'est pas faite en un jour. Des projets d'infrastructure aussi importants au niveau mondial ne peuvent pas être achevés en quelques semaines ni quelques mois. »
Frantz Teissèdre, Responsable des Affaires Publiques, Cash Clearing Services
Il est dès lors essentiel que l’ensemble des acteurs restent concentrés sur le respect de la date de fin de la migration à ISO 20022 des messages de paiement et de reporting de novembre 2025 afin que toutes les parties prenantes puissent en tirer le meilleur. Les autorités paiement du G20 ont en effet défini une feuille de route très ambitieuse à fin 2027 en termes de vitesse, de moindres coûts, de plus grande transparence et accessibilité des paiements internationaux.
Les données riches et structurées d’ISO 20022 constitueront une brique fondamentale de l’industrie des paiements pour atteindre ces objectifs.
1Les autorisations dites de Relationship Management Application (RMA) permettent aux institutions financières qui s'échangent des données de contrôler leurs échanges. Elles permettent à un utilisateur Swift de s’assurer que le message qu’il s’apprête à envoyer sera accepté par son correspondant.
2Swift, ainsi que les principales banques et infrastructures de marché au niveau mondial, ont formé le groupe de travail sur les pratiques de marché HVPS+. Alors que les normes ISO 20022 sont en constante évolution, des bonnes pratiques de stabilité pour les paiements dits ”high value” ont été publiées, et l'industrie dispose désormais d'une feuille de route pour son harmonisation. High Value Payments Plus (HVPS+) – the next stage step towards ISO 20022 Harmonisation | Swift
3Cross-border payments and reporting plus (CBPR+) est un groupe de travail d’experts en paiements dont la mission est de créer des lignes directrices mondiales sur les pratiques commerciales et la mise en œuvre d’ISO 20022 afin d’assurer un déploiement et une mise en œuvre harmonisés par les banques.