La MLETR : après le Big Bang, un socle sur lequel bâtir la digitalisation du commerce international
En 2014, il fallait compter 34 jours entre la cueillette d’une rose au Kenya et sa vente chez les fleuristes européens. Et sur ces 34 jours, 10 étaient uniquement liés au traitement documentaire…
Avec pas moins de 30 personnes ou organisations impliquées et 200 interactions dans le cadre de ce processus, ces chiffres illustrent bien la complexité et les inefficacités d’un commerce international encore trop faiblement digitalisé. Heureusement, la MLETR1, publiée en 2017, porte la promesse d’un « big bang » numérique pour tout le secteur. Mais, même si le Covid a contribué à multiplier les initiatives, son déploiement prend du temps, car chaque pays doit mettre à jour son corps de loi. Charge maintenant à tous les acteurs de l’industrie d’œuvrer ensemble pour faciliter et accélérer cette adoption.
Depuis 2014 et l’étude conjointe de Maersk et IBM sur les roses kenyanes, les choses ont finalement assez peu changé. Récemment, dans son livre blanc “Défis et opportunités de la digitalisation du commerce international”, la Chambre de commerce internationale (ICC) estimait par exemple que moins de 1,5% des quelques 4 milliards de documents créés chaque année dans le cadre du commerce international sont digitalisés ! Chaque opération documentaire transfrontière nécessite encore en moyenne 36 documents et 240 copies…
Vers une digitalisation de bout-en-bout
Adoptée en 2017 par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), la MLETR, pour “Model Law on Electronic Transferable Records” (Loi type sur les documents transférables électroniques) a pourtant marqué un progrès majeur pour le commerce international. En reconnaissant sur le plan légal les documents électroniques (connaissements, lettres de change, billets à ordre, récépissés d’entrepôt, garanties internationales, lettres de crédit stand-by, etc.) tant au niveau national qu’international, elle a enfin ouvert la porte à une véritable digitalisation des opérations, de bout-en-bout.
Mais plus qu’un « Big Bang » qui changerait tout du jour au lendemain, ce texte représente surtout une fondation sur laquelle construire la digitalisation de tout le secteur. C’est un « enabler » de la transformation, qui, grâce à la définition de standards communs, va permettre à tous les acteurs de la chaîne de valeur – physique, financière ou documentaire - du commerce international de transformer leurs modes de fonctionnement pour gagner en efficacité opérationnelle.
À l’heure actuelle, la plupart des étapes du commerce international reposent toujours sur des documents papiers, souvent pour des raisons juridiques, car, sauf rares exceptions2, seuls les documents physiques font encore loi. L’adoption progressive de la MLETR va changer cet état de fait.
Partout, les choses progressent, et accélèrent même sous l’effet du Covid
Cinq ans après sa publication la MLETR est adoptée par 6 pays (dont Singapour) et 7 juridictions3. Elle est enfin devenue une priorité dans des pays majeurs du commerce international, comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou plus récemment la France qui, sous l’impulsion notamment de ICC et Paris-Europlace, ambitionne d’adopter la MLETR avant la fin de l’année 2022.
Néanmoins, malgré toutes ces avancées, la MLETR se heurte toujours à de nombreux obstacles, dont la nécessité d’obtenir l’adhésion de tous les acteurs de la chaîne de valeur : exportateurs et importateurs, banques, assureurs, transporteurs, Etats - dont les douanes, les administrations et le droit.
Pour faciliter et accélérer cette adoption, tous les acteurs de l’industrie se doivent d’œuvrer de concert. Il semble désormais acquis que l’enjeu n’est pas technique : il est avant tout culturel et humain - avec encore des freins, notamment juridiques, à lever.
De nouvelles formes de coopérations à imaginer
L’accélération du déploiement de la MLETR à l’échelle mondiale va nécessiter un changement d’état d’esprit. Tous les acteurs du Trade Finance vont devoir travailler différemment, de façon coordonnée, concertée, au moyen notamment de standards, de solutions et de technologies communs.
Les startups de la fintech, en particulier, auront un rôle à jouer pour connecter entre eux les mondes de la logistique, du transport, du commerce et de la finance. Un rôle déterminant, en particulier pendant la phase de transition où cohabiteront pendant plusieurs années les acteurs ayant adopté la MLETR, et les autres.
Une des clés de l’adoption rapide de la MLETR tiendra donc dans la capacité des différents acteurs à coopérer d’une nouvelle manière, que ce soit à l’échelle des institutions - ICC, OMC, OMD, Etats - afin de faire évoluer les législations et les pratiques de tous les acteurs de l’écosystème afin de s’accorder sur des standards communs. Ce sont ces standards communs qui permettront l’accélération massive de la digitalisation de tout le secteur.
La coopération, même si elle est difficile à mettre en place, est indispensable si nous voulons rendre l'accès au commerce international plus facile, plus efficace et moins coûteux, et ainsi attirer à nouveau des acteurs - et des talents – séduits par un nouvel écosystème résolument moderne, digital, profitable et à la hauteur, enfin, des enjeux.
Par Marie-Laure Gastellu et Christian Cazenove
1Le MLETR se compose de 19 articles suivis d'une note explicative ''qui fournit des informations de base pour aider les Etats à mettre en œuvre ses dispositions et pour offrir des conseils aux autres utilisateurs du texte''.
Cf. https://uncitral.un.org/sites/uncitral.un.org/files/media-documents/uncitral/en/mletr_ebook_e.pdf
2 Club deals encadrés par des rules-books
3 https://uncitral.un.org/en/texts/ecommerce/modellaw/electronic_transferable_records/status