Japon : A l’aube d’une nouvelle ère au pays du soleil levant ?
Après plus de 30 ans, le Japon attire de nouveau l’attention des investisseurs internationaux.
Dans un monde fragilisé, la troisième économie mondiale jouit d’une croissance économique solide et les entreprises japonaises génèrent des bénéfices substantiels. La déflation semble avoir été vaincue et les esprits animaux se réveillent : fin novembre, le marché boursier a atteint son plus haut niveau depuis 33 ans, dépassant le pic atteint lors de la bulle des années 1980.
Un certain scepticisme demeure, bien sûr, et à juste titre. Les velléités de renouveau précédentes ont tourné court, tout comme les rendements positifs et l’enthousiasme des investisseurs. Mais, cette fois, la situation est différente, estime Tsutomu Saito, Responsable des stratégies multi-actifs au sein de Société Générale Securities Japan Limited : « Il me semble que le changement est réel cette fois-ci. Un nouveau Japon émerge alors que l’inflation est de retour et que les réformes structurelles s’accélèrent. »
Il me semble que le changement est réel cette fois-ci. Un nouveau Japon émerge alors que l’inflation est de retour et que les réformes structurelles s’accélèrent.
Ce dernier argument est l’une des principales raisons de l’optimisme ambiant. En s’appuyant sur les efforts des précédentes administrations, le gouvernement de l’actuel Premier ministre Fumio Kishida a décoché la « troisième flèche » de l’Abenomie, la politique économique lancée par le défunt Premier ministre Shinzo Abe. Outre le maintien d’une politique monétaire accommodante et la prise répétée de mesures de relance budgétaire, le gouvernement s’attaque enfin à certaines rigidités structurelles du pays.
Une action axée sur le marché du travail et la transition énergétique
L’aspect le plus marquant de cette politique est le marché du travail. Encourager l’emploi des travailleurs âgés et des femmes et revoir un système de rémunération et de promotion basé sur l’ancienneté ont permis de faire grimper le taux de participation au marché du travail des 15-64 ans à 81,6 % au mois de septembre, un niveau jamais encore atteint. Dans le même temps, l’augmentation des salaires mensuels moyens a atteint 3 % en début d’année et reste positive. Ceci a nettement contribué à mettre fin à la chute des prix qui touchait le pays depuis des années. Cette tendance est étayée par un ratio de 1,3 offre d’emploi par candidat. Paradoxalement, les enjeux démographiques du Japon, au cœur de bien des débats nationaux, contribuent au retour de l’inflation dans l’économie.
Le gouvernement s’attaque également à la transition énergétique avec vigueur, et met des fonds sur la table. "Green Transformation » ou « GX », sa politique de transformation verte, prévoit, sur les dix prochaines années, 150 000 milliards de yens (1 000 milliards de dollars) de fonds publics et privés dédiés à l’accélération des efforts nationaux en matière de décarbonation. Si l’ambition de ce programme semble loin d’atteindre celle de la loi américaine sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) ou de l’initiative européenne REPowerEU, Tsutomu Saito souligne toutefois que le Japon subventionne aussi largement le renforcement de la sécurité énergétique et la création de chaînes d’approvisionnement vertes à travers tout le pays.
Les mesures de relance de la politique GX du Japon sont donc, par habitant, plus importantes que ce que le chiffre officiel semble suggérer. En outre, le pays est un leader du développement de technologies propres de pointe. Il met notamment l’accent sur l’hydrogène et l’ammoniac comme carburants mais aussi comme vecteurs de stockage, ainsi que sur le captage du carbone.
Encourager l’investissement
Au-delà de ces deux politiques phares, le gouvernement étoffe son régime d’épargne exonéré d’impôt, NISA (Nippon Individual Savings Account), en janvier. L’objectif est d’encourager les particuliers à investir une plus grande partie de leur immense épargne, sous forme d’actions. Il a également lancé des initiatives pour attirer les gestionnaires d’actifs internationaux et numériser une administration toujours très adepte du papier.
Des réformes de fond s’accélèrent également. Le code de gouvernance d’entreprise promulgué par Shinzo Abe il y a près d’une décennie a été renforcé. En effet, les récentes règles mises en place par la Bourse japonaise exigent que les sociétés cotées augmentent leur cours/valeur comptable au-dessus de un, faute de quoi elles seront rétrogradées à un niveau inférieur du marché boursier.
Cela a suscité une vague de rachats d’actions. Les dirigeants ont ainsi débloqué les importantes liquidités accumulées pendant la pandémie. 2022 a atteint un nouveau record avec 9 400 milliards de yens et, déjà plus de 8 800 milliards sont annoncés à ce jour pour l’année 2023. Les entreprises ont également, enfin, augmenté régulièrement les salaires afin d’attirer et de fidéliser les talents. Elles ont également réalloué le capital et les effectifs des activités moins rentables.
Le Japon ne connaîtra pas le même volume de spin-offs et de ventes au capital-investissement que celui des pays occidentaux, et ce, en partie pour des raisons culturelles, mais aussi du fait de la complexité et des coûts liés à la modification des contrats de travail et aux licenciements. Curieusement, Tsutomu Saito affirme que METI, le ministère de l’Industrie, envisage de réduire le poids fiscal et administratif qui bloque ces restructurations.
Pendant ce temps, les jeunes font déjà d’autres choix. Pour les diplômés de Todai, la plus prestigieuse université de Tokyo, un emploi au sein d’un ministère ou d’une grande multinationale ne fait plus vraiment rêver. Ils préfèrent créer leur propre entreprise dans le sillage de leurs recherches universitaires, devenir ingénieurs logiciels, travailler dans les biotechnologies ou au sein d’entreprises du secteur environnemental. Il ne faut pas sous-estimer cette mutation dans un pays aussi traditionnel et socialement conservateur que le Japon.
Retour de l’appétit pour le risque
Tsutomu Saito note que, malgré sa réputation, le retour de l’appétit pour le risque a stimulé la croissance économique nationale lors de la génération précédente. Cette tendance s’appuie sur les désirs d’entrepreneuriat des jeunes travailleurs, l’augmentation de l’investissement privé et de la productivité des entreprises, et sur le retour progressif de la confiance des consommateurs. « La croissance des salaires est véritablement primordiale pour redonner confiance aux consommateurs », dit-il. « Et cela permet à chacun de faire face à la hausse des prix. Tant que la qualité s’améliore, les Japonais sont prêts à payer un peu plus cher. »
Pour les investisseurs internationaux, il s’agit de savoir si tous ces facteurs sont déjà pris en compte dans la valorisation des entreprises, compte tenu de la hausse d’environ 30 % du cours des actions japonaises survenue cette année. Cela n’est absolument pas le cas, plaide Tsutomu Saito. Si une reprise nationale est réellement en cours, les revenus des entreprises devraient continuer à augmenter de manière saine sur plusieurs années. Dans le même temps, le potentiel d’investissement reste large, si on tient compte de la décote du Japon par rapport aux États-Unis, et de l’amélioration de la qualité des revenus des entreprises qui sont de plus en plus favorables aux actionnaires. Tout au long de son histoire, le Japon a su se transformer. Le pays semble bien poursuivre son renouveau.