Dans la course aux subventions vertes, les entreprises du secteur de l’énergie commencent à réagir

09/10/2023

Par Brendon Moran, Co-Directeur UK Corporate Coverage & Senior Banker

La délocalisation de décideurs clés pourrait bien être le signe que l’attention de l’industrie des énergies renouvelables se déplace de l’Europe vers les Etats-Unis. Quelques-uns s’installent sur la côte est des États-Unis, d’autres sur des plaques tournantes comme Houston, d’autres sur la côte ouest. Certes, ce flux de personnes et de capital intellectuel outre-Atlantique est actuellement faible, mais dans un an ou deux, il pourrait bien être exponentiel.

Le catalyseur est la loi sur la réduction de l’inflation (IRA), qui a été adoptée en août 2022 dans le but déclaré de réduire les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis de 40 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Cependant, l’objectif non déclaré de la législation semble non seulement d’encourager une expansion massive de la production d’énergie renouvelable, mais aussi de dominer la technologie, la propriété intellectuelle, l’innovation et les chaînes d’approvisionnement des énergies propres à l’échelle mondiale. Cette démarche ressemble beaucoup à ce que les États-Unis ont réalisé à la fin des années 90 et au début des années 2000 dans le secteur de la technologie et du numérique.

Avec un package complexe de 369 milliards de dollars américains de crédits d’impôt, de prêts et de subventions sur 10 ans, la loi transforme les données financières des projets de transition énergétique et des entreprises associées. Prenons l’exemple de l’énergie solaire et de l’éolien. Bien qu’il n’y ait pas deux projets identiques, la quantité de capital nécessaire pour ces projets a fait baisser le rendement des capitaux propres de 5 à 10 %. Dans ce contexte, les nouvelles incitations américaines peuvent améliorer considérablement le profil de revenus et de rendement d’un projet, tandis que les coûts restent les mêmes.

Ces mesures incitatives s’appliquent non seulement aux technologies renouvelables plus matures que sont l’énergie éolienne et l’énergie solaire, mais aussi aux nouveaux domaines du captage et du stockage du carbone ainsi que de l’hydrogène. L’administration américaine souhaitant éviter de dépendre de fournisseurs tels que les fabricants européens de pales de turbines ou les fabricants chinois des panneaux solaires, ces projets comprennent également la chaîne d’approvisionnement.
Le président Biden suit finalement l’exemple de l’administration Clinton dans les années 1990, lorsque l’avancée américaine en termes de technologie commençait à s’éroder. Le président Clinton a introduit un programme de crédits d’impôt ciblés et de dépenses de recherche, le reste est de l’histoire ancienne. Les États-Unis ont depuis établi un leadership clair dans l’industrie technologique mondiale, avec des entreprises comme Microsoft, Apple et Google.

Mise au défi de répondre à l’IRA, l’Union Européenne a introduit en mars de cette année les lois Net-Zero Industry et Critical Raw Material, qui visent à rationaliser les programmes d’aides et de subventions existants mais n’offrent pas de nouveaux fonds, laissant aux États membres la possibilité de mettre en place des mesures d’incitations publiques temporaires.
De même, le plan REPowerEU introduit une myriade de réponses politiques pour lutter contre le changement climatique et sevrer le continent de l’énergie russe. Cependant, reste à démontrer des résultats tangibles.  

En ce qui concerne le Royaume-Uni, on a beaucoup parlé d’une « révolution industrielle verte » et du Ten Point Plan annoncé par le gouvernement de Boris Johnson en 2022. Bien que certains progrès aient été réalisés dans des domaines tels que la mobilité et l’amélioration de l’efficacité énergétique, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. À la fois pour atteindre les objectifs fixés et la fenêtre de mise en œuvre se rétrécit si l’on veut atteindre les objectifs de carboneutralité. 

En fin de compte, il y a un contraste entre la carotte financière côté États-Unis et le bâton politique du côté de l’Union Européenne pour encourager le développement de l’énergie propre. Depuis 2005, l’UE a limité les droits des sociétés à émettre du CO2, leur permettant par contre de les échanger dans le cadre de son Emissions Trading Scheme (système d’échange des émissions). Cela a bien fonctionné et est considéré comme un moteur de réduction d’émissions en Europe. Mais l’IRA change la donne parce qu’elle incite les entreprises du secteur de l’énergie à agir sur une courte période de 10 ans (ou jusqu’à épuisement des subventions). L’IRA donne également la possibilité non seulement d’obtenir un rendement élevé du capital, mais aussi d’accélérer le déploiement de la production d’énergie propre et, surtout, d’investir dans les chaînes d’approvisionnement pour assurer la transition énergétique.

Bien que les Etats-Unis soient loin derrière l’Europe en termes de production d’énergie à faible émission de carbone, ils ont manifestement pour objectif de rattraper rapidement leur retard.  L’Union Européenne a produit 38 % de son électricité à partir de l’éolien, de l’énergie solaire, de l’hydroélectricité et de la bioénergie en 2022, 22% aux États-Unis, selon le Global Electricity Review 2023 publié par Ember, un groupe de réflexion sur l’énergie. Il faudra d’énormes investissements pour que les États-Unis égalent l’UE.

Signe de ce qui se projette à l’avenir, de nombreux projets d’éoliennes offshore sont en cours d’accélération sur la côte atlantique américaine, tels que : Empire Wind (816 MW), Atlantic Shores (1,5 GW) et Ocean Wind 1 et 2 (2,2 MW combinés). De même, un grand nombre de projets solaires sont en cours de développement dans 48 États, et bon nombre d’entre eux sont à l’affût des possibilités offertes par l’éolien en mer sur la côte du Pacifique. Société Générale a déjà conclu deux transactions en 2023, et plusieurs autres sont en cours. Notamment, dans le domaine clé de l’éolien offshore, de nombreux développeurs sont européens, dont EDF, Shell, BP, Equinor, ENGIE et EDP Renewables.

Les incitations de l’IRA se répercutent également sur les chaînes d’approvisionnement. Au cours des 20 dernières années, l’Europe et, plus récemment, la Chine, ont construit et établi des chaînes d’approvisionnement – dans des domaines tels que les pales d’éoliennes pour l’Europe et dans les batteries et les panneaux solaires pour la Chine. Mais en 2022, le ministère américain de l’Énergie a publié « America’s Strategy to Secure the Supply Chain for a Robust Clean Energy Transition ». Ce document présente des dizaines de stratégies essentielles pour bâtir une base industrielle nationale sûre, résiliente et diversifiée dans le secteur de l’énergie, avec l’objectif clair d’établir les États-Unis en tant que leader mondial de la fabrication et de l’innovation en matière d’énergie propre.

Les entreprises du secteur de l’énergie nous disent qu’elles se tournent rapidement vers les États-Unis alors qu’elles cherchent à travers le monde la meilleure façon de déployer des ressources et des capitaux limités pour fournir de l’énergie renouvelable. Ce faisant, ces entreprises commencent à envoyer des ressources là-bas de telle manière que cela défie non seulement l’industrie européenne de l’énergie propre, mais aussi l’industrie en Asie et en particulier en Chine. Nous l’observons également au vu du nombre croissant de demandes que nous recevons chez Société Générale concernant la bancabilité et le financement de projets en Amérique du Nord.

L’UE et le Royaume-Uni sont maintenant sous pression pour réagir – comme en témoigne le fait que l’IRA est un point spécifique à l’ordre du jour du président français Emmanuel Macron, du chancelier allemand Olaf Sholtz et du premier ministre britannique Rishi Sunak lors de leurs récentes visites à Washington au cours des six derniers mois.

Cependant, on a l’impression que les États-Unis ont un véritable avantage lorsqu’il s’agit de proposer des incitations fortes. La réponse de l’UE est susceptible de prendre du temps et de se prolonger car l’UE n’a pas le même pouvoir et la même force de frappe que le gouvernement fédéral américain. En effet, la politique énergétique et les incitations fiscales par le biais de taxation restent en grande partie à la main des États nationaux. Par ailleurs, l’obtention des accords nécessaires pour assouplir la politique ou les règles de subvention dans les 27 États membres pourrait prendre du temps. 

Le Royaume-Uni quant à lui pourrait trouver plus de souplesse pour réagir dans un environnement post-Brexit. Il faudrait pour cela traduire plus rapidement le « Ten Point Plan » en mesures concrètes. Toutefois, la capacité d’agir rapidement pourrait être limitée par le double dilemme du Royaume-Uni - à savoir : existe-t-il une marge de manœuvre budgétaire suffisante et la bande passante disponible pour le gouvernement compte tenu des pressions économiques et d’une élection probable avant fin 2024 ?

L’histoire finira par juger qui domine l’arène de l’énergie propre alors que l’objectif de carboneutralité approche à grands pas d’ici 2050. Cependant, si le déplacement géographique des décideurs clés, le capital intellectuel et le nombre de projets est un indicateur – les vainqueurs pourraient à nouveau se situer outre-Atlantique.
 

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