Paiement instantané transfrontalier : les banques aux défis de la liquidité et de la maîtrise de la fraude

09/04/2025

Dans un monde où les paiements deviennent de plus en plus rapides et interconnectés, les banques doivent s’adapter pour relever les défis afin d’améliorer l’existant et ainsi répondre aux attentes croissantes des clients finaux en leur offrant une expérience utilisateur optimale.

En matière de paiement, qu’il soit domestique ou transfrontalier, les attentes des usagers sont les mêmes : plus d’instantanéité, de transparence, et des coûts moindres. Or, l’exécution d’un paiement cross-border est autrement plus complexe que celle d’un paiement domestique. Si des améliorations ont été apportées avec le Tracker Swift GPI, il reste des axes de progrès notamment sur la rapidité entre le moment où la banque reçoit le paiement et celui où elle le crédite au bénéficiaire. Développer le paiement instantané localement en autorisant les paiements transfrontaliers à être débouclés en « instant » permettrait de résoudre cet écueil en facilitant le traitement sur les dernières étapes de la transaction.

C’est dans ce contexte que, depuis le 9 janvier 2025, la Commission européenne impose aux prestataires de services de paiement européens (PSP) - dont les banques européennes - la réception des virements instantanés en euro. En tant qu’acteur participant et très impliqué dans les groupes de travail européens sur ce sujet depuis 2018, Société Générale propose à ses banques-clientes un système de sous participation qui leur permet de bénéficier de sa connexion directe et ainsi d’accueillir ces paiements. Chaque intégration de banque sous-participante constitue un projet transverse de grande ampleur, nécessitant d’importants moyens humains, techniques et financiers. Ceci explique le retard constaté dans le déploiement du paiement instantané en réception auprès de l’ensemble des banques européennes conformément à la réglementation, sachant que les acteurs bancaires ont mené en parallèle différentes transformations structurantes, comme la migration des messages de paiement transfrontaliers à la norme ISO 20022. L’implémentation prend aussi plusieurs mois, mobilise différentes expertises et nécessite des tests afin d’identifier et corriger les incidents à l’origine de rejets. En matière de paiement, le diable étant dans le détail, il est impératif d’affiner les processus. D’autant qu’en zone SEPA, le paiement instantané est délivré en 10 secondes. Les pouvoirs publics en ont fait un cheval de bataille, car s’ajoute en Europe un enjeu de souveraineté, le paiement instantané apparaissant comme une alternative au règlement par carte.

Optimiser la gestion de la liquidité

Si accélérer les paiements instantanés cross-border et assurer leur exécution en 24/7 présentent des avantages pour les utilisateurs, cela n’est pas sans conséquences en termes de gestion de la liquidité pour les banques. Cela suppose d’en disposer suffisamment pour pouvoir honorer les règlements à tout moment. Et ce, alors que les seuils des paiements instantanés ne cessent d’augmenter - 10 millions de dollars aux États-Unis -, voire supprimés en Europe. Deux réflexions se posent. La première porte sur la capacité des PSP à s’approvisionner en liquidité en cas de besoin urgent quand les systèmes de règlement RTGS (real-time gross settlement) opérés par les banques centrales sont fermés le week-end, une partie de la nuit et les jours fériés. La seconde est d’ordre économique et consiste pour les banques à bloquer des montants soit sur des comptes de banque centrale non rémunérés dédiés aux paiements instantanés, soit sur des comptes en banque centrale rémunérés mais auxquels la banque ne peut accéder comme bon lui semble, d’où un risque de réputation si elle se trouvait potentiellement dans l’impossibilité de régler immédiatement les paiements instantanés de ses clients à un moment donné.

Pour limiter les conséquences sur la liquidité et mieux gérer les risques, la banque a la possibilité d’ajuster sa politique de risque en fixant par exemple des plafonds de montant au paiement instantané par client. Le paiement instantané n’en sera pas pour autant défavorisé par rapport à un paiement standard. Une autre solution serait d’élargir les horaires et les jours d’ouverture des systèmes de règlement des banques centrales, à l’image du Fedwire aux États-Unis. L’Eurosystème, qui regroupe les banques centrales de la zone euro, et la Banque d’Angleterre prévoient une consultation sur le sujet respectivement en avril et au second semestre.

Mais mettre de la liquidité sur les paiements instantanés fragmente davantage les réserves de liquidité de la banque. Par ailleurs, en étant en 24/7, à quel moment sont figées les positions pour effectuer les rapprochements comptables ? Sans oublier que les paiements instantanés transfrontaliers sont confrontés à des contraintes de fuseaux horaires. De même, lorsque le système tourne en continu, il ne « respire » jamais. Or, la banque doit pouvoir disposer de temps pour ajuster les soldes, les mettre à jour, et figer la comptabilité. Cela implique de devoir dupliquer les systèmes informatiques et les outils de gestion afin de sécuriser la continuité d’activité, ce qui est très coûteux. 

Mieux appréhender la fraude

Selon Nasdaq Verizon, la fraude aux paiements est estimée à 500 milliards de dollars par an dans le monde. Un coût qui pèse sur les agents économiques. Une fraude qui n’est pas liée au paiement instantané mais plus globalement à la digitalisation des économies et à l’émergences d’acteurs non régulés. L’interconnexion des systèmes ouverts en 24/7 et la rapidité d’exécution créent des opportunités pour les fraudeurs. Or, le paiement instantané implique d’opérer dans un cadre sécurisé. Il est primordial que les outils continuent d’évoluer afin d’empêcher les fraudes. À ce titre, avec sa capacité de traitement des données, l’intelligence artificielle permet de mieux gérer les risques de fraude en renforçant l’efficacité des systèmes et d’anticiper les besoins de liquidité. 

Au-delà des enjeux techniques, il y a aussi des enjeux de responsabilité. Aujourd’hui, les paiements peuvent être initiés par des utilisateurs finaux via des banques, mais aussi au moyen de texto, d‘appels téléphoniques et des plateformes de réseaux sociaux. Chaque acteur de la chaîne a des obligations vis à vis des clients. À titre d’exemple, en Australie, les banques sont sommées de mettre en œuvre des systèmes de vérification du bénéficiaire. Cela sera rendu obligatoire en Europe en octobre 2025 avec le déploiement de la verification of payee (VOP). La législation australienne impose aussi aux sociétés de télécommunication de vérifier, d’intercepter et de fermer les lignes sur lesquelles elles voient passer des sms et appels frauduleux. Il en est de même pour les réseaux sociaux qui doivent bloquer les sites illégaux. Le poids de la fraude n’est plus supporté uniquement par l’utilisateur final mais par l’ensemble de la chaîne des acteurs du paiement, en fonction de leurs responsabilités. Et en cas de manquement à leurs obligations, ils devront rembourser les clients et encourent jusqu’à un équivalent de 30 millions d’euros d’amende.

Si aujourd’hui 90 % des paiements cross-border utilisant les mécanismes de correspondance bancaire sont crédités à la banque du bénéficiaire en moins d’une heure - au-delà de l’objectif de 75 % fixé par le G20 à horizon 2027 - le développement des paiements instantanés transfrontaliers passe, pour l’ensemble des parties prenantes, par la résolution des écueils sur la liquidité et la maîtrise de la fraude.

 

Isabelle Poussigues, Head of Products and Network Management, Cash Clearing, Global Transaction & Payment Services, Societe Generale

Frantz Teissèdre Head of Public Affairs, Cash Clearing, Global Transaction & Payment Services, Societe Generale 

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