Les Marchés Carbone Volontaires

22/11/2022

3 questions à Deborah Amsellem, experte en conseil ESG au sein des activités de marché de Société Générale

Suite à notre participation à la consultation sur le marché carbone volontaire, organisée par l'Integrity Council for the Voluntary Carbon Markets, nous échangeons avec l'une de nos expertes internes sur les défis à relever et les opportunités offertes par ce marché en développement. 

1. En quoi consiste le marché carbone volontaire et en quoi diffère-t-il des taxes carbone ou d'autres systèmes réglementaires ?

Les marchés du carbone désignent les systèmes d'échange dans lesquels les crédits carbone sont achetés et vendus, tout comme d'autres formes d'instruments financiers sont négociés. Ici, les sous jacents échangés sont des crédits carbone, dont chacun représente une tonne métrique d'équivalent CO2. 

Il existe deux grands types de marchés du carbone : les marchés réglementés et les marchés volontaires.

Les marchés carbone réglementés, également appelés systèmes d'échange de quotas d'émission (ETS), répondent à des exigences politiques ou réglementaires au plan national, régional ou international. Il s'agit essentiellement de places de marché sur lesquelles un certain nombre de crédits carbone sont attribués par entreprise et par an pour leur permettre d'émettre la quantité équivalente de carbone ou de vendre leurs crédits lorsque leurs émissions sont inférieures à leur quota. Les participants du marché, qui comprennent souvent des émetteurs et des intermédiaires financiers, peuvent échanger des quotas pour réaliser un bénéfice sur les crédits inutilisés ou pour satisfaire aux exigences réglementaires. Une trentaine de systèmes d'échange de quotas d'émission ont déjà été mis en place dans 38 juridictions nationales et de nombreux autres pays et États envisagent de les adopter. 

Les marchés carbone volontaires traitent de l'émission, l'achat et la vente de crédits carbone sur une base volontaire. Dans ce cas, les crédits carbone volontaires sont émis à travers la certification de projets de contribution carbone axés sur la nature ou la technologie et visant à réduire ou séquestrer les émissions de GES... Par exemple, des projets de séquestration visent à capturer directement les émissions dans l’atmosphère par le développement et l’entretien de “puits de carbone” qui peuvent être naturels (e.g. forêts) ou industriels (e.g. captage direct de CO2). Les crédits sont émis une fois constatée les bénéfices de ces projets sur les émissions et peuvent ensuite être vendus à des entreprises, des institutions financières ou des particuliers pour soutenir leurs engagements de réduction des émissions grâce au retrait de la circulation de crédits carbone volontaires. Ce marché n'est ni introduit, ni imposé par la loi, mais autogéré.

L’éveil suscité lors de la COP26 en 2021 concernant la réalisation des objectifs de l'Accord de Paris d'ici 2050 a créé une forte dynamique autour des marchés carbone et a considérablement renforcé le profil du marché carbone volontaire. 

En 2021, les transactions sur les marchés carbone volontaires ont presque quadruplé la valeur de l'année précédente pour atteindre 2 milliards USD. Même si ce chiffre reste bien inférieur à la valeur mondiale du marché carbone réglementé, qui s'élevait à 850 milliards USD en 2021, nous pensons que de plus en plus d'entreprises s'efforceront de respecter leurs engagements en matière de décarbonation, ce qui participera au développement du marché carbone volontaire. Ainsi, le prix des crédits volontaires devrait augmenter et favoriser un marché secondaire plus actif. Nous estimons que la taille du marché volontaire du carbone pourrait atteindre environ 2,5 milliards de tonnes en 2030 (source : Taskforce on scaling voluntary carbon markets et Trove Research)pour une valeur de marché correspondante de quelque 100 milliards USD.      

2. Quels sont les principaux obstacles au développement de ce marché et comment les lever ?

Les marchés carbone volontaires (MCV) sont relativement récents et sont confrontés à un certain nombre de défis. D'une part, ils manquent de liquidité compte tenu de l’hétérogénéité des crédits en termes de qualité, de transparence des prix et de méthodes de certification, ce qui créé notamment des difficultés d’appréciation réelle de leur valeur. D’autre part, on constate aussi un manque d'accès aux financements par les développeurs de projets en raison de l'opacité du marché et du faible appétit pour le risque des investisseurs. En outre, les devoppeurs de projets n'ont pas la capacité de structurer une commercialisation efficace de leurs crédits auprès d'acheteurs multiples. 

Ces obstacles posent la question de l'encadrement de ce marché et du manque de standardisation qui y prévaut. Si certains y voient des écueils difficilement surmontables, pour d’autres, ils sont davantage liés à un marché relativement récent. Bien qu'elles ne soient pas exhaustives et qu'elles restent purement prescriptives à ce stade à la lumière de nos propres opinions, certaines mesures peuvent être utiles pour faire de ce marché un écosystème fiable et sûr :

• Définir des caractéristiques communes pour les crédits carbone : les acheteurs et les détenteurs de crédits interagiraient plus efficacement si tous les crédits avaient des caractéristiques communes, notamment des critères de qualité et des attributs normalisés.
• Uniformiser les contrats avec des termes standardisés : faciliter la négociabilité des crédits carbone par des attributs standards  permettrait de consolider les échanges et de promouvoir la liquidité sur les plateformes de marchés. Le recours à des contrats standardisés permet généralement de faciliter les transactions pour des volumes importants.  
• Améliorer les infrastructures de négociation et post-négociation, y compris les chambres de compensation.
• Mettre en place des mécanismes de protection de l'intégrité du marché : établir un processus digital, à l'appui de la Blockchain par exemple, via lequel les projets sont enregistrés et les crédits vérifiés et émis, ce qui résout le problème de la double comptabilisation. C'est un point important pour légitimer le marché. 
• Attirer les investisseurs institutionnels : à l'heure actuelle, les investisseurs institutionnels ne sont pas très présents sur le marché carbone volontaire en raison de l'insuffisance de la liquidité et du manque de transparence des prix.

Enfin, conscient de l'importance du marché carbone volontaire dans la transition vers la neutralité carbone en tant que dernière étape nécessaire pour compenser les émissions non absorbables, l'ensemble du secteur travaille de concert à ces initiatives sur la gouvernance et pour le  développement du marché, nécessaires pour garantir un passage à l’échelle réussi. Je ne mentionnerai que celle qui nous réunit pour cet échange : l'Integrity Council for the Voluntary Carbon Market ou le Conseil de l'intégrité du marché carbone volontaire. Comme nous l'avons mentionné plus haut, la standardisation est essentielle et c'est exactement ce à quoi travaille ce groupe d'experts, composé de douze experts des marchés du carbone, au travers de ses principes fondamentaux du carbone. L'objectif est d'établir de nouveaux standards pour des crédits carbone de qualité supérieure, qui serviront de socle aux besoins de financement accrus et au processus de fixation des prix. Société Générale a récemment formalisé sa participation à cette initiative qui est soutenue par plus de 250 institutions membres de tous horizons, dont une grande partie de nos pairs.

En prime, les mesures et initiatives mentionnées plus haut contribueraient également à réduire le risque d'écoblanchiment grâce à la définition d'une norme de qualité  communément reconnue. 

3. Quelle est l'activité de Société Générale sur le marché volontaire du carbone et quelles pourraient être les opportunités ?

Fidèle à sa volonté de positionnement en tant que banque responsable et chef de file de la finance durable, Société Générale s'efforce constamment de trouver des solutions innovantes pour soutenir la transformation positive de nos clients et de la société au sens large. Sans ignorer les nombreuses questions soulevées par cette nouvelle réalité, le marché carbone volontaire offre une opportunité d'impact et d'accompagnement de nos clients dans leur propre transformation. 

Nos capacités dans ce domaine évolueront au fur et à mesure de la maturation de ces marchés. Actuellement, notre division activités de marché propose deux types de solutions. Du côté des produits structurés, notre offre comprend une solution destinée aux clients particuliers et institutionnels, dans lesquels une fraction du montant notionnel collecté contribue à acheter des crédits carbone volontaires et à les retirer de la circulation. Pour ce qui concerne la compensation, nous offrons des services de compensation pour des contrats à terme sur les crédits carbone volontaires négociés sur le CME et l'ICE.

En parallèle des opportunités du marché carbone volontaire, nous continuons à conseiller et soutenir nos clients sur l'utilisation des crédits carbone dans le cadre de leurs stratégies, ainsi que sur d'autres tactiques pour réduire leurs émissions globales. Citons par exemple des actions directes visant à éviter les émissions grâce à des améliorations opérationnelles, et des solutions d'investissement et de financement durables et à impact positif.