Construction de l’UE : comment créer un marché des paiements intégré pour l’Europe

08/06/2022

À bien des égards, l’Union européenne, portée par une monnaie commune, est un grand projet politique visant à favoriser la paix et la stabilité. À d’autres égards, il s’agit d’un projet éminemment pratique, visant à doper la compétitivité de l’industrie européenne sur un marché mondial de plus en plus difficile.

L’un des éléments de base nécessaires pour y parvenir est d’instaurer un secteur des paiements intégré, compétitif et fluide à travers toute l’Europe.

Cela permettrait de réduire les coûts de transaction, de faciliter les flux financiers, de promouvoir l’innovation et, à terme, de contribuer à réduire le coût du capital pour les entreprises européennes, explique Alexandre Maymat, Responsable de Global Transaction and Payment Services chez Société Générale. C’est un objectif louable. 

Pourtant, plus de 20 ans après l’introduction de l’euro, le secteur européen des paiements reste fragmenté, les acteurs et leurs régulateurs - ainsi que les responsables politiques qui les soutiennent - opérant et réfléchissant encore trop souvent sur la base de critères nationaux. Les sanctions imposées aujourd’hui à la Russie en réponse à son invasion de l’Ukraine en sont un bon exemple. Bien qu’elles aient été déterminées au niveau européen, leur mise en œuvre par les banques et les institutions financières est régie par les régulateurs nationaux, avec des différences entre les divers pays membres.

Autre exemple, les réglementations en matière de lutte contre la fraude ou les listes de personnes considérées comme des terroristes potentiels ne sont pas les mêmes dans les différents pays européens. Ce manque de coordination s’applique même à un succès manifeste : l’Espace unique de paiements en euros baptisé SEPA, créé en 2014 pour permettre des paiements transfrontaliers homogènes sans espèces en euros. En réalité, la plupart des pays conservent des spécificités qui compliquent son utilisation par les particuliers et les entreprises, ainsi que les transferts par les réseaux bancaires. 

Et cette « subsidiarité » a un prix. Compte tenu des énormes coûts fixes liés à la mise en œuvre, à l’entretien et à la mise à jour des plateformes de paiement, leurs opérateurs ont besoin d’importants volumes pour générer des bénéfices et des fonds à réinvestir. Mais tandis que les États-Unis disposent d’un système informatique national pour les paiements instantanés, l’Union Européenne, malgré une taille similaire, répartit les transactions sur une douzaine de plateformes distinctes. Et 8 ans après la mise en œuvre du SEPA, nous disposons toujours de 20 systèmes différents dans toute l’Europe pour la gestion des virements et prélèvements SEPA. Alors, il faut imaginer le coût que cela représente de les actualiser ou pour qu’une Banque européenne se connecte à chacun d’eux pour opérer ses flux de transactions auprès de ses clients !

L’une des clés pour améliorer cette situation se trouve à Bruxelles. Les régulateurs doivent s’assurer que les réglementations sont appliquées de la même manière à l’ensemble des acteurs, selon le « principe très sain de même activité, mêmes risques, mêmes règles et même vérification rigoureuse de l’application des règles », précise M. Maymat. « Dans un monde de plus en plus fragmenté, c’est la seule façon de garantir le haut niveau de conformité que l’Europe s’est fixé à juste titre. »

Toutefois, le secteur porte également sa part de responsabilité. Le fait que le secteur bancaire européen soit plus fragmenté que son homologue américain n’est qu’un fait, dû aux obstacles politiques élevés vis-à-vis des fusions transfrontalières. Mais cela ne doit pas servir d’excuse aux banques européennes pour se concentrer essentiellement sur les franchises nationales et pour ignorer les nouvelles idées et les nouvelles technologies.

Elles devraient plutôt mettre en commun les différentes couches de leurs plateformes de paiement en vue de réduire les coûts tout en en améliorant la résilience. C’est ce que Société Générale fait en partenariat avec La Banque Postale en partageant notamment le traitement des paiements par carte et des paiements des entreprises en France.

Les banques doivent également coopérer plutôt que se faire concurrence afin de capitaliser sur le savoir-faire de chacun, de partager les investissements et les coûts de fonctionnement et d’accélérer la mise à disposition de nouveaux services pour les clients. La forte limitation, à ce jour, de l’Initiative européenne pour les paiements (EPI), censée réunir plus de 30 établissements de crédit au sein d’une solution paneuropéenne unifiée de paiements par carte et de compte à compte, n’est pas un bon signe.

Par-dessus tout, les banques traditionnelles doivent apprendre à collaborer avec de nouveaux acteurs - comme Worldpay, Stripe et PayPal - qui, autrement, menacent de les désintermédier. L’essor récent des fusions entre ces fintechs, ainsi que leurs capitalisations boursières faramineuses sont un indicateur clair de la façon dont les investisseurs voient la valeur évoluer dans le secteur des paiements. Le partenariat conclu en 2021 entre Société Générale et Kyriba, une fintech qui externalise les fonctions de gestion de trésorerie pour les petites et moyennes entreprises, pourrait être source de grandes avancées. 

Les paiements numériques représentent un autre défi majeur pour le secteur. Ils se développent fortement dans la mesure où ils offrent simplicité, transparence et une disponibilité totale, d’autant plus que tous les paiements devraient bientôt être numériques en Europe. Mais plus le niveau de digitalisation du paiement s’accroît, moins on trouve d’opérateurs européens le proposant. Nous n’avons pas d’acteur paneuropéen majeur pour opérer des paiements transfrontaliers par carte, et aucun acteur paneuropéen n’est actuellement en concurrence avec Paypal en Europe. 

Dans le même temps, les clients sont - à juste titre - préoccupés par la quantité de données qu’ils partagent et qui y a accès. Il n’est pas exagéré de dire que lorsque vous gérez les données de paiement d’une personne, vous connaissez tout de sa vie, comme le souligne M. Maymat. Partager ces informations avec quelqu’un en qui vous n’avez pas confiance peut avoir un impact énorme. Est-ce vraiment raisonnable, d’un point de vue européen, de permettre à de grands acteurs non européens d’avoir accès à toutes ces données ? 

En résumé, nous avons besoin d’une réglementation homogène et d’une collaboration accrue entre les banques et les fintechs, ainsi que d’un effort en faveur de la digitalisation. Cela permettra au secteur, dirigé par les banques, de poursuivre ses investissements importants en faveur d’un univers des paiements plus simple, plus sécurisé et plus transparent.

Il s’agit d’une condition préalable évidente pour permettre le développement d’acteurs de paiement paneuropéens solides, capables d’être compétitifs à l’échelle mondiale et de nous offrir, de manière sécurisée, une expérience client plus homogène dans toute l’Europe.