Le besoin de vitesse

25/07/2022

Comment les trésoriers tirent le meilleur parti des paiements instantanés

Partant du principe que la vitesse est un besoin commun à tous, la thématique des paiements instantanés fait l’objet d’une large couverture. Est-ce vraiment le cas des trésoriers, et si oui, en quoi et dans quels  cas ces paiements sont-ils adaptés ? TMI s’est entretenu avec Louis-David Rouyer, Directeur Adjoint réseau international Payments et Cash Management, Société Générale, sur le rythme des avancées et l’impact plus large des paiements en temps réel. 

Le concept de paiement instantané est assez simple à saisir :  il s’agit de vitesse dans l’exécution des paiements. Cette dernière constitue pour la plupart des utilisateurs un avantage indéniable, mais, dans un contexte de trésorerie, la vitesse doit s’accompagner d’un traitement sécurisé et intelligent, explique M. Rouyer. Sur le plan technique, cela implique le recours aux technologies d’IA sur les aspects de lutte contre la fraude, d’une plus grande capacité de prévision, de suivi et de tracking. Comme le souligne Louis-David Rouyer, pour les entreprises, les objectifs plus larges, rendus réalisables grâce au paiement instantané ont multiplié le nombre de paradigmes à prendre en compte désormais. Il ne s’agit pas seulement d’optimiser les canaux de communication interne et externe pour assurer une vision globale ou garantir l’accessibilité et l’acuité des informations. Selon lui, l’objectif est de faire émerger une volonté collective de passer au traitement des paiements en temps réel, puis de prendre des mesures audacieuses pour faire en sorte que l’intérêt du paiement instantané soit évident pour toutes les parties prenantes. Dans un contexte où les coûts, la concurrence accrue, les incertitudes sur les marchés mondiaux, la menace persistante de fraude et de cybercriminalité et l’évolution de la réglementation persistent, les trésoriers sont contraints de revoir régulièrement leurs priorités pour un suivi efficace de leurs positions de trésorerie et de liquidité, explique M. Rouyer. 

Croissance rapide

Bien qu’il s’agisse d’un terrain idéal pour l’essor du temps réel, « le fait est qu’environ 10 % seulement des trésoriers d’entreprise disposent de solutions  abouties permettant un accès en temps réel des liquidités, la majorité étant au mieux en mesure d’anticiper les besoins en trésorerie et liquidités à trois ou quatre semaines au maximum ». Comme le souligne toutefois M. Rouyer, l’adoption de systèmes nationaux de paiements instantanés s’intensifie rapidement. Société Générale figure parmi les « pionniers en matière de paiements instantanés », favorisant très tôt l’adoption de ces solutions par l’ensemble de ses clients (particuliers et entreprises) dans le cadre d’un parcours initié dès 2019 avec un déploiement dans ses franchises d’Europe de l’Ouest. Bien que l’adoption des paiements instantanés au niveau des entreprises « varie sensiblement selon les secteurs », Louis-David Rouyer affirme que leurs avantages mettent plutôt tout le monde d’accord. « L’intérêt le plus évident de ces solutions est qu’elles permettent d’envoyer et de recevoir des paiements en euros à n’importe quel moment et d’où qu’on soit », explique-t-il. « Les fonds sont crédités sur le compte du destinataire en quelques secondes, 24h/24, 7j/7, 365 jours par an, et peuvent être utilisés immédiatement. Ceci permet d’améliorer la visibilité des flux de trésorerie, d’être réglé plus rapidement, donc de réduire les retards de paiement et de préserver l’utilisation de ses lignes de crédit voire potentiellement d’augmenter les ventes et gagner en profitabilité. » Avec l’extension des infrastructures dédiées aux paiements instantanés, Société Générale a commencé à voir par-delà le programme européen de virement instantané SEPA (SCT Inst). Ceci favorise l’émergence de nouveaux « produits instantanés » comme le SEPA Request to pay (SRtP). Le SRtP permet d’adresser de nombreux cas d’usages dont le règlement de factures, le e-commerce, les paiements en points de vente ou d’interaction, le recouvrement de créances, les paiements récurrents ou en plusieurs fois ou encore les paiements de taxes ou de cotisations. « Si le cas d’usage requiert de l’instantanéité, alors le paiement instantané sera tout indiqué », précise M. Rouyer. « Ce peut être le cas, par exemple, pour les achats à distance ou le recouvrement de créances. Le paiement instantané permet un encaissement immédiat et irrévocable des fonds et, contrairement au paiement par carte, n’est pas limité par un plafond. » Le paiement instantané associé au SRtP facilite également les rapprochements car c’est le fournisseur qui initie le paiement, en ajoutant les références qu’il retrouvera en fin de chaîne sur son relevé de compte. Ajoutons que le caractère irrévocable aura pour avantage d’améliorer la prévisibilité des flux de trésorerie  comparativement au prélèvement automatique. Toutefois, compte tenu de l’irrévocabilité du paiement, les payeurs devront être rassurés sur la possibilité de pouvoir exercer un recours en cas de litige. L’existence de cette possibilité devra être mise en avant dans l’approche pédagogique vis-à-vis des clients pour favoriser l’adoption de ce moyen de paiement, explique M. Rouyer. 


Derniers obstacles  

Certains facteurs peuvent influer sur une meilleure adoption des solutions de paiement instantané.  L’atteignabilité est un enjeu clé. À l’heure actuelle, l’adoption par les banques de SEPA Inst n’est pas obligatoire, et toutes ne l’utilisent donc pas, note M. Rouyer. La Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE) cherchent à promouvoir un système paneuropéen efficace et  plus largement répandu. L’UE a déjà lancé des consultations publiques auprès des parties prenantes et décidera si une action coordonnée et/ou des mesures de politique de l’UE se justifient pour faire en sorte que le nombre de PSP de l’UE qui proposent les virements instantanés atteigne une masse critique. La prévention et la détection de la fraude et la lutte contre le blanchiment d’argent ont également une influence majeure sur l’adoption de ces solutions. Les référentiels  conformité et sanctions et les réglementations en matière de lutte contre la fraude peuvent varier d’un pays à l’autre, voire entre banques d’un même pays. Cela ajoute de la complexité. Si l’IA peut contribuer à y remédier, seule une harmonisation des règles permettra de créer l’environnement de paiement unique souhaité. Autre problème : la convertibilité des paiements instantanés transfrontaliers. Le SEPA étant un mécanisme libellé en euros, les conversions en temps réel des transactions SEPA Inst ne sont pas réalisables par toutes les banques, bien que le règlement instantané interdevises soit un sujet d’intérêt au niveau de la BCE. La limite de 100 000 € par transaction est également une contrainte qui doit être levée pour intéresser les entreprises. A l’instar du Royaume-Uni,  où le plafond est fixé à un million de livres sterling, des extensions de plafond paneuropéen sont anticipées au fur et à mesure de l’adoption croissante de la solution, souligne M. Rouyer. 


Transformation


L’enrichissement des données permis grâce au déploiement de SWIFT gpi et à la migration imminente des messages SWIFT MT vers les formats MX/ISO 20022 sont de nature à stimuler l’intérêt pour les paiements instantané.  L’utilisation des API se normalisant de plus en plus dans le domaine de la gestion de trésorerie, son intérêt va aller en s’intensifiant, estime M. Rouyer. Décrivant les API comme une « révolution technologique qui peut permettre aux trésoriers d’entreprise de gagner en agilité et en flexibilité », il note qu’elles « figurent parmi les thèmes prioritaires des trésoriers ». En effet, il estime que les API favorisent l’open banking, la digitalisation et les progrès vers une « société cashless ». Avec un paysage technologique devenu plus concurrentiel, les trésoriers ont la possibilité d’exiger (et les banques de fournir) des informations à la demande en temps réel, telles que pour les relevés et soldes de comptes ou les avis de notification de statut des opérations. Ces données peuvent être transmises directement au TMS ou à l’ERP, même pour les entreprises multi bancarisées. Bien entendu, disposer de données globales 24h/24 et 7j/7 en temps réel permet d’améliorer les capacités de prévision à l’échelle de l’entreprise. Plus la visibilité sur la trésorerie et les liquidités est grande, plus l’accès à un fonds de roulement financièrement plus intéressant sera simplifié. L’effet, souligne M. Rouyer, est remarquable, et, combiné à l’automatisation des processus, « met les trésoriers en position de prendre des décisions plus stratégiques et plus efficaces en matière de gestion de trésorerie ». Une visibilité accrue et un meilleur monitoring sont des prérequis indispensables pour gérer une trésorerie dans un environnement évoluant parfois de manière effrénée et où l’incertitude est devenue une constante, affirme M. Rouyer. Les paiements instantanés permettent de suivre en temps réel les flux de trésorerie et d’optimiser le fonds de roulement. Mais ils permettent également de mutualiser les ressources de trésorerie disponibles et de favoriser la construction de positions prévisionnelles plus solides,  déterminant pour apprécier le niveau de financement externe encore nécessaire. Tout cela est possible « avec la souplesse nécessaire pour répondre aux changements rapides », note Louis-David Rouyer. En effet, l’étendue des possibilités rendues envisageables grâce à instantanéité est telle qu’elle peut faire basculer la trésorerie d’un rôle opérationnel à un rôle stratégique.


Les pierres angulaires du temps réel

Avec la montée en puissance des systèmes de paiements en temps réel à l’échelle mondiale, depuis l’offre de paiements transfrontaliers SWIFT à la multiplication des systèmes nationaux, dont l’émergence et l’évolution rapide « incitent les trésoriers à adapter leurs processus à un nouvel horizon de travail », note M. Rouyer. « Et ce n’est que le début, cela va concerner beaucoup d’entreprises de manière assez large. » Un élément clé pour le décollage de ce concept, sont les reportings en temps réel à l’échelle de l’entreprise. M. Rouyer affirme que le potentiel des paiements instantanés ne pourra être pleinement exploité que si les reportings en temps réel sont également disponibles, ajoutant que ces deux éléments s’alimenteront même mutuellement. Avec la mise en place d’API, les données sont disponibles à la demande et l’intégration avec un TMS ou un ERP rend possible les flux en temps réel tout au long du processus de trésorerie. La standardisation est une autre condition préalable à une utilisation optimale, et éventuellement à l’émergence de nouvelles utilisations. Le processus est en cours, souligne M. Rouyer. Au travers de sa participation active à de nombreux groupes de travail interbancaires, Société Générale contribue activement à l’élaboration et à la définition de cadrages permettant l’émergence de nouvelles approches. Cette approche, dit-il, se retrouve dans tout ce que la banque met en place pour favoriser le passage au digital de ses clients. En effet, indique M. Rouyer, les banques se doivent de procéder à un bond technique et technologique afin de pouvoir fournir des services en temps réel à leurs clients . « Avec l’évolution des mentalités, les plateformes traditionnelles sont remplacées par des plateformes numériques de bout en bout, c’est pourquoi nous investissons massivement dans les technologies pour offrir à nos clients entreprise une expérience de paiement en temps réel comparable à celle qu’ils peuvent expérimenter en tant que consommateurs », déclare-t-il. « Ce faisant, nous permettons la confirmation et la disponibilité immédiate des fonds, le règlement définitif et des échanges de données plus rapides. » Pour permettre à ses clients de profiter au mieux des avantages du paiement instantané (plus rapide, plus simple, plus sûr), Société Générale s’est associée à Fintecture, un établissement de paiement agréé, pour offrir le RtP en France. La banque travaille également avec Kyriba et d’autres fournisseurs de TMS pour permettre une intégration plus poussée des API et l’automatisation des processus qui sont des objectifs clés. Des authentifications uniques sécurisées (single sign-ons) ont été mises en place pour la plateforme multiservices BtoB de Société Générale, SG Markets. La solution de signature électronique DocuSign a par ailleurs été intégrée. Par ailleurs, Société Générale a travaillé sur le déploiement de l’offre de comptes virtuels, aidant ainsi les clients à rationaliser la structure de leurs comptes bancaires. Sur les aspects sécuritaires, la banque s’est associée avec Trustpair,  spécialisé dans le contrôle des données de paiement et la lutte contre la fraude au virement pour proposer via l’intégration à l’environnement technique des clients, une solution d’automatisation du contrôle des coordonnées.

Construire l’avenir 

L’accès instantané à des données précises concernant les positions de trésorerie est une condition préalable à la planification des liquidités en temps réel, à l’élaboration de prévisions et in fine à la gestion dynamique des liquidités, explique M. Rouyer. En mettant en place les infrastructures nécessaires à l’émergence d’une trésorerie en temps réel, Société Générale axe sa démarche sur la centralisation de la trésorerie en temps réel qui est désormais à portée de main grâce aux solutions de comptes virtuels et de centralisation de trésorerie en temps réel, toutes deux personnalisables pour s’adapter au mieux à la structure opérationnelle des clients. Les comptes virtuels permettent une centralisation instantanée des liquidités tout en garantissant une visibilité et une accessibilité totales et immédiates. Avec la comptabilisation des paiements et des encaissements sur un compte principal « réel », la structure virtuelle évite les transferts physiques de fonds. Les solutions de cash pooling basées sur des API et en temps réel permettront des nivellements intrajournaliers, automatisés si nécessaire, dont le fonctionnement pourra être basé sur des schémas établis ou personnalisé en fonction des impératifs et de la trajectoire voulue. Cela permet de gérer en temps réel les positions de liquidité et de les utiliser de manière plus optimale. « En créant un environnement en temps réel où les paiements peuvent être effectués et reçus 24h/24 et 7j/7, les équipes en charge de la trésorerie peuvent accompagner et suivre de près et de manière plus proactive les liquidités à l’échelle globale et soutenir la capacité de l’organisation à prendre des décisions en temps réel », commente M. Rouyer. Ces éléments sont la base d’une planification des liquidités et de prévisions plus dynamiques, dans la mesure où elles peuvent être ajustées en fonction des remontées en temps réel d’information relatives aux paiements.  Tout événement ou perturbation pourra donc faire l’objet d’un ajustement agile et immédiat. Les prévisions de flux de trésorerie pourraient encore être affinées avec l’adoption d’outils IA/ML, ce qui améliorera de manière continue la qualité des prévisions. Grâce à ce degré d’accès à l’information, M. Rouyer estime que les fonctions trésoreries des entreprises seront plus à même d’aller au-delà de leur fonction traditionnelle et ainsi se concentrer sur l’optimisation de leur surplus au travers notamment d’outils leur permettant de placer cet excédent en fonction de règles préétablies. Ces impératifs sont au cœur du programme Liquidity Management System (LMS) de Société Générale. Comme l’explique M. Rouyer, ce programme permettra de proposer du cash pooling en temps réel et « s’accompagnera d’un éventail de fonctionnalités permettant au trésorier d’accéder à une gestion entièrement automatisée des liquidités, même dans un environnement multiple (comptes, entités, devises, zones géographiques et banques) ». 
 

Préparer le changement 


Le passage aux paiements instantanés peut nécessiter un changement culturel, prévient M. Rouyer. « Les trésoriers doivent envisager de nouveaux business models », explique-t-il. « Ils devront  considérer les différentes étapes d’adaptation nécessaires pour tirer parti des avantages du paiement instantané, mais il n’y a pas de solution unique, et ils doivent comprendre que  l’opportunité que cela pourra représenter peut varier en fonction d’éléments tels que la structure organisationnelle, le secteur d’activité ou la zone géographique. » Dans le cadre de ce changement, plutôt que de gérer quotidiennement les positions de trésorerie et risque, M. Rouyer estime que celles-ci devront devenir des activités dynamiques, en veillant au moins à ce que le soldes des comptes soit à niveau pour faire face aux paiements. À cette fin, il suggère aux trésoriers de calibrer avec leur banque le niveau d’autorisation journalière afin de garantir l’exécution des transactions et de gagner en souplesse. Même si l’équipe trésorerie ne recourt pas aux paiements en temps réel, elle n’en doit pas moins gérer l’environnement 24h/24, 7j/7 créé par les encaissements en temps réel. Les autres fonctions de l’entreprise devront également être sensibilisées à ce nouvel horizon que représente le temps réel, ceci, afin d’en tirer pleinement profit. « Ainsi, dès réception de fonds sur un compte, l’opération peut faire l’objet d’un rapprochement immédiat et s’afficher instantanément sur le compte client. Les équipes commerciales qui bénéficient d’une visibilité immédiate sur la réception des fonds et sur l’imputation vers le compte client peuvent ainsi agir en fonction le cas échéant », indique M. Rouyer. « Les paiements peuvent être effectués automatiquement et reçus au moment précis de leur échéance, le système peut également être utilisé pour calculer quand une remise de paiement anticipé sera la plus avantageuse. » L’environnement en temps réel modifie également potentiellement les modalités de calcul des intérêts. Historiquement, ceux-ci sont calculés sur les soldes comptabilisés en fin de journée. « Avec  le passage au temps réel, ils pourraient se calculer sur une échelle de temps plus réduite, sur un certain nombre d’heures par exemple », suggère M. Rouyer. « Ceci a des impacts sur l’approche à avoir concernant la prévision de trésorerie au quotidien et verra peut-être par exemple l’utilisation d’une ‘ligne d’autorisation de découvert journalière’ devenir une pratique courante . » Avec les ajustements et adaptations à prévoir dans le cadre de la gestion de trésorerie en temps réel, cela pourrait même créer de nouveaux emplois, selon M. Rouyer. Celui-ci suggère que la fonction de responsable des liquidités devient de plus en plus une évidence à mesure que, sous l’influence des technologies en temps réel, les activités de trésorerie se dirigent vers une nouvelle sphère d’activité. Cependant, si l’utilité d’une fonction permettant de centraliser et arbitrer tous les aspects autour de la liquidité fait sens et plus encore dans cet environnement très changeant et très volatile, M. Rouyer affirme que le rôle de la trésorerie plus largement reste plus que jamais central dans l’évolution de l’environnement en temps réel des entreprises. De nombreuses entreprises fonctionnent encore sur le schéma 9h-17h, mais avec les paiements instantanés qui s’installent progressivement dans le paysage comme la nouvelle norme et l’ensemble de l’écosystème des paiements qui œuvre également pour s’y adapter, les trésoreries peuvent déjà compter sur l’aide de partenaire comme Société Générale pour amorcer leur adaptation vers le temps réel.