Assureurs et réchauffement climatique : à l’heure d’un nouveau business model

23/03/2022

Les catastrophes naturelles ont causé 190 milliards de dollars de dommages économiques dans le monde entier en 2020 , une somme qui a été multipliée par 20 au cours des 50 dernières années.

Le changement climatique n’est pas le seul facteur de cette augmentation apparemment inexorable ; l’expansion urbaine et la hausse des valeurs immobilières dans les pays aussi bien riches que pauvres jouent également un rôle. Mais le fait que les risques dits secondaires comme les inondations, les incendies de forêt et les tempêtes de grêle représentent désormais 70 % de toutes les pertes « cat nat » assurées – plutôt que les événements à fort impact mais bien plus rares, comme les tremblements de terre ou les ouragans – démontre l’impact croissant du changement climatique sur le secteur de l’assurance. 

De plus, d’après le groupe de ré/assurance Swiss Re, les pertes liées à des catastrophes sur des marchés clés comme la Chine, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni pourraient plus que doubler au cours des deux prochaines décennies, avec des dommages dus aux inondations - dont le réchauffement climatique est en partie responsable - susceptibles de tripler d’ici à 20401 . En réponse, le secteur de la ré/assurance revoit la manière dont il exerce ses activités, de la tarification du risque à la gestion des sinistres, afin de s’adapter à un environnement en constante évolution. Et une utilisation des données de plus en plus sophistiquée est la clé.

S’agissant en premier lieu des sinistres, le « moment de vérité » des clients se produit lorsque la catastrophe survient et qu’ils exigent des résolutions rapides pour reprendre leur activité ainsi qu’une communication claire et une approche humaine, déclare Andreas Berger, PDG de Corporate Solutions, l’activité d’assurance d’entreprise de Swiss Re. Souvent, l’entrepôt ou l’usine est inaccessible après une inondation ou un tremblement de terre et la principale préoccupation, une fois que le personnel a été mis en sécurité, est de relancer l’activité. Ce qui peut être rendu difficile par le manque de liquidités qui suit une grave perte économique.

C’est là que les techniques d’assurance modernes peuvent être utiles. Les clients peuvent souscrire une garantie dite « paramétrique », qui verse une somme forfaitaire dès qu’un élément déclencheur préconvenu, comme la hauteur d’une rivière ou la magnitude d’un séisme, est atteint. Les entreprises possédant des portefeuilles d’actifs importants utilisent souvent des assurances paramétriques pour compléter les contrats d’assurance de chaque installation.

Parallèlement, en combinant des images provenant de satellites ou de drones avec toutes les informations sur l’installation affectée déjà dans sa base de données, l’assureur peut aujourd’hui évaluer la gravité de l’événement efficacement en temps réel et, dans le cas d’une réclamation valide, verser un dédommagement presque immédiatement - sans attendre qu’un expert se rende sur les lieux du sinistre, comme par le passé. 

Les clients les plus sophistiqués, quant à eux, recherchent un véritable partenariat de gestion des risques avec leur compagnie d’assurance : les informations immobilières et opérationnelles d’un client sont intégrées dans la plateforme de données « cat nat » de l’assureur, et complétées par des analyses, des données propriétaires issues des sinistres antérieurs, voire des ensembles de données tiers. Les résultats sont ensuite partagés avec le client, généralement sous forme de scénarios – par exemple, les tests de résistance d’une chaîne d’approvisionnement en cas de tsunami ou de pandémie ; ou la modélisation des conséquences pour un conteneur de pommes (ou de Mac Apple®) si les températures durant le transport dépassent un certain seuil ; ou comment gérer les retards causés par les fermetures de port en raison de conditions météorologiques extrêmes. 

Les avantages pour le client, sous la forme d’une meilleure compréhension de son profil de risque, sont évidents – et vont bien au-delà de l’achat réel de protection. L’assureur, quant à lui, enrichit sa propre plateforme à chaque nouvelle interaction client. Et les sociétés comme Swiss Re, qui ont massivement investi dans leur plateforme, vendent de plus en plus leurs services d’analyse des risques comme une prestation à part. Aujourd’hui, les grands clients ayant des activités captives d’assurance s’adressent souvent à elles pour le profilage des risques plutôt que pour la souscription d’une protection. 

Bien que cela implique une perte potentielle d’activité, elle est plus que compensée par un nouveau flux de revenus fondé sur les commissions et donc moins volatile. Dans le même temps, la base de données améliorée permet une meilleure modélisation, précise M. Berger, ce qui permet d’assurer des risques qui étaient jusque-là hors d’atteinte. Cela permet également de réduire ce que l’on appelle l’ « écart de protection ». En 2020, la différence entre les pertes « cat nat » assurées et encourues a atteint 113 milliards de dollars2.

L’assurance – comme beaucoup d’autres secteurs – devient un secteur de données, ou du moins basé sur des données. Et les plateformes et outils développés par les assureurs ont de multiples applications. Société Générale, par exemple, travaille en partenariat avec Swiss Re depuis plus de dix ans. Non seulement la banque achète une assurance-crédit pour une partie de son portefeuille de prêts, mais les deux sociétés partagent des informations sur le financement des infrastructures, les ressources naturelles et plus largement la transition énergétique, ce qui permet à Société Générale de mieux comprendre quels sont les projets qui répondent aux objectifs de durabilité et qui sont donc susceptibles d’attirer des financements. 

Assurer des actifs contre le risque climatique n’est qu’une partie de l’équation, explique Pierre Palmieri, Responsable Global Banking and Advisory au sein de Société Générale. La priorité est de prévenir le changement climatique et de soutenir la transition vers des actifs plus propres, plus écologiques et plus efficaces en matière énergétique, et ce dans tous les secteurs d’activité : « C’est notre rôle central au sein de Société Générale, et les données telles que celles collectées par les sociétés de ré/assurance nous aident à enrichir les solutions de conseil ESG que nous proposons à nos clients. » 

Les organismes publics, comme les administrations municipales, s’intéressent également de plus en plus à la modélisation des risques environnementaux afin de mettre en place des politiques durables – et, une fois de plus, la base de données globale d’un assureur est un bon point de départ.

Ainsi, si le changement climatique entraîne sans aucun doute des pertes croissantes pour le secteur de l’assurance, il ouvre également de nouvelles opportunités aux assureurs capables de s’adapter, d’investir dans les données et d’offrir des services nouveaux et à plus haute valeur ajoutée, et peut peut-être réduire progressivement le nombre de risques actuellement non assurés dans le monde.

speakers

1- In a world of growing risk the insurance industry has a crucial role to play | Swiss Re
2-sigma 1/2021 - Natural catastrophes in 2020 | Swiss Re