Mix énergétique idéal : le réalisme doit tempérer l’ambition

08/11/2021

Qui rêverait d’être ministre de l’Énergie ? Les prix du carburant et du gaz s’envolent, les petits fournisseurs font faillite et l’opposition politique soutient que les gens vont mourir de froid à cause des coupures de courant cet hiver.

Les militants écologistes protestent parce que vous ne décarbonisez pas assez vite, tandis que d’autres vous reprochent de trop miser sur les énergies renouvelables, un pari qui vous a valu des éloges il y a quelques mois à peine.

Plus globalement, les gouvernements ont trois objectifs simples lorsqu’il s’agit de définir leur mix énergétique idéal : assurer la sécurité de l’approvisionnement (en d’autres termes, faire en sorte de garder les lumières allumées) ; le rendre aussi propre que possible ; et le moins cher possible. Le problème est que ces objectifs finissent souvent par être contradictoires. « Il suffit de regarder l’Allemagne, dont la décision de sortir rapidement du nucléaire a conduit jusqu’à présent à une augmentation de 29 % de la production de charbon en 2021 — l’année de la COP26 ! », déclare Lueder Schumacher, responsable Europe de la recherche dans le secteur des services publics chez Société Générale. Ou encore la Chine, où la reprise de la demande se heurte à un durcissement des restrictions environnementales, entraînant des pénuries d’électricité et des fermetures d’usines.

La malchance n’explique pas tout et d’autres éléments entrent en jeu, comme la météo exceptionnellement calme cet été en Europe, qui a entraîné une réduction de la production des parcs éoliens. Au-delà de ces facteurs à court terme, chaque pays doit tenir compte de son climat — qui déterminera les pics et les creux ainsi que le niveau global de la consommation d’énergie —, de son patrimoine en ressources naturelles, et du positionnement de ses citoyens. 

De son côté, le Royaume-Uni a découvert du pétrole et du gaz dans la mer du Nord, et l’Allemagne a extrait du charbon de lignite bon marché. La France, quant à elle, a trouvé peu de richesses minérales et s’est tournée vers la technologie pour développer une industrie nucléaire très importante. Ces facteurs ont non seulement façonné la stratégie énergétique de chaque pays, mais aussi ses attitudes sociales, selon Emmanuel Turpin, responsable de la recherche actions chez Société Générale. L’énergie nucléaire, par exemple, est considérée comme une option économiquement raisonnable par une majorité de Français. À l’inverse, leurs voisins allemands craignent à la fois les risques liés à l’exploitation des réacteurs et les déchets radioactifs qu’ils produisent. C’est pourquoi le président Emmanuel Macron a affirmé le mois dernier que le nucléaire était « absolument essentiel » pour l’avenir de la France, tandis que le Parti vert allemand, qui devrait faire partie de la prochaine coalition au pouvoir, s’oppose non seulement au charbon et au nucléaire mais aussi à l’importation de gaz naturel russe.

Mais même si chaque pays doit composer avec les ressources dont il dispose, il y a des mesures que toutes les nations, ou presque, peuvent et doivent prendre. Les deux premières consistent à promouvoir une énergie à faible émission de carbone et à augmenter l’efficacité en isolant les habitations, en modernisant les réseaux de transmission et en automatisant les centrales électriques et les usines. Dans le même temps, il est nécessaire de décarboniser progressivement les infrastructures existantes : remplacer le charbon par du gaz, comme l’ont fait de nombreux services aux collectivités américains, peut permettre d’éviter jusqu’à deux tiers des émissions de carbone.

En ce qui concerne le mix de carburants, il convient de choisir une source d’énergie propre qui peut être développée et étendue à plus grande échelle, de manière réaliste. Tous les pays n’ont pas la même chance que l’Australie, avec suffisamment de soleil, de vent et d’espace pour profiter des deux. Mais ceux qui ont la chance d’avoir des montagnes peuvent se concentrer sur l’hydro-électricité, tandis que les pays situés dans des régions volcaniques actives comme les Philippines ou le Kenya peuvent développer l’énergie géothermique. Les nations ne disposant d’aucune source d’énergies renouvelables devront évaluer l’acceptabilité sociale du nucléaire et/ou investir dans des navires, des pipelines et des interconnecteurs pour importer de l’énergie (plus) propre. 

visuel hydrogene

Cependant, comme les énergies renouvelables sont intermittentes, presque tout le monde aura besoin d’une source d’approvisionnement stable pour équilibrer son réseau électrique et s’assurer que les lumières restent allumées. À l’heure actuelle, il s’agit généralement de gaz et cela devrait rester le cas pendant encore une décennie environ — bien que, encore une fois, le nucléaire soit une source idéale d’énergie de base si les électeurs y sont favorables. Mais à terme, les espoirs reposent en grande partie sur l’hydrogène, qui peut être produit sans émission, utilisé pour le stockage d’énergie à long terme, transporté sous diverses formes, comme l’ammoniac, et utilisé pour décarboniser des secteurs industriels où il est difficile de réduire les émissions, comme les transports longue distance. 

Le problème, c’est qu’actuellement, le coût de production de l’hydrogène « vert » est au moins 3 à 4 fois supérieur à celui des carburants conventionnels. Il sera donc nécessaire de développer toute une chaîne de valeur, du stockage et du transport aux nouvelles applications et aux marchés finaux — tous initialement soutenus par des subventions généreuses — pour pouvoir augmenter la production jusqu’à ce que son coût devienne compétitif. Aussi difficile que cela puisse paraître, cette stratégie a fonctionné pour les énergies renouvelables. De plus, les décideurs politiques du monde entier soutiennent ce gaz simple et leur engagement est réel : plus de 30 pays ont publié des feuilles de route pour l’hydrogène et l’industrie prévoit d’investir quelque 300 milliards de dollars d’ici 2030, selon McKinsey. « L’argent est là, explique Olivier Musset, responsable mondial du groupe Energie chez Société Générale, ce qui nous manque, ce sont les projets. » 

En fin de compte, le plan politique est clair : accélérer la création d’énergie zéro carbone à la fois à long terme (hydrogène) et à court terme (renouvelables si l’on en a, nucléaire si possible) ; décarboniser son infrastructure existante en passant de combustibles polluants comme le charbon à des combustibles plus propres comme le gaz ; et faire tout son possible pour améliorer l’efficacité énergétique. Surtout, ne pas laisser le mieux être l’ennemi du bien, car chaque émission évitée contribue à un monde plus propre. 
 

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