Greenflation : les coûts de la transition énergétique commencent à se matérialiser

20/04/2022

La bataille pour refroidir la planète semble paradoxalement provoquer une surchauffe de l'économie. C'est l'essence même de la « greenflation » : le coup de fouet supplémentaire donné aux prix lorsque l'inflation classique par les coûts - que nous connaissons maintenant que le monde se remet de la pandémie grâce à des mesures de relance budgétaire/monétaire massives et à un important excédent d'épargne - est dopée par les coûts de la transition écologique.

Non seulement la greenflation alimente de manière non négligeable la hausse des prix de gros et des prix à la consommation qui, depuis le printemps 2021, s'étend rapidement des coûts des matières premières et de l'énergie aux factures d'électricité, à l'alimentation et même aux loyers, mais aussi, elle perdure. L'inflation dans son ensemble s'avère moins transitoire qu'on ne l'espérait au départ, entraînant une volatilité sur les marchés obligataires et boursier ainsi que la nécessité d'un durcissement énergique de la politique monétaire.

Rétrospectivement, il était irréaliste de s'attendre à ce qu'une tâche aussi énorme, extrêmement compliquée et coûteuse, que la transition énergétique se fasse sans bouleversement. Réfléchissez à la quantité considérable de matières premières nécessaires pour augmenter la production d'énergie propre. La construction d'un seul parc éolien de 100 Mégawatts nécessite 30 000 tonnes de minerai de fer, 50 000 tonnes de béton et 900 tonnes de plastiques non recyclables. 

Par ailleurs, les batteries lithium-ion qui équipent la plupart des véhicules électriques (VE) nécessitent environ 11 kg de lithium et 13,5 kg de cobalt, ainsi que quantité de nickel, cuivre, graphite, acier et aluminium. Selon l'Agence internationale de l'énergie, on devrait dénombrer 145 millions de VE d'ici 2030, contre 11 millions aujourd'hui. Cela ne représente qu'une fraction des quelque 1,2 milliard de véhicules à moteur à combustion actuellement en circulation, de sorte que la demande de batteries restera très conséquente dans les années à venir.

L'envolée actuelle des cours des matières premières n'a donc rien de surprenant. Pourtant, malgré de récentes hausses de prix vertigineuses, des minerais tels que le cuivre, le nickel, le lithium et le cobalt se font rares. Cela s'explique en partie par des raisons géopolitiques : certains métaux appelés terres rares, par exemple, se trouvent essentiellement dans un ou deux pays seulement. Autre facteur à prendre en compte : la réponse en termes d'offre que l'on pourrait attendre des sociétés minières et énergétiques qui maximisent leurs profits n'arrive pas ou alors très lentement. Cela peut s'expliquer pour partie par un ralentissement des investissements en raison de l'augmentation du coût du capital et les pressions exercées par les actionnaires pour réduire les émissions.

De plus, la guerre en Ukraine perturbe les chaînes d'approvisionnement et a un impact important sur le prix des matières premières. C'est le cas par exemple du nickel, un métal clé pour les batteries et les éoliennes, dont le prix a enregistré une hausse sans précédent. Cette crise conduit également les pays européens à repenser sérieusement leurs stratégies en matière de sécurité énergétique. L'accélération de la transition vers les énergies renouvelables est à l'ordre du jour dans la plupart des capitales, ce qui ne manquera pas d'accentuer la pression à la hausse sur les prix des principales matières premières liées à la transition énergétique. 

Tandis que les pays du monde entier se fixent des objectifs audacieux en matière de décarbonisation, ils renforcent les réglementations, voire interdisent purement et simplement certaines matières premières et certains carburants, ce qui augmente le coût de la transition. Au Chili et au Pérou, qui fournissent 40 % du cuivre mondial, des projets miniers qui nécessitaient auparavant cinq ans, en nécessitent aujourd'hui dix en raison des études d'impact environnemental et social supplémentaires requises.

Par conséquent, les producteurs de matières premières investissent moins qu'ils ne le feraient autrement et redistribuent plutôt de l'argent aux actionnaires. Le manque de nouvelles offres qui en résulte fait grimper les prix. C'est l'œuvre de la « greenflation » et cela prouve que de bonnes intentions, comme le fait d'imposer d'en haut des normes ESG, peuvent avoir des conséquences inattendues.

La question est alors de savoir comment les autorités, et notamment les banques centrales, devraient réagir à la « greenflation » ? Si l'inflation reste largement limitée aux prix de l'énergie et des matières premières, elles pourront peut-être l'ignorer, comme l'a suggéré Isabel Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne dans un récent discours*, de la même manière qu'elles excluent les prix volatils des denrées alimentaires de leurs mesures de l'inflation sous-jacente. 

Toutefois, si la greenflation persiste, comme cela semble probable, et qu'elle commence à affecter l'ensemble de l'économie, comme le niveau des salaires, la politique monétaire devra être durcie afin de stabiliser les prix. En particulier, la Réserve fédérale américaine a récemment annoncé au moins six relèvements des taux d'intérêt en 2022, le premier d'un quart de point de pourcentage ayant été annoncé le 16 mars, alors même que le marché table sur davantage. 

Le problème est que la hausse des taux d'intérêt pourrait créer des tensions entre les banques centrales et les gouvernements qui sont pressés d'augmenter leurs dépenses pour stimuler la reprise après la pandémie, de manière à compenser la hausse des prix chez les ménages, notamment les plus pauvres, et à financer la transition énergétique. C'est le meilleur moyen d'aboutir à une prise de décision non coordonnée et à des tensions sociales croissantes.

Il n'y a pas de solution facile, car la lutte contre le changement climatique et la protection du niveau de vie des populations sont toutes deux essentielles, mais donner la priorité à l'une semble faire reculer l'autre. Une solution possible consisterait à ne pas seulement concentrer notre attention sur la décarbonisation de l'offre (réseaux électriques, transports et industries), mais aussi sur la décarbonisation de la demande. En d'autres termes, il conviendrait de réduire la quantité de carbone que nous produisons en modifiant nos modes de déplacement, d'alimentation et de vie. 

Cela aussi a d'énormes implications sociales et éthiques, bien que certaines d'entre elles puissent être atténuées par des dépenses sociales financées, par exemple, par une taxe carbone (plus élevée). En fin de compte, en matière de transition énergétique, il n'y a rien de gratuit - et la greenflation d'aujourd'hui n'en est que le premier exemple.

« Faire abstraction de la hausse des prix de l'énergie ? Politique monétaire et transition verte » - Assemblée générale annuelle virtuelle 2022 de l'American Finance Association.

Retrouvez aussi l’épisode dédié au thème de la « greenflation » de la série de podcasts « 2050 Investors », disponible  sur votre application préférée d'écoute de podcasts en streaming Apple Podcast, Spotify, Deezer, Google Podcast, Tune In, Podcast Addict, Stitcher, Pocket Casts ou sur le site Societe Generale Cross Asset Research website. En anglais uniquement.

Kokou Agbo-Bloua Directeur de la recherche économique cross-asset et quantitative