Des principes verts pour le transport maritime

08/11/2021

Un accord mené par une coalition de grandes banques contribue à rendre plus durables les flottes maritimes commerciales du monde entier

Fin 2020, Seaspan, le plus grand loueur mondial de porte-conteneurs, a conclu l’un des premiers prêts du secteur liés au développement durable, d’une valeur initiale de 200 millions de dollars. L’accord, qui crée pour Seaspan des incitations financières à réduire ses émissions de carbone au cours des prochaines années, a été signé sous l’égide des Principes de Poséidon, un cadre novateur conçu conjointement en 2019 par Société Générale et d’autres grandes banques, qui fixe la norme en matière de financement écologiquement responsable du secteur du transport maritime mondial. 

L’initiative repose sur le fait que les banques signataires mesurent et rendent publiquement compte du bilan carbone de leurs portefeuilles de prêts liés au transport maritime, et que son impact sur les comportements et les stratégies de prêt à venir aura des répercussions à long terme sur l’ensemble du secteur.

« En intégrant l’alignement climatique dans nos décisions en matière de crédit, les banques déterminent sur quels navires leur capital sera déployé – ce qui influence directement le choix des navires qui naviguent sur les océans », explique Paul Taylor, Responsable du Financement maritime et offshore de Société Générale. « Vous ne pouvez pas sous-estimer le pouvoir d’une coalition pour contribuer à une transition énergétique indispensable dans le secteur du transport maritime, une coalition fondée sur la responsabilité et la transparence ». 

Avec plus de 50 000 navires marchands enregistrés dans plus de 150 pays, le secteur du transport maritime recouvre environ 90 % du commerce mondial en termes de volume1, ce qui en fait une pièce maîtresse de l’économie mondiale. « Sans le transport maritime, les pays ne pourraient pas commercer, la moitié du monde serait gelée et l’autre affamée », déclare Tristan Smith, Professeur associé à UCL Energy Institute et Directeur des Services de conseil de l’Université maritime (Umas), un service de conseil commercial axé sur le secteur. « C’est un facilitateur clé pour les 8 milliards de personnes vivant sur la planète ». 

Pourtant, cette industrie est également un pollueur important, qui produit plus de 3 % des émissions mondiales de carbone2. Et c’est l’une des sources d’émissions qui augmentent le plus : des estimations suggèrent qu’en l’absence de mesures rapides, le transport maritime pourrait représenter jusqu’à 15 % des émissions mondiales de carbone d’ici à 2050. 

En liant des prêts écologiquement responsables aux décisions de financement, les Principes de Poséidon marquent la première étape significative de la décarbonisation dans un secteur pour lequel les barrières technologiques et le manque d’infrastructures adaptées à des carburants alternatifs ont rendu difficile la réduction des émissions de carbone. L’accord s’aligne également sur les objectifs fixés par l’Organisation maritime internationale (OMI), le régulateur de ce secteur, afin de réduire les émissions de carbone de 50 % d’ici 2050. Mais, selon Paul Taylor, « Les Principes de Poséidon, qui sont souples, pourront s’aligner sur des trajectoires plus strictes dans l’éventualité du renforcement des objectifs de l’OMI après la COP26 ».  
 
Pour Tristan Smith (UCL), tout cela indique un tournant pour l’industrie. « Les Principes auront un effet considérable, parce qu’ils créeront des changements de comportement », explique-t-il. « Ils placent les émissions, et la réalisation des objectifs de réduction, au premier plan et au centre de chaque conversation entre les banques et les acteurs du transport maritime qui ont besoin de financement ».

L’accord compte désormais 28 banques signataires, représentant bien plus de 200 milliards de dollars de prêts maritimes commerciaux – environ 50 % du total – contre 11 signataires il y a deux ans seulement, lorsque l’accord est entré en vigueur. Au rythme actuel de la croissance, les prêts bancaires dans le cadre des Principes de Poséidon devraient bientôt représenter la majorité des nouveaux prêts commerciaux du transport maritime mondial. 

Les signataires de Poséidon ont émis un volume de plus de 1,2 milliard de dollars de financements destinés au transport maritime durable en 2020, soit la première année complète de la mise en œuvre de l’accord. Au cours du premier semestre 2021, les banques ont émis près de 1 milliard de dollars de dette liée aux Principes de Poséidon, y compris de nouveaux types d’instruments financiers outre les seuls prêts. Seaspan utilise déjà son prêt de 200 millions de dollars à six ans pour améliorer l’efficacité carbone de sa flotte, telle que définie par le ratio d’efficacité annuelle (AER) des Principes de Poséidon, qui calcule l’efficacité carbone d’un navire en fonction de la consommation de carburant, de la distance totale parcourue et du modèle de tonnage de port en lourd. 

Il s’efforce également de créer des chartes liées au développement durable en vertu desquelles les clients de Seaspan seraient financièrement récompensés s’ils ont dépassé les scores AER convenus précédemment pour les navires qu’ils louent. « C’est une approche qui découle directement du financement dans le cadre des Principes de Poséidon », déclare Matt Borys, Trésorier et Responsable des marchés de capitaux chez Atlas Corporation, la société mère de Seaspan. « L’idée est d’aligner l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie sur le carbone ». 

Pour John Hatley, Directeur général de Market Innovation (Wärtsilä), une entreprise qui fournit des solutions de réduction de carbone à l’industrie du transport maritime, les Principes ont commencé à pousser les entreprises à adapter leurs flottes existantes : c’est une étape essentielle dans le parcours écologique du transport maritime, étant donné qu’un grand nombre  des navires en service aujourd’hui – qui fonctionnent aux combustibles fossiles – seront encore en service dans dix ans ou plus. « Les entreprises s’adressent à nous pour nous demander des améliorations de l’efficacité, ce qui montre que les banques influencent le marché et créent plus de volonté d’adopter des stratégies de décarbonisation », explique-t-il.  

Parallèlement, les compagnies maritimes commencent à explorer les carburants alternatifs afin de réduire leur empreinte carbone. En août, le géant du transport maritime Maersk (Danemark) a annoncé qu’il avait commandé huit navires capables de fonctionner avec du méthanol neutre en carbone outre les combustibles fossiles traditionnels, dans le cadre des efforts de la société pour réduire les émissions de carbone3

D’après une déclaration de Maersk, ces navires sont entre 10 et 15 % plus chers que ceux de la flotte traditionnelle, mais la compagnie a réussi à compenser le coût supplémentaire à la faveur de conditions de financement améliorées, grâce à la réduction implicite du carbone des nouveaux navires. 

Finalement, selon Paul Taylor (Société Générale), les Principes de Poséidon pourraient devenir un modèle pour d’autres secteurs difficiles à décarboner, notamment l’acier, l’assurance et l’aviation. « D’autres secteurs cherchent à faire des choses similaires, et c’est parce que nous avons permis la responsabilité et la transparence des données sur le carbone dans une industrie où rien n’existait auparavant. La transparence doit être la voie à suivre pour tous », dit-il. 

 

1 :   https://www.ics-shipping.org/shipping-fact/shipping-and-world-trade-world-seaborne-trade/

2 :   https://www.europarl.europa.eu/news/en/headlines/society/20191129STO67756/emissions-from-planes-and-ships-facts-and-figures-infographic

3 :   https://www.reuters.com/business/sustainable-business/maersk-orders-eight-vessels-able-run-carbon-neutral-methanol-2021-08-24/