Les e-fuels peuvent-ils être les moteurs de la révolution hydrogène ?
Le rôle croissant de l’hydrogène dans la lutte contre le changement climatique est indéniable.
L’Agence Internationale de l’Energie décrit ainsi l’hydrogène comme « un pilier clé de la décarbonation de l’industrie » (1) et a recensé près de 1 000 projets d’hydrogène bas carbone(2). À lui seul, le marché de l’hydrogène vert, ou zéro émission de gaz à effet de serre, devrait connaître une progression rapide, passant de 444 millions de dollars en 2021 à près de 4,4 milliards de dollars d’ici 2026, soit un taux de croissance annuel global de 58 % (3).
Le défi sera de concrétiser cet enthousiasme manifeste. Certes, l’hydrogène existe depuis plusieurs décennies et la technologie nécessaire à sa production sans émission de dioxyde de carbone a fait ses preuves. Mais se pose toujours la question de sa production à grande échelle. En outre, la chaîne de valeur globale requise (production, transport, stockage et utilisation) n’en est qu’à ses balbutiements.
La montée en puissance d’une nouvelle classe d’actifs
L’hydrogène vert constitue une nouvelle classe d’actifs », explique Elena Robciuc, directrice du groupe Energy+ de Société Générale, basée à Houston. C’est particulièrement enthousiasmant pour les développeurs de projets et les financiers. Si les possibilités sont immenses, il reste toutefois nombre de défis.
Pour commencer, les électrolyseurs indispensables à la production d’hydrogène vert (en séparant l’oxygène présent dans l’eau à l’aide d’énergie propre) n’opèrent pour l’instant qu’à petite échelle. Pour produire les centaines de gigawatts (GW) d’hydrogène dont nous aurons besoin à l’avenir, plusieurs centaines d’électrolyseurs pourraient ainsi être nécessaires. De nombreuses incertitudes demeurent quant à la capacité réelle d’un tel procédé à permettre les économies d’échelle requises.
Même si c’était le cas, la capacité de production mondiale actuelle des électrolyseurs est inférieure à 10 GW par an, alors que les différents projets évoqués plus haut ne pourront générer qu’entre 2 et 5 GW chacun. Par conséquent, chaque développeur de projet redouble d’efforts pour se doter des électrolyseurs nécessaires, précise Mme Robciuc.
Au-delà de ces considérations, l’hydrogène est un gaz complexe à utiliser : la molécule est si petite et si légère qu’il est difficile de la maîtriser et les fuites sont monnaie courante. Son utilisation nécessitera la construction de nouvelles infrastructures coûteuses - des cavernes de sel pour le stocker, en passant par les canalisations pour l’acheminer jusqu’aux navires pour le transporter.
Pour accroître l’efficacité du transport et du stockage de l’hydrogène, une solution existe : refroidir l’hydrogène pour le faire passer de l’état gazeux à l’état liquide, ce qui divise son volume par 800. Cependant, pour cela, il doit être refroidi à -423 degrés Fahrenheit (soit environ -253 degrés Celsius), un procédé qui consomme énormément d’énergie.
Perfectionner le procédé et le mettre en pratique
Transformer l’hydrogène en d’autres produits serait une solution bien plus judicieuse, par exemple en e-fuels ou carburants de synthèse.
Meg Gentle, Directrice exécutive de HIF Global, une start-up de ce secteur conseillée par Société Générale, déclare :
Les efuels sont un substitut direct, propre et neutre en carbone aux combustibles fossiles composés d’hydrogène vert et de CO2 recyclé. Ils sont produits à l’aide de technologies éprouvées et peuvent être utilisés dans les voitures, les camions, les navires et les avions actuels sans aucune modification.
Cela en fait un moyen concret et immédiat de réduire les émissions de carbone, avant le durcissement des normes (comme cela est le cas en Californie) et la découverte de solutions à plus long terme.
L’obstacle à son utilisation reste, à ce jour, son coût. C’est la raison pour laquelle la récente adoption, par les États-Unis, de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA)(4) change radicalement la donne. Elle prévoit 370 milliards de dollars d’aides et de crédits d’impôt pour l’utilisation d’énergies propres. Elle offre aussi aux développeurs de projets impliquant de l’hydrogène bas carbone et des e-fuels, la possibilité de bénéficier de plusieurs avantages fiscaux. En outre, ils pourraient même monétiser les crédits carbone créés avec ce procédé.
Pour faire simple, cela signifie qu’un producteur d’hydrogène propre américain pourrait percevoir jusqu’à 3 $/kg grâce à ces mesures incitatives. Une aide précieuse quand on sait que l’objectif est de réduire les coûts pour passer d’environ 6 $/kg actuellement à 2 $/kg. Un coût que beaucoup d’experts considèrent comme le seuil à atteindre pour que le marché soit compétitif et donc développé à grande échelle.
L’IRA pourrait permettre aux projets d’hydrogène propre et d’e-fuels de devenir rentables, et nous considérons donc qu’elle peut indéniablement jouer le rôle de catalyseur pour le secteur, déclare Mme Robciuc.
Face à une politique industrielle américaine plus agressive, l’Union européenne envisage de simplifier ses propres règles en matière d’aides d’État afin de continuer à attirer les investissements dans les énergies propres.
Mettre tous les atouts de son côté lors du lancement d’un projet
Un modèle économique sain et la capacité à relever les défis techniques sont bien sûr essentiels. Mais, la réussite de tels projets nécessite d’autres conditions. Il s’agit avant tout de trouver un terrain d’entente à long terme avec un « acheteur » désireux d’acquérir tout ou partie de la production future. Avec l’appui de cet acheteur, le développeur d’un projet sera en mesure d’attirer des financements à des conditions avantageuses. HIF Global vend, par exemple, la production de sa première usine au Chili sur les marchés européens, principalement en Allemagne, puisque les Européens sont enclins à payer un prix plus élevé pour des carburants propres.
La partie « financement » de cette équation requiert une équipe dirigeante dans laquelle les investisseurs, les prêteurs, les clients mais surtout les autorités de régulation ont confiance.
Nous sommes convaincus que l’approche qui a permis de financer la croissance du secteur du gaz naturel liquéfié (GNL), qui représente aujourd’hui 400 millions de tonnes par an, peut être adaptée pour créer l’infrastructure capable de produire les millions de tonnes d’e-fuels dont nous avons besoin, déclare Mme Gentle.
Société Générale, l’un des principaux conseillers financiers sur le marché américain du GNL, entend bien jouer le même rôle moteur pour cette nouvelle classe d’actifs en accompagnant ses clients et la transition énergétique.
(1) Rapport mondial de l’AIE sur l’hydrogène
(2) Base de données de l’AIE sur les projets d’hydrogène
(3) Markets and Markets
(4) Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act)