Après une année 2021 exceptionnelle, que nous réserve le marché ECM en 2022 ?

13/01/2022

David Getzler, responsable de l'activité Equity Capital Markets (ECM) au sein de Société Générale Americas, revient sur une année 2021 fascinante pour les marchés primaires actions aux Etats-Unis, et nous livre ses réflexions pour 2022.

2021 aura été une grande année pour l’activité ECM. Pourriez-vous revenir sur les grandes tendances et les faits marquants de cette année ?

Tout le monde pensait que 2020 serait une année record difficile à battre. Mais les émissions ECM ont atteint 443 milliards de dollars l'année dernière, établissant un nouveau record. Les émetteurs ont profité de marchés boursiers favorables pour lever des capitaux, principalement pour financer la croissance organique et les activités M&A. Cela contraste avec 2020 où, compte tenu de l'énorme incertitude et des défis posés par la COVID, les émissions avaient davantage été motivées par la nécessité de recapitaliser et de renforcer le bilan des entreprises. Le principal moteur de l'année  a été les SPAC (Special Purpose Acquisition Company), ou « société d'acquisition à vocation spécifique », avec des émissions qui ont doublé, passant de 83 milliards de dollars en 2020 à 162 milliards de dollars en 2021.

En regardant plus en détail, quelles ont été les transactions les plus marquantes de 2021 ?

ECMRivian, le constructeur de SUV et de camions électriques, entré en bourse en novembre, a été de loin la plus grande introduction en bourse de 2021 et la septième plus grande introduction en bourse américaine de tous les temps. Permettez-moi de souligner que Rivian n'a généré qu’un million de dollars de revenus jusqu'à présent et que l’entreprise poursuit toujours le développement de sa technologie.  

Parmi les entreprises déjà cotées, la plus grande émission d'actions de l'année est celle de Fiserv, le fournisseur mondial de solutions de paiement et de fintech, qui a levé 2,7 milliards de dollars dans une émission entièrement secondaire. L'offre convertible la plus importante a été celle de Ford, qui a levé 2,3 milliards de dollars. Après une année d'émission record en 2020, le marché des émissions convertibles est resté très fort en 2021, notamment grâce à des conditions attractives pour les émetteurs qui ont pu monétiser les niveaux élevés de volatilité de leurs actions. Avec les fluctuations importantes que nous observons dans les indices boursiers et les prix des actions, nous nous attendons à ce que cette tendance se poursuive en 2022, avec des niveaux de volatilité plus élevés et de nombreuses émissions convertibles.

Et pour 2022 justement, quelles sont vos perspectives sur l'ECM ?

Si le consensus de Wall Street prévoit une hausse de 9 % des bénéfices du S&P 500 cette année et une hausse de 8 % de l'indice S&P 500, il s'agit d'un environnement favorable pour l'activité ECM. 

Cependant, de nombreux facteurs vont avoir un impact sur les marchés actions. Cela inclut le taux de croissance économique, et les effets liés au variant Omicron du virus COVID 19, et comme je l’ai évoqué,  les bénéfices des entreprises. Il y a aussi l’impact d’une baisse forte des niveaux d’inflation, sur laquelle de nombreux spécialistes s’accordent. Il y aura toujours des scénarios de type "cygne noir" qui pourront surgir de nulle part, comme une éventuelle instabilité géopolitique ou l’apparition d’un nouveau variant du virus COVID 19. Toutefois, si l’on exclut ce type d’événement, le scénario pour l’année à venir est raisonnablement sain pour les marchés actions. 

J’ajouterai que si les marchés secondaires actions semblent relativement favorables pour l’activité ECM, nous nous attendons également à ce que les entreprises déjà cotées soient actives en matière d'acquisitions, ce qui serait un moteur pour l'émission d'actions.

Au sein de l'activité ECM, qu'en est-il du marché des IPO, après une année 2021 record en matière d'émissions ?

Il est intéressant de noter que si le montant levé par le biais d'introductions en bourse (142,5 milliards de dollars) a été un record absolu, certains signes inquiétants sont apparus plus tard dans l'année, ce qui pourrait freiner l'appétit des investisseurs, du moins jusqu'à ce que nous voyions comment se comporte le premier lot d'introductions en bourse de 2022. Plus précisément, la performance post-marché des introductions en bourse de 2021 s'est avérée très décevante. Alors que parmi toutes les IPO de 2021, la performance moyenne le premier jour de cotation était de 30,8 %, à la fin de l'année, elle était en baisse de 9,6 %. Les inquiétudes concernant les perspectives de croissance d'un grand nombre d’IPO dans les secteurs des technologies et biotechnologies, en particulier dans un contexte d'inflation et de taux d'intérêt élevés, ont conduit à une réévaluation des paramètres de valorisation de ces IPO axées sur la croissance.

Les faibles rendements obtenus par les investisseurs sur les IPO de l'année dernière seront pris en compte dans leur analyse de nouvelles IPO en 2022. Dans le même temps, un certain nombre d'IPO intéressantes qui devraient arriver sur le marché. Parmi elles, citons le fabricant de yaourts Chobani, le fournisseur de logiciels de paiement Stripe, le service de livraison de produits alimentaires Instacart, la société de capital-investissement TPG et le plus grand détaillant Indien en ligne, Flipkart, qui est en cours de « spin-out » par Walmart.

Comme en 2021, nous nous attendons à un flux important d'IPO en 2022, provenant de fonds de capital-risque et de capital-investissement. Le capital-risque a été à l'origine de 14 des 27 IPO de plus de 1 milliard de dollars l'année dernière. En ce qui concerne le capital-investissement et le LBO, l'environnement de taux d’intérêt bas de ces dernières années a grandement facilité les transactions adossées à des sponsors, dont beaucoup se positionnent désormais en sortie d'IPO ou de M&A.

Au-delà de la vue d'ensemble de l'activité ECM pour cette année, parlons de certaines grandes tendances. Selon vous, comment l'ESG affecte-t-il les marchés de capitaux ?

L'ESG (critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) devient un facteur de plus en plus important pour les investisseurs. Etablir l'importance des initiatives ESG d'une entreprise est un thème commun à tous les investisseurs avec lesquels nous échangeons, et ce, pour toutes les grandes entreprises mondiales. Ce n'est pas si simple car les données ESG globales et leur qualité restent très inégales. Néanmoins, les grands principes sont désormais bien compris et les indicateurs financiers peuvent être de plus en plus interprétés sur la base de ces principes. Il existe de nombreuses expressions pratiques - dans le contexte actuel de pandémie, investir dans l'atténuation des risques peut prendre tout son sens, que ce soit autour de la chaîne d'approvisionnement, de la cybersécurité ou de la gestion de la main-d'œuvre, par exemple, au-delà des questions environnementales. 

Il est intéressant de noter que l'orientation ESG d'une entreprise a été quantifiée comme fournissant généralement des rendements améliorés ; l'indice S&P 500 ESG a surperformé l'indice de référence S&P 500 de 3 points sur 2021 et de 10 points sur les cinq dernières années. Nous disposons de données qui mesurent les réactions des cours boursiers à différents types d'annonces ESG. Les résultats montrent que les cours des actions réagissent le plus fortement aux annonces ou sujets ESG qui sont classées comme financièrement importantes pour ce secteur spécifique ; les annonces positives induisant une plus forte réaction des cours que les négatives. À l'horizon 2022, les considérations ESG véritablement concrètes devraient continuer à faire partie intégrante de la stratégie à long terme des investisseurs en actions.

Qu'en est-il de l'autre grande tendance, les SPAC ? Comment voyez-vous ce marché évoluer ?

Comme je l'ai évoqué, les SPAC ont représenté la plus grande composante du marché ECM en 2021. Le nombre de SPAC a presque triplé, passant de 248 en 2020 à 610 en 2021. Cette augmentation fulgurante du nombre de SPAC a fait baisser la taille moyenne de chaque émission, de 336 millions de dollars en 2020 à 266 millions de dollars en 2021, soit une baisse de 21 %. 

Les SPAC ont atteint un pic au premier trimestre 2021, contribuant à 62 % du total de l'année. Les émissions ont considérablement ralenti en milieu d'année, après que la SEC (le régulateur américain), ait interrompu les émissions dont le volume était exceptionnelement élevé afin d’ajouter une nouvelle règle comptable, limitant le traitement des bons de souscription aux actions "temporaires". Bien que cela n'ait pas empêché les SPAC d'être annoncés, cela a forcé un certain nombre d’émetteurs à faire une pause pour faire réviser leurs états comptables. Après l'entrée en vigueur de la modification de la règle, le marché a fortement rebondi au quatrième trimestre, avec l’arrivée sur la marché d’émissions moins importantes offrant de meilleures incitations pour les bons de souscription. Le marché pourrait ralentir considérablement si beaucoup de ces SPAC ne parvenaient pas à trouver une cible d'acquisition, ce qui pourrait probablement arriver à la fin de 2022 ou au début de 2023. D'ici là, nous ne voyons pas de signe de ralentissement de l'activité des SPAC, alors que des SPAC (d’une valeur de 59 milliards de dollars) ont déjà été annoncés et attendent leur introduction en bourse.

Quelles sont les perspectives d'introduction en bourse d’entreprises chinoises sur les marchés américains?

En raison des mesures réglementaires prises par la SEC, nous ne nous attendons pas à voir beaucoup de cotations chinoises aux États-Unis cette année. Les inquiétudes qui sont apparues en 2021 concernant les projets du gouvernement chinois de restreindre les cotations à l'étranger des entreprises chinoises ont entraîné un recul spectaculaire des cotations de ces dernières aux États-Unis. Seules trois des 34 entreprises chinoises ont été introduites en bourse au cours du second semestre.  L'exemple le plus frappant est celui de Didi, le "Uber" chinois, qui a annoncé en novembre, cinq mois seulement après son introduction en bourse aux États-Unis, son intention de se retirer du NYSE et de transférer sa principale cotation à Shanghai ou à Hong Kong. Alibaba a chuté de 49 % sur l'année et l'indice de référence Nasdaq Golden Dragon China, qui suit toutes les sociétés chinoises cotées aux États-Unis, a perdu 42 %.

Qu'en est-il des sociétés qui rachètent leurs actions ? Cette activité, va-t-elle se poursuivre cette année ?

Après une forte réduction de l'activité de rachat d'actions en 2020, motivée par les inquiétudes des entreprises quant à l'impact du COVID 19 sur leur activité et à d'éventuelles répercussions politiques négatives, nous avons vu le niveau des rachats d'actions rebondir en 2021, notamment au second semestre, les entreprises étant de plus en plus confiantes dans leurs perspectives commerciales. D'après les dernières données, les rachats d'actions ont atteint 612 milliards de dollars entre le premier et le troisième trimestre 2021, ce qui est déjà supérieur aux 520 milliards de dollars pour l’ensemble de l'année 2020. Le volume de rachat d'actions du troisième trimestre à 235 milliards de dollars a atteint un record trimestriel, dépassant le précédent record de 223 milliards de dollars du quatrième trimestre 2018. Nous anticipons désormais un record historique pour les rachats d'actions en 2022, alors que les entreprises génèrent des bénéfices et des flux de trésorerie record, et sont en mesure de financer leur rachats d'actions en émettant de la dette à des taux d'intérêt encore très bas.

Donc, tout bien considéré, en l'absence d'un événement de type "cygne noir", j’anticipe pour 2022 un scénario raisonnablement sain pour les marchés actions. 


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