Pourquoi l’hydrogène suscite un regain d’intérêt chez les investisseurs

Les jeunes entreprises à la recherche de capitaux dans les secteurs d’avenir sont confrontées à des vents changeants depuis que les banques centrales américaines et européennes ont commencé à relever les taux d’intérêt début 2022. Pourtant, les entreprises tournées vers l’hydrogène propre et les fonds spécialisés dans ce domaine continuent d’attirer des investissements. Bien que nombre de sociétés soient prises en tenaille entre des perspectives de rentabilité incertaines et une croissance prometteuse, elles parviennent à lever des capitaux grâce au soutien de certains des plus grands investisseurs institutionnels mondiaux.

Prenons le cas de Hy24, le gestionnaire d’investissement spécialisé qui a clôturé son « Clean H2 Infra Fund » en octobre 2022, conseillé par Société Générale. Hy24 a levé 2 milliards d’euros de capitaux, faisant du Clean H2 Infra Fund le plus grand fonds mondial d’infrastructures d’hydrogène propre. Ses investisseurs sont non seulement de grands groupes industriels internationaux ayant des intérêts stratégiques dans l’hydrogène, mais aussi certains des principaux investisseurs institutionnels mondiaux.

Hy24 n’est pas le seul. Au cours des derniers trimestres, des entreprises européennes positionnées à différents niveaux dans la chaîne de valeur de l’hydrogène ont fait leur entrée en bourse, tandis que d’autres, déjà cotées, ont levé des capitaux. Il y a une volonté d’investir dans LE gaz décarboné qui est soutenu par les gouvernements comme une alternative aux hydrocarbures dans l’industrie lourde et le transport. Et cela malgré le relativement faible nombre d’entreprises dédiées à l’hydrogène et l’incertitude quant à leurs perspectives de rentabilité.

Réagissant au regain d’intérêt des investisseurs pour l’hydrogène, Yoann Charenton, analyste en recherche actions chez Société Générale, explique :
« L’hydrogène, qui a un large éventail d’applications, est considéré comme un levier de décarbonation pour atteindre la neutralité carbone. »

Changement d’échelle en vue d’ici à 2030

Les gouvernements en Europe et aux États-Unis ont fait part d’objectifs très ambitieux afin d’appuyer le changement d’échelle de l’écosystème hydrogène. L’UE, par exemple, vise à produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable et à importer 10 millions de tonnes supplémentaires d’ici à 2030 – dans un peu plus de cinq ans seulement. Une forte augmentation de l’activité est donc nécessaire dans une industrie de l’hydrogène où de nombreux projets ont été annoncés ces dernières années, mais où peu ont abouti.

L’hydrogène propre est souvent appelé le « couteau suisse » de la décarbonation car il peut être utilisé dans les secteurs à forte consommation énergétique dont il est difficile de réduire les émissions. Parmi les secteurs concernés, on retrouve les industries lourdes telles que la production d’ammoniac/engrais et de méthanol, la sidérurgie, la production de ciment et de verre, suivies des transports lourds comme le maritime, le ferroviaire ou encore l’aérien.

Les États-Unis et l’UE ont indiqué qu’ils soutiendraient l’écosystème de l’hydrogène. Aux États-Unis, la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) de 2022 subventionnera l’écosystème naissant de l’hydrogène au moyen de crédits d’impôt à la production ; l’UE de son côté vise à soutenir le renforcement des chaînes de valeur de l’énergie propre avec la proposition de loi pour une industrie à zéro émission (Net-Zero Industry Act) et la création d’une Banque Européenne de l’Hydrogène cette année.

Les événements s’enchaînent rapidement et aucun détail n’est à négliger. Juste avant la pause estivale, le Parlement Européen a adopté un acte délégué définissant l’hydrogène qui pourra être labellisé comme renouvelable. Et alors que le mois d'août arrivait à son terme, la Commission Européenne a fixé  les modalités de sa très attendue adjudication pilote de la banque d'hydrogène, qui devrait débuter le 23 novembre 2023. Dans le même temps, le Département du Trésor américain étudie la façon dont les crédits d’impôt pour la production d’hydrogène seront mis en œuvre. Ceux-ci devraient servir de catalyseur et donner le feu vert aux développements de projets liés à l’hydrogène.

Une étape charnière ?

Les grands projets de production d’hydrogène propre se rapprochent d’une étape cruciale, étant donné qu’ils cherchent à structurer des accords de vente d’hydrogène qui les rendront financièrement rentables. « La question clé aujourd’hui est de savoir si nous pouvons amener les clients industriels à s’engager dans des contrats à long terme, indispensable pour obtenir des financements de projets » note Louis-Aynard de Clermont Tonnerre, Responsable Global Power, Utilities & Infrastructure chez Société Générale. « C’est LE sujet important, car si vous voulez des projets à grande échelle, vous ne pouvez pas simplement les financer avec des capitaux propres – il y a également besoin de dettes. »

Avec la structuration et le financement de grands projets, l’écosystème de l’hydrogène propre devrait croître rapidement. Les investisseurs institutionnels pourront trouver des opportunités intéressantes à travers l’ensemble de l’écosystème, y compris parmi les fabricants d’équipements, les fournisseurs de solutions, les développeurs de projets et les opérateurs d’infrastructures.
« Une fois les nouveaux projets de grande envergure lancés, ils créeront une dynamique sur l’ensemble de la chaîne de valeur et permettront à l’industrie de progresser dans sa courbe d’apprentissage », déclare Yoann Charenton. « Bon nombre d’entreprises qui fournissent de l’équipement hydrogène sont relativement petites, elles ont besoin de commandes pour s’agrandir. Nous croyons que cela devrait se concrétiser à mesure que les développeurs de projets profitent des mesures incitatives, que des programmes de soutien financier deviennent disponibles et que les normes et les lois régissant le H2 propre sont clarifiées. »
Cependant, cette tendance favorisant la croissance entraînera une concurrence accrue, y compris de la part de la Chine, ce qui stimulera à la fois la réduction des coûts et l’innovation dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Cette fluctuation pourrait entraîner un changement rapide au niveau des parts de marché. Avec une vague de fusions et d’acquisitions, les perspectives des acteurs indépendants plus petits pourraient être transformées, alors que l’industrie se consolidera pour gagner en envergure et en solidité financière.

Les investisseurs institutionnels pressentent ce point de bascule et ne veulent pas passer à côté. De nombreux investisseurs étaient ainsi présents à l’European Hydrogen Investor Day organisé par Société Générale fin mars 2023. Ils souhaitaient discuter de l’état actuel de l’écosystème de l’hydrogène et des perspectives d’avenir et également comprendre le potentiel de décarbonation de l’hydrogène et trouver de nouvelles opportunités.
Parmi eux, Alexandre Cornu, gérant d’un fonds hydrogène dédié pour CPR Asset Management (Groupe Amundi) à Paris, a déclaré : « Cette conférence était parfaitement adaptée aux thèmes sur lesquels nous nous concentrons actuellement dans le secteur de l’hydrogène, particulièrement suite aux informations provenant des États-Unis et d’Europe. La possibilité de rencontrer les dirigeants de l’écosystème de l’hydrogène est extrêmement utile et confirme les perspectives de croissance à long terme intéressantes que nous anticipons pour le secteur. »

À mesure que l’adoption de l’hydrogène propre augmente, les investisseurs bénéficient de plus d’options pour savoir où et comment investir leur capital. Pour être sur la bonne voie afin d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, environ 700 milliards de dollars d’investissements sont nécessaires d’ici 2030 – dont seulement 4 % sont actuellement engagés, selon le Conseil de l’hydrogène⁽¹⁾.  

(1) Hydrogen Insights, Mai 2023. hydrogencouncil.com/en/hydrogen-insights-2023/