Décarboner l'acier européen est plus difficile qu'il n'y paraît

12/11/2024

Christophe Roux, Responsable Metals, Mining & Industries EMEA au sein de Société Générale, explore les défis auxquels est confrontée l'industrie sidérurgique européenne dans sa transition vers la décarbonation dans un article publié dans « Mining Technology » le 25 octobre 2024.

La décarbonation de l'industrie sidérurgique européenne est considérée comme l'un des composants les plus essentiels pour une infrastructure énergétique verte sur le continent. Le plan de l'Europe peut être examiné à travers trois prismes : la pression carbone, les subventions et le soutien financier.

Le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre de l'Union européenne (SEQE) et le Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) vont augmenter les coûts des émissions carbone pour les producteurs d'acier, tout en les incitant à réduire leurs émissions. Ainsi, des producteurs tels que Acciaieria Arvedi, ArcelorMittal, Liberty Steel, SSAB, ThyssenKrupp et Voestalpine ont tous annoncé d'importants investissements dans de nouvelles installations de production. Ensemble, ils pourraient remplacer plus de 20 millions de tonnes de production annuelle par de l'acier à faible teneur en carbone.

Deuxièmement, afin d’alléger le fardeau de leurs champions nationaux, les gouvernements européens offrent d'importantes subventions pour financer les dépenses d’investissements (CAPEX) requises pour décarboner l'acier.

Troisièmement, des institutions telles que Riksgälden et Euler Hermes, ainsi que des institutions multilatérales telles que la Banque Européenne d'Investissement, déploient une combinaison de prêts et de garanties pour financer ces projets et agir comme un catalyseur pour encourager l’afflux de capitaux en provenance du secteur privé.

L'effet d'entraînement de la décarbonation se fera sentir bien au-delà de l'industrie sidérurgique, mobilisant de nouveaux projets publics, de l'ingénierie, des équipements, des infrastructures, des matériaux et des études. Au total, la transformation de l'industrie sidérurgique européenne devrait déclencher des dizaines de milliards d'investissements dans de nombreux secteurs de l'économie mondiale.

La décarbonation de l'acier européen en pratique 
 
La fabrication traditionnelle de l'acier à l'aide de hauts-fourneaux génère des émissions de gaz à effet de serre car l'oxygène contenu dans le minerai de fer est éliminé en le fixant au carbone (sous forme de charbon), libérant du dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère.

L'Europe se concentre sur le remplacement des hauts-fourneaux existants par de nouveaux fours à arc électrique (FEA) à plus faible émission de carbone, qui recyclent les ferrailles. Cependant, la production de ces ferrailles est limitée et toutes ne conviennent pas à la production d'acier de haute qualité.

L'alternative à la ferraille est le fer direct préréduit (ou DRI pour « Direct Reduced Iron »), qui élimine l'oxygène du minerai de fer en utilisant des facteurs réducteurs tels que le monoxyde de carbone et l'hydrogène, provenant du charbon ou du gaz naturel.

Afin de garantir un approvisionnement adéquat en matières premières, de nombreux producteurs d'acier prévoient d'intégrer la production de DRI et d'acier en construisant des « tours DRI » à proximité de leurs nouveaux fours.

Ces nouveaux producteurs européens intégrés de DRI-acier utiliseront principalement du gaz naturel comme agent réducteur. Ils seront ainsi en concurrence directe avec les fournisseurs de DRI du Moyen-Orient, malgré une exposition à des prix du gaz plus élevés et plus volatils.

Il faut noter que la réduction du fer avec du gaz naturel émettra toujours du CO2. Le DRI sans carbone ne peut se faire qu'en utilisant des flux réguliers de grands volumes d'hydrogène vert. Or, ces derniers ne peuvent pas être produits (ni expédiés) sur nombre des sites de nouveaux projets intégrés de DRI-acier.

L'Europe doit envisager d’autres solutions pour avancer vers la décarbonation de son industrie sidérurgique.

Décomposer la chaîne de valeur de l'acier 

Historiquement, la fusion du minerai de fer et la fabrication de l'acier étaient intégrées et situées dans des régions où le charbon était disponible. L'Europe a décidé de conserver cette approche en construisant des usines intégrées de DRI-acier, mais elle ne réussira que sur des sites où le gaz naturel et l'hydrogène vert sont disponibles à des coûts compétitifs.

Une alternative possible consistera à séparer géographiquement la réduction du fer de la production d'acier. Le DRI peut être produit dans des endroits où l'électricité bon marché, fiable et sans carbone est disponible, transformé en briquettes et expédié vers les fours à arc électrique (FEA).

De leur côté, les FEA peuvent être construits à proximité des laminoirs et des endroits où les produits sidérurgiques sont en demande. Contrairement à l'hydrogène, les briquettes peuvent être facilement transportées et stockées à faible coût.

Cette réorganisation structurelle de l'industrie donne naissance à un nouveau type de producteur indépendant qui, d'une certaine manière, produira de l'hydrogène vert et le vendra sous forme de briquettes de fer préréduit.

Améliorer l'empreinte carbone des hauts-fourneaux 

Le DRI et les FEA seuls ne pourront pas fournir les volumes d'acier nécessaires à la transition énergétique. De plus, seule une fraction de la production actuelle de minerai de fer convient à la fabrication de DRI.
La production d'acier avec un haut-fourneau reste un processus efficace qui est beaucoup moins exigeant en termes d'approvisionnement en minerai de fer.

La réduction des émissions de ces hauts-fourneaux progresse. La capture, l'utilisation et le stockage du carbone sont également une option importante à considérer. Malheureusement, ni le coût ni l'environnement réglementaire actuels ne suffisent à inciter l’investissement. Cela devrait changer.

Coûts opérationnels vs coûts en capital 

En subventionnant les investissements dans des usines de DRI et de FEA, l'Europe réduit les besoins de financement des producteurs d'acier. Mais s’agit-il vraiment d’un problème de financement?

Tant que le coût de l'électricité sans carbone, de l'hydrogène et de la capture et du stockage du carbone ne diminuera pas, la plus grande partie de la production d'acier à faible teneur en carbone en Europe sera confrontée à une concurrence internationale opérant à un niveau de coût bien inférieur.

Le CBAM de l'UE pourrait ne pas offrir une protection suffisante. Même s'il y parvenait, les efforts européens en faveur d'une infrastructure énergétique verte souffriront d'un prix de l'acier structurellement plus élevé que dans le reste du monde.

Les producteurs d'acier européens auront probablement besoin d'être davantage accompagnés pour maintenir leurs dépenses d'exploitation à un niveau compétitif, du moins jusqu'à ce que la technologie et l'expérience finissent par leur permettre de réduire leurs coûts de décarbonation.

Le financement reste un défi lorsque le flux de trésorerie d'exploitation est insuffisant, même s’il s’agit d’un petit montant résiduel. D'autre part, il y a suffisamment de capitaux disponibles pour financer des projets verts pouvant présenter une marge d'exploitation solide.

Les avantages se feront sentir bien au-delà de l'industrie sidérurgique, sur l’ensemble des secteurs consommant de l’acier qui participent à la construction de l'infrastructure nécessaire à la transition énergétique.

Publié à l’origine par Mining Technology.