Trade finance : Vers une dynamique qui accélère la transition digitale

10/04/2025

En juin 2024, la France a adopté les dispositions de la MLTER. En 2025, un décret officialisera la digitalisation du trade, apportant des avantages au commerce international. Qui sont les acteurs de cette transition digitale ? Quels défis et enjeux se présentent ? Christian Cazenove, Group Head of Trade Oversight & Advocacy, et Alena Malgina, Correspondante Trade Advocacy nous éclairent dans cette expert view.

Le commerce mondial de biens et services a poursuivi sa croissance en 2024 pour atteindre 33 000 milliards de dollars [1]. Le trade finance, qui représente près de 20% de ces flux, fournit aux entreprises des solutions documentaires pour leur permettre de mieux maîtriser leurs risques, satisfaire leurs besoins de financement et ainsi opérer en toute confiance à l’international [2]. 
Pourtant, historiquement dominé par le papier, le trade finance demeure marqué par des processus encore archaïques rendant plus que jamais nécessaire d’accélérer sa transformation digitale.

Le trade finance : Une activité archaïque encore largement dominée par le papier

Si la plupart des activités financières ont largement bénéficié au cours des dernières décennies des effets de la digitalisation, le trade finance reste ancré dans le papier. Typiquement, une transaction implique jusqu’à 36 documents et 240 copies, ce qui entraîne la création de près de 4 milliards de formulaires papier par an [3].  

A ce processus papier s’ajoute l’examen des documents afin de déterminer leur ‘’apparente’’ conformité, en lien avec un corps composé de près de 400 règles publiées par la Chambre de Commerce International (ICC), à travers un processus encore largement manuel pouvant s’étendre sur 12 à 15 jours pour une seule L/C ‘papier’.  Au total, ce recours quasi systématique du trade finance au papier rend cette activité chronophage, coûteuse et risquée, en un mot archaïque, et en total décalage vis-à-vis des besoins des entreprises. 

La raison d’un tel archaïsme tient au fait que les titres commerciaux négociables, tel le connaissement maritime, la lettre de change ou le billet à ordre, conférent à leurs porteurs des droits solides, facilement transférables (i.e. mobilisation de créance des exportateurs), et font de ces titres des documents incontournables du trade finance.  Or, les titres transférables incorporent dans l’original de leur support papier un droit (à la remise de la marchandise décrite dans le connaissement ou à la créance mentionnée sur l’effet de commerce), de telle sorte que la possession de l’original du titre est nécessaire pour exercer ce droit ou le transférer. Si la création d’un écrit électronique revêtu d’une signature également électronique est désormais aisément réalisable en droit français, assurer la possession de l’original d’un titre dématérialisé semblait insurmontable [4].  

La Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (CNUDCI) a réglé cette difficulté en élaborant, en 2017, le texte d’une Loi-type sur les documents transférables électroniques (connue sous le sigle MLETR, pour Model Law on Electronic Transferable Records), permettant d’établir, entre autres, l’équivalence fonctionnelle de la possession du titre papier par le contrôle exclusif du titre dématérialisé.  Une fois adoptée à la législation nationale, la MLETR confère à ces documents électroniques la même valeur juridique que leurs équivalents papiers et permet leur reconnaissance transfrontalière. De ce fait, en incorporant dans son système de droit les principes de la MLETR un pays rend possible l’existence dans son système juridique de titres transférables dématérialisés et rend ainsi possible la digitalisation du trade finance.

Vers un commerce digital : L'appel du G7 pour la MLETR 

Lors du Sommet du G7 à Londres en 2021, les gouvernements ont opportunément reconnu que les transactions internationales basées sur le papier constituaient une source « de retards, d’inefficacité, de fraude et d’erreurs ». Le G7 a ainsi affirmé son engagement à promouvoir la digitalisation du commerce mondial afin d’améliorer l’accès aux outils de trade finance, au profit des PME notamment, en appelant à une adoption élargie de la MLETR de la CNUDCI.

En France, les acteurs du trade finance ont rapidement reconnu l’importance des dispositions de la MLETR et ont pris l’initiative d’accélérer leur adoption dans le droit national. C’est ainsi qu’en novembre 2022, le gouvernement français a lancé ‘’une mission confiée à Paris-Europlace pour accélérer la digitalisation des activités de financement du commerce international’’. Cette mobilisation des pouvoirs publics a abouti à la publication dès juin 2023 d’un  rapport présentant 9 recommandations clés axées notamment sur l’adoption d’un cadre législatif et règlementaire favorable, le développement d’écosystèmes technologiques, l’amélioration de la coordination institutionnelle de l’industrie et le renforcement des capacités de formation. Grâce à ces travaux, la France a adoptéles dispositions de la MLETR dès juin 2024. La publication du décret d’application est attendue avant juin 2025. 
Car le trade finance dans sa version ‘digitale’ offre des avantages indéniables, tant pour les entreprises que pour les banques et au-delà pour tout l’écosystème. Ainsi le rapport ICC - Paris Europlace 2023 estime que la digitalisation pourrait générer jusqu’à 3,8 milliards d’euros de gains pour la France et jusqu’à 36 milliards d’euros à l’échelle européenne d’ici 2030.  
Les entreprises, et surtout les PME, bénéficieraient alors de délais de traitement plus courts et de coûts moindres, des gains d’efficacité de nature au total à accroître sensiblement la participation des PME dans le commerce mondial. 

Les bénéfices de la digitalisation de nos opérations de commerce international sont évidents. La digitalisation permettra à nos clients de récupérer plus rapidement leurs marchandises et leur évitera de couteux frais de stationnement. Pour un acteur intermédiaire, l'un des principaux enjeux est de faire en sorte que la documentation commerciale et logistique soit systématiquement disponible avant l'arrivée des marchandises. Lorsque la documentation n'est pas réceptionnée à temps par nos clients, nous finissons toujours par prendre des frais à notre charge. Un autre enjeu est de diminuer nos coûts d'expédition de documents originaux par messageries sécurisées. En effet, le coût annuel de ces expéditions de documents représente plusieurs centaines de milliers d'euros. Franck DESCHAMPS – Head of Trade Finance, SNETOR.

Défis Digitaux : Interopérabilité et Harmonisation 

L’écosystème trade finance fait aujourd’hui face à deux défis majeurs dans sa transition digitale.  D’abord, la question de l’harmonisation juridique internationale demeure. Bien que la France soit sur le point d’avoir franchi cette étape majeure, seuls dix pays auront à ce jour adopté les dispositions de la MLETR, dont notamment Singapour (2021) et le Royaume-Uni (2023). 

Une deuxième difficulté à laquelle se heurte l’industrie est le manque d’interopérabilité entre les plateformes technologiques. Cette situation entraîne le maintien « d’îlots numériques » - des solutions isolées adoptées par des groupes restreints d’acteurs, compliquant la mise en échelle de la digitalisation. Le défi de l'interopérabilité s'étend également à son interprétation sémantique ainsi qu’à la compatibilité des processus opérationnels. Un dialogue actif entre les banques, les fintechs, les armateurs et les institutions étatiques est en cours afin d’adopter des standards d’interopérabilité à l’échelle de l’industrie et permettre un échange efficace de documents digitaux et de données. 

De grands défis en 2025 et au-delà 

Sur le plan législatif 

Les avancées en matière de trade digital sont bien tangibles : en témoignent l’accélération ces dernières années du nombre d’initiatives afin de transformer en profondeur tout l’écosystème vers davantage de digitalisation. 

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Ainsi l’ICC multiplie ses efforts à l’international pour atteindre son objectif (très) ambitieux de 100 « pays MLETR » d’ici 2026. Si l’adoption législative avance à un rythme plus lent que souhaité, de plus en plus d’Etats s’engagent dans ces discussions et la dynamique est clairement positive.  En Europe, après l’adoption par le Royaume-Uni et la France, nous nous réjouissons des dialogues prometteurs ayant cours aux Pays-Bas, en Allemagne, Italie et Espagne. Un élan fort existe également en région APAC. 

La région MENA n’est pas en reste. Ainsi plusieurs ateliers et conférences sur la MLETR et la digitalisation du commerce se sont tenus au Maroc, au Qatar et en Egypte qui pourraient être parmi les prochains pays à initier des réformes juridiques.  Cependant une préoccupation demeure : malgré leur utilisation importante d’instruments documentaires de l’ICC, trop de pays africains ne témoignent pour l’instant qu’un intérêt limité afin d’accélérer la digitalisation de leur écosystème. 

En France, les acteurs de l’industrie attendent avec impatience la publication du décret d’application ; Un décret clé de nature à permettre la transition des expérimentations vers les premiers cas d’usage concrets de corridors digitalisés. 

Sur le plan des plateformes et des enjeux d’interopérabilité 

D’un point de vue technologique, la réflexion sur les plateformes à adopter reste encore insuffisamment mûrie. Si les avancées sur l’interopérabilité des flux documentaires entre les différentes plateformes progressent et illustrent, via les PoC (cf. infra), un écosystème en pleine mutation, les incertitudes demeurent concernant les solutions technologiques à privilégier. Si 2024 a été marquée par de nombreux PoCs (Proofs of Concept), 2025 doit à présent voir se développer les cas d’usage, ouvrant la voie à un écosystème trade finance digital en France. 

Seules certaines banques, Société Générale en particulier, et quelques compagnies maritimes font preuve de volontarisme. Les fintechs sont bien évidemment à l’œuvre mais l’ensemble de l’écosystème reste attentiste. Franck DESCHAMPS – Head of Trade Finance, SNETOR. 

Contribuer à l’Avenir Digital 

Pleinement engagée, dès son lancement, à l'initiative ICC - Paris Europlacepour accélérer la digitalisation des activités de financement du commerce international’’, animateur du groupe de travail Advocacy de cette même initiative, Société Générale explore avec ses clients corporate, ses pairs, et les représentants de tout l’écosystème les solutions les plus favorables à la digitalisation du trade finance. 

Les domaines sur lesquels nous nous devons d’avancer rapidement sont les e-B/L, les e-L/C et les remises documentaires digitales. […] D'ici quelques mois, tout sera mis en œuvre pour commencer à déployer de nouvelles méthodes de travail partout où ce sera possible. Clairement, le chemin sera long et il faudra beaucoup de patience et d'énergie pour convaincre nos partenaires et pour trouver des corridors permettant ce déploiement. Franck DESCHAMPS – Head of Trade Finance, SNETOR

Toutefois, force est de reconnaître que le rythme du changement au sein de l’industrie reste plus lent qu’espéré.  Aussi appartient-il à tout l’écosystème d’accélérer sa transformation (i) en encourageant l’adoption de cadres réglementaires favorables, inclus les standards promus par ICC DSI (i.e. KTDDE), (ii) en poursuivant les efforts de dialogue au sein de l’industrie, en particulier avec les fintechs afin d’identifier les solutions interopérables les plus efficaces, et (iii) en renforçant la coopération entre institutions financières dans toutes les géographies et atteindre, enfin, le seuil critique à partir duquel la digitalisation pourra s’imposer. 

Article écrit par Christian Cazenove, Group Head of Trade Oversight & Advocacy, en collaboration avec Alena Malgina, Trade Advocacy Correspondent


Liens utiles
1. 
UNCTAD. (2024). Global Trade Update (December 2024)
2. 
Wolfsberg Group, International Chamber of Commerce (ICC), & Bankers Association for Finance and Trade (BAFT). (2019).Trade finance principles: 2019 amendment. 
3. 
Fletcher, A. (2019). Forget the paper trail — blockchain set to shake up trade finance. Financial Times
4. Avec l’aimable contribution de Maître Dominique DOISE, Avocat associé - VATIER.
5. 
G7. (2021). G7 Trade Ministers’ Communiqué
6. 
ICC. (2022). Défis et opportunités de la digitalisation du commerce international – Livre blanc 2022. 
7. 
ICC – Paris Europlace. (2023) “Accélérer la digitalisation des activités de financement du commerce international" et sa traduction en langue anglaise "Speeding up the digitalization of Trade Finance". 
8. 
ICC UK. Creating a modern digital trade ecosystem
9. 
UNCITRAL. Model Law on Electronic Transferable Records (MLETR)
10. 
ICC DSI. (2024). Key Trade Documents and Data Elements. 
11. 
Loi 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France (cf. titre II)