Vers un secteur du transport maritime décarboné
3 questions à... Paul Taylor Quel pourrait être l'avenir à faible émission de carbone pour l'industrie maritime ? Paul Taylor, Responsable Industries Maritimes, Société Générale, envisage la façon dont il pourrait accélérer la transition énergétique mondiale de manière inattendue.
1. Quel est le rôle les industries maritimes dans la croissance de l'économie mondiale ?
On peut sans éxagérer considérer que le secteur maritime est l'épine dorsale de l'économie mondiale. 11 milliards de tonnes de marchandises sont transportées par mer chaque année. Cela représente 1,5 tonnes par personne, sur la base de la population mondiale actuelle. Près de 90 % du commerce mondial est transporté par des navires sur les océans, ce qui contribue chaque année à l'économie mondiale pour 350 milliards de dollars, rien qu’avec les taux de fret.
Le secteur du transport maritime regroupe de nombreux éléments de la chaîne d'approvisionnement internationale par le biais du transport de biens de consommation (1,95 milliard de tonnes métriques par an), de matières premières sèches (1 milliard de tonnes par an de minerai de fer, 350 millions de tonnes par an de céréales, etc.) ou des 2 milliards de tonnes par an de pétrole brut ou de produits pétroliers raffinés. Le transport maritime représente 80 % des exportations et importations totales en volume pour l'Europe, et environ 50 % en valeur. Le transport des matières premières permet ainsi aux pays de créer des industries, de construire de nouvelles villes, de loger des populations et de transformer les ressources en produits raffinés pour les exporter. Il permet également le développement des pays émergents et accompagne l’ensemble des économies dans le développement de chaînes logistiques sophistiquées.
2. Comment l'industrie maritime s'adapte-t-elle et innove-t-elle avec la transition énergétique ?
Le secteur du transport maritime est confronté à son plus grand défi alors qu'il vise des objectifs climatiques ambitieux fixés par l'OMI (Organisation maritime internationale), afin d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Si les parties prenantes ne s'unissent pas et n’innovent pas dans un avenir de carburants à faible ou zéro émission de carbone, tout en mettant en place des mesures d'efficacité opérationnelle tout au long de la chaîne d'approvisionnement, la part actuelle du secteur dans les émissions mondiales de CO2 de 2,6 % pourrait grimper à 15 % d'ici à 2050.
Le secteur s’écherche à s’éloigner des combustibles fossiles à forte teneur en carbone pour adopter des combustibles neutres en carbone ou renouvelables tels que le méthanol vert, l'ammoniac vert, le GNL bio ou synthétique et l'alimentation par batterie afin de réduire les émissions en mer, ainsi que dans et à proximité des ports. Toutes les parties prenantes (armateurs, compagnies d'affrètement, opérateurs portuaires, chargeurs, fournisseurs de carburant, etc.) doivent s'unir pour trouver des solutions qui permettront au secteur de se décarboner conformément à ces grandes ambitions. Peu de ces carburants existent aujourd'hui, car l'énergie renouvelable nécessaire pour produire les carburants verts n'existe pas en quantité suffisante pour alimenter le secteur du transport maritime.
Cependant, le secteur du transport maritime travaille d’ores et déjà sur des « corridors verts » afin de construire les navires et les infrastructures nécessaires pour garantir l'approvisionnement en carburants verts sur des routes maritimes spécifiques de manière réaliste et à court terme. Les efforts du secteur seront soutenus par l'OMI et les autorités européennes sous la forme de nouvelles taxes carbone imposées aux armateurs et aux affréteurs (commele système d'échange de quotas d'émission (ETS) et le Fuel Maritime EU), tout en attribuant des notes d'efficacité CII à chaque navire, avec d'éventuelles pénalités pour les navires non conformes.
Alors que le secteur du transport maritime suit sa propre trajectoire, il est intéressant de noter le rôle clé qu'il joue pour faciliter la transition énergétique d'autres secteurs. Ainsi, de gigantesques cargos transportent des véhicules électriques de l'Asie vers l'Europe, et les navires d'installation de parcs éoliens contribuent à la poursuite du développement mondial de ces infrastructures, conformément aux objectifs climatiques ambitieux.
De plus, de nouveaux marchés maritimes innovants, tels que le transport du CO2, permettent aux émetteurs industriels d'atteindre leurs objectifs de décarbonation grâce au CCUS (captage, utilisation et stockage du carbone). Par ailleurs, le transport de l'ammoniac par navires spécifiques devrait devenir un marché important dans les décennies à venir, avec le développement mondial de l'ammoniac vert pour atteindre les objectifs climatiques du Net Zero. Ces transports ne seraient tout simplement pas possibles par la route, le rail ou l'aérien. Le transport maritime constitue lui, un mode de transport sûr, sécurisé et efficace qui fait avancer l'économie mondiale.
3. Quel est l'impact des ccadres normatifs mondiaux comme les Principes de Poséidon sur le secteur du transport maritime ?
Les Principes de Poséidon constituent le premier accord entre banques visant à évaluer l'empreinte environnementale de leurs portefeuilles d'investissement dans le secteur du transport maritime et à contrôler les performances chaque année. Les initiatives volontaires de ce type sont efficaces car elles créent des normes élevées en matière de gestion de l'environnement, ce qui contribuera à prioriser le volume de capitaux de plus en plus limité investi dans le secteur du transport maritime.
Les portefeuilles de transport maritime des banques peuvent, dans un premier temps, ne pas être alignés sur les objectifs de l'OMI. Cependant, une plus grande rigueur dans l'octroi des prêts garantira que les capitaux destinés au transport maritime sont affectés en priorité aux armateurs qui font la preuve de leur engagement en faveur de la transition énergétique : via leurs investissements dans de nouveaux navires sans émission de carbone et dans la modernisation de leurs navires existants pour qu'ils répondent aux normes de l'OMI en matière d'émissions. Ainsi, les banques réaligneront progressivement leurs portefeuilles de prêts conformément aux ambitions de l'OMI et aux exigences plus larges de la NZBA pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.
Bien que les principes de Poséidon respectent les forces du marché, de sorte que chaque banque est libre d'organiser les financements qu'elle souhaite, le réalignement des portefeuilles pour atteindre des objectifs climatiques plus larges ne sera possible à long terme qu'à travers un changement important dans le processus d'octroi des prêts par les banques. Les conditions générales du marché du transport maritime auront un impact sur l'efficacité des navires, et les rapports annuels des banques démontrent de manière transparente comment ces dernières, individuellement et collectivement, se rapprochent de leurs objectifs. Aujourd'hui, les Principes de Poséidon se concentrent uniquement sur la décarbonation mais, en tant qu‘organisation la plus puissante du secteur, d'autres questions importantes telles que le démantèlement des navires, le bien-être des équipages et la biodiversité pourraient également être prises en considération à l'avenir.