L'équilibre de l'investissement ESG

10/02/2025

Au cœur de l'investissement durable se trouve un défi fondamental : les investisseurs sont de plus en plus vigilants quant à l’évaluation et la gestion des risques, tandis que les entreprises sont plus que jamais sous pression pour fixer des objectifs de durabilité ambitieux.

Dans le même temps, les décideurs politiques et les régulateurs tentent de s'assurer que toutes les parties font ce pour quoi elles se sont engagées. En Australie, les normes de rapport sur la durabilité australienne (Australian Sustainability Reporting Standards – ASRS1) ont été publiées début 2025. 

Le besoin d'une approche crédible n'a jamais été aussi important. L'écart d'émissions - la différence entre les émissions réelles et les niveaux conformes aux objectifs - reste élevé. 

Les plans actuels de lutte contre le changement climatique des pays prévoient un écart d'émissions en 2030 équivalent à 22 gigatonnes de CO2, un écart supérieur à ce qui serait nécessaire pour limiter le réchauffement à 1,5 degré au-dessus des niveaux préindustriels2.Et cet écart s'élargit à 29 en 2035, et 36 en 2050. 

Difficile, mais réalisable 

Comment les entreprises fixent-elles leurs objectifs, et qu’en pensent les investisseurs ? Les investisseurs attendent que les entreprises atteignent, dans le cadre de leurs propres activités, des objectifs exigeants basés sur des données scientifiques. Or, les entreprises veulent avant tout que ces objectifs soient atteignables. 

« Pour tout plan de transition, nous attendons de l’entreprise qu’elle mette l’accent sur ce qu’elle contrôle et ce qu'elle fait pour s'attaquer à ces problèmes, » déclare Kate Turner, Responsable de l'investissement responsable chez First Sentier Investors. « Pour ce qui échappe à son contrôle, nous voulons comprendre ce qu'elle fait pour influencer, et donc jouer indirectement un rôle dans la réduction des émissions. » 

Auparavant, beaucoup d'entreprises fixaient des objectifs à l’instar de leurs concurrents. Aujourd'hui, plus d'attention est portée aux détails, et même celles qui fournissent le plus d’efforts pour réduire leur impact constatent qu'elles doivent revoir leurs plans. 

« En cinq ans, les engagements ESG sont passés du statut d'informations financières non matérielles à matérielles, du rapport de durabilité au rapport financier de l’entreprise, » déclare Zoe Whitton, Responsable de la stratégie et de l'impact chez Pollination, entreprise d'investissement et de conseil sur le changement climatique. « Ce qui veut dire qu’un grand nombre d'objectifs vont être revus à l’aune de normes et standards plus précis. »

Vu sous cet angle, ces changements ne sont pas le signe d’un retour en arrière mais plutôt celui d’une trajectoire plus proche de la réalité. La nouvelle génération d'objectifs est probablement plus réaliste qu'auparavant. Exemple récent : Unilever a révisé son objectif d'utilisation de plastique vierge pour 2025, expliquant son besoin de plus de temps et d'un changement systémique3

Le défi des données 

Le marché des dettes émises dans le cadre de ces objectifs continue de se développer. À fin septembre 2024, le nombre total d’émissions de titres verts, sociaux, de durabilité et liés à la durabilité (GSS+) avait atteint 6,6 billions de dollars américains4

Les obligations explicitement « labellisées » ont facilité la vie de l'investisseur, mais l’ont aussi rendue plus difficile. D'un côté, elles publient des informations pour étayer leurs engagements ; mais de l’autre, l'analyse de ces informations publiées a sensiblement augmenté la charge de travail des investisseurs. 

L'un des plus grands défis pour les investisseurs intéressés par la durabilité reste celui des données. Adrian David, Directeur chez Macquarie Asset Management, dit que le marché labellisé a contribué à la standardisation, mais note aussi qu'il reste beaucoup de travail manuel. 

« La difficulté pour un investisseur en crédit est qu'un grand nombre d'émetteurs sont des entreprises privées, dont la publication des données est très différente de celle des entreprises cotées, » dit-il. « Parfois, on a l'impression de vivre il y a 20 ans d'un point de vue des données. » 

À mesure que les données deviendront plus faciles d’accès, le prochain défi sera la capacité à les traiter. Beaucoup d’espoirs reposent sur l'intelligence artificielle (IA) pour y parvenir. 

« Nous sommes aux balbutiements de l’usage de l'IA, » dit Turner. « Mais nous espérons qu'elle contribuera à alléger la lourdeur du fardeau réglementaire, et que nous pourrons l'utiliser pour traiter toutes les données que nous devrons recueillir. » 

Compromis entre rendement et intégrité 

Depuis leur création, les instruments financiers liés à la durabilité ont poussé les investisseurs à se poser la question du compromis entre rendement et intégrité. Si réduction des émissions implique réduction de la consommation, cela soulève la crainte d'une baisse de la croissance, par exemple. 

« Dans le contexte du marché obligataire australien, une bonne partie des obligations les plus largement négociées dans l'Investment Grade le sont parce qu'elles comportent des risques ESG » dit David. « Une entreprise dont l’empreinte carbone est particulièrement importante ou qui a rencontré des problèmes de gouvernance se négociera plus largement qu'une autre entreprise à risque de crédit similaire. » 

La question du rendement est souvent une question de perspective. De nombreuses entreprises transfèrent leurs futures dépenses opérationnelles aux dépenses de capital d'aujourd'hui - par exemple, elles économiseront leurs dépenses de carburant en passant à une flotte électrique. De telles dynamiques entraînent la « greenflation ». Mais se concentrer sur les coûts de la transition, c’est ignorer l'impact de l'inaction. 

« Nous avons récemment rencontré des investisseurs à Canberra et un gestionnaire de fonds actions a dit que leurs modélisations suggèrent un impact de 10 % sur le PIB d'ici 2050 si nous ne faisons rien », dit Whitton. Et le changement climatique physique est inflationniste parce qu'il érode la productivité des actifs. 

Le défi de la croissance et de l'inflation existe, que le monde agisse ou non. Mais sur le long terme, une seule option est durable.

 

 

1. https://treasury.gov.au/consultation/c2022-340878
2. https://www.unep.org/resources/emissions-gap-report-2023
3. https://www.unilever.com/news/news-search/2024/how-were-aiming-for-greater-impact-with-updated-plastic-goals/
4. https://www.climatebonds.net/files/reports/cbi_mr_q3_2024_01c.pdf