La digitalisation du commerce international, une opportunité pour développer la pratique du forfaiting
Depuis le développement des lettres de change par les marchands et banquiers Vénitiens, le forfaiting n’a que très peu évolué. Pourtant, ce mode de financement des exportations est aujourd’hui à l’aube d’une profonde révolution, grâce à la digitalisation du commerce international. Un contexte idéal pour le rendre plus largement accessible ?
Les effets de commerce (lettres de change ou billets à ordre) n’ont pas traversé les siècles par hasard : ce sont des moyens de paiement relativement simples (seules quelques mentions suffisent) et très puissants (grâce à l’obligation inconditionnelle et irrévocable de paiement, indépendant de la relation commerciale sous-jacente), tout en étant particulièrement efficaces puisque leur propriété peut être facilement cédée à un tiers (dont une institution financière).
Ces effets de commerce peuvent ainsi offrir des solutions de crédit, grâce à la pratique de l'escompte. On parle de “forfaiting” lorsque cet escompte est sans recours - c’est-à-dire que la banque supporte in-fine le risque de non-paiement à échéance. La pratique du forfaiting est bien développée dans de nombreuses régions du globe - en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Europe du Nord et dans certains pays d’Asie, en particulier - et elle connaît un regain d’intérêt récent avec la digitalisation progressive du commerce international.
Un outil de financement, mais pas seulement
Il faut dire que le forfaiting représente de nombreux avantages pour les acteurs qui y ont recours. En premier lieu, il permet de financer des besoins de trésorerie à court terme - comme le besoin en fonds de roulement et/ou l’extension de termes de paiement - et des investissements à long terme - notamment dans le cadre d’investissement dans des actifs immobilisés tels que des turbines d’éoliennes, des panneaux solaires, des machines industrielles, des antennes 4G/5G, etc.
Mais ce n’est pas seulement un levier de financement : il permet également aux exportateurs de se prémunir de certains risques liés au commerce international en sécurisant leurs opérations. L’escompte sans recours vient apporter une couverture contre le risque commercial - un défaut de paiement de l’acheteur - mais aussi contre les risques pays et les éventuels risques de change.
Pour un fournisseur, le recours au forfaiting peut aussi constituer un argument supplémentaire dans une négociation commerciale, puisqu’il permet de proposer à ses clients des modalités de paiement plus souples et décalées dans le temps. Au passage, il peut aussi être utilisé à la demande d’un acheteur désireux d’étendre les termes de ses paiements et/ou de consolider ses relations commerciales avec ses fournisseurs dans le cadre d’un “reverse forfaiting”. Enfin, c’est aussi un outil comptable puissant, puisque - sous réserve de l'approbation du commissaire aux comptes - il peut être déconsolidant et permettre de sortir de l’actif de la société cédante ses créances clients.
En somme, le forfaiting représente donc une solution souple, capable de répondre aussi bien à des besoins de financement simples que plus complexes. Qui plus est, il peut être associé à d’autres outils pour structurer et sécuriser l'opération. A la clé, de multiples avantages en termes financiers, comptables et commerciaux.
Des procédures papier en voie de digitalisation
Néanmoins, en dépit de tous ses atouts, le développement du forfaiting reste encore limité par un frein majeur : il repose encore fortement sur un formalisme papier, puisqu’il implique la transmission par voie postale des effets de commerce originaux, les seuls documents actuellement opposables auprès des tiers. Conséquence : des processus de traitement lourds, qui peuvent prendre du temps lorsque l’acheteur et le fournisseur sont localisés dans des pays différents. Sans compter les risques opérationnels (pertes, délais, fraude...).
Pour autant, cette limite est en passe d’être progressivement levée grâce à la digitalisation du commerce international, puisque les technologies numériques - dont la blockchain - permettent désormais de répliquer en digital les attributs propres aux effets de commerce physique, en particulier leur unicité et les droits de propriété qui leurs sont rattachés.
Dans le même temps, partout dans le monde la MLETR (pour “Model Law on Electronic Transferable Records” ou “Loi type sur les documents transférables électroniques”), établie en 2017 par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) pour fluidifier les échanges documentaires dans le commerce international, est en effet en cours de transposition dans les législations locales.
Une dizaine de pays - dont la Grande-Bretagne et Singapour - l’ont déjà mise en œuvre, tandis qu’en France, son entrée en application est imminente. Société Générale suit très attentivement l’évolution des différentes réglementations et travaille d’ores et déjà sur de premiers pilotes.
Vers une expérience radicalement différente
Cette digitalisation des effets de commerce signifie qu’à terme, une lettre de change pourra être émise, acceptée, endossée et escomptée en l’espace de quelques heures, et non plus en jours ou parfois semaines. Société Générale - en tant qu’institution financière – aura ainsi la possibilité de financer les fournisseurs bien plus rapidement, avec des risques opérationnels limités par la transmission, la validation et le stockage informatiques des documents.
Pour le client, ce sera une expérience radicalement différente, avec un levier de financement bien plus rapide et plus simple à mettre en œuvre, ainsi qu’une procédure beaucoup plus transparente et, in fine, moins coûteuse. Le forfaiting devrait ainsi devenir accessible à un panel plus large d’entreprises et intégrer la boîte à outils de tous les responsables financiers des grands groupes… et - espérons-le - contribuer également à dynamiser les exportations et les échanges mondiaux.