De la vanille contre du vert : le rôle croissant de l’ESG dans le financement du commerce international
La finance durable est solidement ancrée dans les marchés des prêts et des obligations, mais quelle place occupe-t-elle dans le monde du commerce international ? Nos experts Charline Profillet, Deputy Head, Structured Trade Finance, et Marie-Gabrielle de Drouas, Head of ESG Global Transaction Banking, mettent en lumière son rôle croissant.
Le financement du commerce international est un ajout plus récent à la famille des produits de finance durable. Mais comme les activités de financement du commerce sont souvent liées au développement de projets physiques ayant un impact environnemental et social, de plus en plus d’entreprises acceptent leurs responsabilités vis-à-vis d’une base très large de parties prenantes. Selon Charline Profillet, cela suscite de plus en plus d’intérêt pour les solutions de financement durable liées au commerce international.
La raison pour laquelle le financement du commerce international est en retard par rapport aux marchés des prêts et des obligations à cet égard, note-t-elle, est simple. Aux premiers stades du développement du marché, il y avait un manque de « normes de marché fortes et dédiées » capables de définir clairement une transaction de financement de commerce comme durable, et donc de soutenir la croissance du marché. Mais c’est en train de changer.
La standardisation par le biais de cadres créés par des organismes légitimes, tels que la Loan Market Association (LMA), renforce la clarté et la certitude autour des solutions de finance durable, explique Mme Profillet. Les utilisateurs finaux ont davantage confiance dans le fait que les produits financiers développés en vertu de ces cadres seront conformes à leurs propres objectifs et valeurs de durabilité. Ainsi, de plus en plus d’entreprises se sentent enclines à les utiliser.
L'histoire en devenir
Depuis 5 ans, Société Générale accompagne ses clients dans leur transition et, plus globalement, dans leur parcours durable à travers le financement du commerce. À titre d’exemple de solution liée au développement durable, si le volume de CO₂ généré par un client sur une base annuelle et mesuré à travers ses scopes 1, 2 et 3 est réduit conformément à ce qui a été convenu dans la documentation légale de financement du commerce, la tarification des instruments de financement du commerce associés sera abaissée en conséquence. « C’est un moyen d’inciter nos clients à améliorer leur performance environnementale et sociale (E&S) », commente Mme Profillet.
Bien que Société Générale ait été l’une des premières banques parmi un groupe restreint de banques à commencer à travailler sur ce front en 2019, ce groupe s’est depuis développé. Cela a été soutenu par l’adaptation des Principes applicables aux prêts verts (GLP) de la Loan Market Association (LMA) et de la Loan Syndications and Trading Association (LSTA) et des Principes applicables aux prêts liés au développement durable (SLLP), qui couvrent désormais formellement les facilités de financement du commerce. Comme la plupart des banques semblent adopter une approche comparable pour leurs produits, le secteur commence à se regrouper autour de la même idée.
Notre modèle d’entreprise vise une croissance durable en cohérence avec le processus de transition du système énergétique, dans lequel nous jouons un rôle primordial. En finance, notre objectif est de maintenir un financement de 90 % par la finance durable d’ici 2026. Nous nous engageons à atteindre nos objectifs ESGet à mettre en œuvre toutes les stratégies possibles pour une transition énergétique complète, en tant que producteur indépendant d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables en première ligne dans la lutte contre le changement climatique. Nous avons collaboré avec succès avec Société Générale pour transformer notre facilité de financement du commerce en une facilité de financement du commerce hybride verte liée au développement durable, qui s’inscrit dans une vision intégrée de la finance durable, car la plupart des garanties émises sont étroitement liées à notre activité et à nos actifs.
Elena Sanguineti, Responsable de la trésorerie et des garanties MLT, Erg S.p.A.
Un grand pas en ce sens, note Mme Profillet, vient de la Chambre de commerce internationale (ICC) et de ses Principles for Sustainable Trade: Wave 2 (Principes pour un commerce durable : Vague 2). Alors que les SLLP, les GLP et la taxonomie beaucoup plus large de l’UE sont des cadres financiers généraux avec des adaptations pour le financement du commerce, la Vague 2 de l’ICC est, dès le départ, dédiée au financement du commerce. Elle intègre les composantes appropriées des autres cadres pour, selon les propres mots de l’ICC, « fournir un cadre pour évaluer à la fois la durabilité environnementale d’une transaction et la manière dont elle soutient le développement socio-économique durable ».
Pour atteindre sa phase actuelle, l’ICC travaille depuis deux ans sur un programme pilote, aux côtés d’un panel de plus de 30 banques et entreprises, et du Boston Consulting Group. L’objectif est de définir un cadre mondial, ainsi qu’un éventail complet de définitions, pour les opérations de financement du commerce durable. En s’ouvrant progressivement à d’autres industries et secteurs dans le cadre de la Vague 3, le projet pilote devrait évoluer vers une solution globale commune.
L’un des derniers obstacles identifiés est l’utilisation plus large par les partenaires commerciaux de la documentation commerciale numérique. L’acceptation transfrontalière est progressivement abordée par l’eUCP, le règlement supplémentaire de l’ICC régissant les Règles et Usances Uniformes relatives aux Crédits Documentaires (UCP), et la Loi Type sur les Documents Transférables Électroniques (MLETR) des Nations Unies, cette dernière conférant à la documentation commerciale numérique la même valeur juridique que son homologue papier.
Ajout de l'attrait
Bien que ce processus soit en cours, le calendrier des résultats attendus demeure incertain. D’autres facteurs doivent être pris en compte pour s’assurer que le financement du commerce durable est une option crédible. Selon Marie-Gabrielle de Drouas, ces facteurs sont la fiabilité, la transparence, la rigueur et la rareté.
En ce qui concerne la fiabilité, elle estime que chaque banque participante doit présenter une approche cohérente et robuste, qui démontre que l’impact négatif potentiel des projets sous-jacents couverts par les garanties a été analysé et atténué, et que l’impact positif a été mesuré. Plus les banques seront transparentes sur leur approche, plus les pratiques seront cohérentes. C’est pourquoi Société Générale a créé et publié en externe son propre Sustainable GTB Framework, un cadre détaillé d’une quarantaine de pages. « Nos clients nous ont contactés pour en savoir plus sur notre cadre et pour comprendre et voir les possibilités qu’il offre. »
Nous avons collaboré avec succès avec Société Générale pour signer un accord d’utilisation de la ligne de crédit existante afin d’émettre des garanties vertes. Grâce à leur méthodologie de qualification applicable aux solutions de financement du commerce, nous avons pu trouver un terrain d’entente entre les critères d’éligibilité de notre cadre de finance durable et les exigences du cadre relatif aux activités de Global Transaction Banking de Société Générale, afin de qualifier nos garanties couvrant des projets ayant un impact environnemental positif comme vertes.
Patricia Gentile, Group Head of Finance and Insurance, A2A
La publication du Sustainable GTB Framework suscite également des commentaires de la part des pairs de la banque. « C’était moins attendu, mais nos partenaires bancaires, à l’instar de nos entreprises clientes, sont désireux de comprendre comment nous avons créé un framework crédible, avec des critères d’éligibilité considérés comme presque entièrement alignés sur la taxonomie de l’UE », commente Mme de Drouas. La notion de vert étant quelque peu variable entre les différentes régions du monde, Mme de Drouas appelle également les banques mondiales à « rester strictes quant aux exigences de ce qui peut être considéré comme vert ».
Dans cette optique, elle révèle que Société Générale est un élément vocal des discussions d’ICC France, fournissant des retours précieux sur la défense de ces exigences. « Nous pensons que les initiatives du marché devraient aller plus loin et introduire des incitations autour du financement du commerce durable, car c’est clairement ce qui est nécessaire pour l’aider à mûrir. »
L’influence positive de l’ICC sur la communauté des affaires incite les membres à se tenir au courant du changement. Mais il est utile de trouver un terrain d’entente entre les initiatives de différentes régions, Mme de Drouas faisant remarquer que les taxonomies chinoise et européenne, par exemple, ont de nombreux éléments en commun. Bien sûr, en tant que banque mondiale, elle affirme que Société Générale est favorable à la recherche d’une approche mondiale commune, car ses clients les plus importants couvrent plusieurs territoires. Mais elle ajoute que « toute évolution réglementaire permettant une approche unifiée est absolument essentielle en termes d’adoption ».
Travaillant dans l’univers ESG depuis près de vingt ans, Mme de Drouas a vu un nombre croissant de particuliers et d’entreprises changer de façon volontaire. Toutefois, elle comprend qu’à ce stade du développement du marché, les initiatives volontaires à elles seules peuvent ne pas suffire à atteindre le niveau de progrès requis. « Les incitations financières facilitent les choses, mais le temps a montré que la réglementation reste encore le moyen le plus rapide. »
Un basculement au bon moment
Le financement du commerce vert et lié au développement durable s’inscrit dans le cadre plus large de la manière dont le financement du commerce peut accompagner la transition de nos entreprises clientes.
La notion de financement de la transition émerge mais a des définitions différentes. La Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) indique que le terme se rapporte au financement et aux produits connexes nécessaires pour accompagner la transition des clients dans tous les secteurs. D’autres cadres ciblent les secteurs difficiles à décarboner. Il est clair que les différentes initiatives doivent clarifier ce qu’est le financement de la transition.
Cependant, suggère Mme de Drouas, les parties prenantes ne devraient pas attendre qu’une norme de marché adaptée arrive à maturité. Société Générale a déjà commencé à identifier, secteur par secteur, les types d’activités capables d’accompagner la transition de ses clients et les besoins de financement associés. Elle a également lancé un fonds de 1 milliard d’euros en 2023 pour accompagner la transition des clients par le biais de la dette et des actions. « Cela a donné lieu à des discussions nouvelles et innovantes avec les clients, y compris dans le secteur du commerce, sur la manière dont ils doivent effectuer leur transition et dont ils sont impactés à l’échelle mondiale par la transition de leur chaîne de valeur globale », révèle-t-elle.
La transition E&S peut servir de base solide pour le développement de nouvelles activités commerciales. En effet, à l’instar de nombreuses industries traditionnelles qui cherchent à effectuer leur transition et qui trouvent des opportunités novatrices en cours de processus, Mme de Drouas note que de nouvelles industries émergent également.
Les banques ne sont pas les seules à soutenir ces secteurs émergents, note Mme Profillet. « Nous constatons un soutien croissant des organismes publics, soit directement des gouvernements, soit par le biais d’agences de crédit à l’exportation, par exemple. Bien sûr, cela permet de garantir la contribution bancaire à ces entreprises, ce qui favorise une plus grande exposition et un plus grand soutien à leur secteur. »
Les données indiquent la voie à suivre
Le soutien réussi de tous les secteurs et industries engagés dans le financement du commerce durable dépend fortement de l’accessibilité et de la qualité des données, commente Mme Profillet. « Les données sont essentielles d’un point de vue commercial, car c’est un moyen pour nous d’offrir à nos clients des solutions innovantes supplémentaires, qui vont plus loin dans leur trajectoire E&S. »
Dans cette optique, Société Générale explore des opportunités avec certaines fintechs clés qui peuvent apporter différents services de données ESG à valeur ajoutée et qui complètent le dispositif de la banque.
Un ensemble de données plus large est également essentiel pour aider les banques à suivre les progrès réalisés par rapport aux engagements qu’elles ont pris en matière d’ESG. « La Net-Zero Banking Alliance (NZBA) marque une transformation majeure pour notre portefeuille », note Mme de Drouas. « Nous avons besoin de données actuelles pour voir non seulement que nous sommes là où nous devons être maintenant, mais aussi que nous allons dans la bonne direction dans ce domaine qui continue de se développer rapidement. »
En effet, pour satisfaire à des exigences réglementaires de plus en plus strictes et pour répondre aux questions plus pointues des investisseurs, il faut un volume de données considérable qui ne cesse d’augmenter, poursuit-elle. « Nous utilisons des informations partagées dans l’ensemble du groupe, des données collectées au niveau des transactions des clients ainsi que des données de tiers. Tout cela doit être complet et fiable. » Comme l’observe Mme de Drouas : «Nous travaillons main dans la main avec différentes parties prenantes. Nous sommes loin de là où nous avons commencé il y a des années, mais le voyage ne fait que commencer.»