Des cycles plus courts et plus volatils
Les titres de presse relatant les pénuries de biens et d'intrants de production sont devenus quotidiens et, même avec une certaine amélioration sur le front sanitaire, les articles faisant état de diverses frictions et de flambées de prix ne semblent guère diminuer.
Un examen approfondi révèle toutefois une évolution des causes sous-jacentes, avec des changements plus durables liés à l'organisation des chaînes d'approvisionnement, aux nouveaux modes de vie, à la digitalisation, à la transition climatique et au cadre politique général. Nombre de ces changements étaient déjà en cours avant la Covid-19, mais la crise semble avoir eu un effet accélérateur, ce qui laisse penser que les frictions pourraient être là pour un bon moment.
Les arrêts soudains et les réouvertures rapides, dus aux flux et reflux difficilement prévisibles de la pandémie, ont mis à mal les chaînes d'approvisionnement mondiales allégées qui ont vu le jour au cours des dernières décennies. En outre, des comportements préventifs, avec la constitution de stocks, aggravent sans aucun doute certains de ces problèmes. De manière plus générale, les entreprises repensent l'organisation des chaînes d'approvisionnement afin de garantir une plus grande résilience, même si cela entraîne des coûts initiaux plus élevés. Ces changements en cours signifient probablement qu'il faudra encore plusieurs trimestres avant que l'impact de la pandémie sur la production et le commerce ne commence à s'estomper. Et, si des stocks plus élevés peuvent renforcer la résilience à l'avenir, ils peuvent aussi amplifier les fluctuations du cycle économique. Il n’en reste pas moins que la mondialisation a contribué à sortir des millions de personnes de la pauvreté dans les économies émergentes.
Un autre défi est lié à l'évolution des habitudes de consommation, induite par de nouveaux modes de vie, notamment la fréquence accrue du télétravail et une plus grande sensibilisation au développement durable. La pandémie a également un effet accélérateur sur la digitalisation, que ce soit pour les entreprises, les services publics ou les consommateurs. La combinaison de ces forces a des répercussions importantes sur la demande de biens et de services, allant de l'ameublement au transport, en passant par la demande de biens immobiliers, qu'ils soient résidentiels ou commerciaux.
De nombreux gouvernements saisissent l'opportunité de la crise pour accélérer les investissements publics et approfondir leurs politiques de soutien aux transitions verte et digitale. Un nombre croissant de pays s'engagent en faveur d'un taux d'émissions nettes nul, et des entreprises se joignent à ce mouvement en prenant leurs propres engagements. L'ampleur de la tâche consistant à faire évoluer le système énergétique mondial et le système économique qui l'entoure vers l’objectif zéro émission est une tâche considérable. Bien que la politique économique puisse contribuer à faciliter adoucir cette transition, cela ne doit pas être considéré comme une fin en soi. Il s’agit d’une voie étroite, pleine de risques de conséquences involontaires, dont la flambée actuelle des prix de l'électricité en Europe est une illustration, même si la transition climatique est loin d'en être la seule cause. Il n'est pas question de retarder davantage la transition climatique, car cela ne ferait qu'aggraver sérieusement les problèmes à venir.
L’orientation de la politique économique connaît également des changements à l'échelle mondiale. En Chine, un objectif important est de réduire la forte dépendance à l'égard du secteur immobilier en tant que moteur de croissance, de réduire l'effet de levier financier excessif et de garantir des logements abordables. Cela s'inscrit dans l'objectif plus large de "prospérité commune ". Il s'agit de faire en sorte que les ressources soient orientées pour assurer une croissance durable à long terme, même s'il y a un prix à payer pendant la période de transition.
Les nouvelles stratégies de politique monétaire définies par la Réserve fédérale et la Banque Centrale Européenne, et dans le cas de la BCE avec une dimension climatique, constituent un autre changement de politique. Plusieurs grandes banques centrales, dont la People' s Bank of China, expérimentent les monnaies digitales des banques centrales, ce qui promet d'autres changements notables. En termes de flux financiers mondiaux, la sensibilité sur la propriété des actifs stratégiques semble avoir été accrue par la crise.
Sur le plan fiscal, nous constatons une plus grande tolérance à l'égard de l'expansion budgétaire. Si celle-ci peut être utile pour faciliter un certain nombre de transitions évoquées ci-dessus, elle peut aussi devenir une source de tensions économiques si les fonds publics sont mal orientés ou mal utilisés. Par ailleurs, il ne fait guère de doute que les politiques ont un rôle important à jouer dans la gestion des changements démographiques, l'aide à l'éducation et l'apprentissage tout au long de la vie pour protéger le capital humain et assurer des transitions socialement justes.
Dans les milieux économiques, ces changements ont suscité de nouveaux débats sur le retour potentiel d'une inflation structurellement beaucoup plus élevée et sur les implications pour la croissance et les marchés financiers. Ces débats ne seront probablement pas tranchés avant un certain temps. La question de savoir comment les transitions évoquées ci-dessus vont remodeler la forme des cycles économiques reçoit moins d'attention. Il ne fait aucun doute qu'il y aura de nombreuses opportunités positives à saisir, mais à notre avis, les frictions que nous observons aujourd'hui sont susceptibles de rester pour un certain temps, et avec elles des cycles plus volatils et plus courts.