Evolution du secteur maritime et son shift vers la décarbonation
Paul Taylor, Responsable Mondial des Industries Maritimes chez Société Générale, nous fait part de ses réflexions sur le sujet dans Marine Money Magazine - article publié le 10 novembre 2022
La décarbonation du transport maritime est-elle sur la bonne voie ?
Il y a des progrès, mais il reste beaucoup à faire, compte tenu des complexités du sujet. Le transport maritime représentant 90 % du transport mondial de marchandises, il est non seulement vital pour l’économie, mais c’est aussi le mode de transport de marchandises le plus efficient au monde en terme d’énergie par rapport au nombre d’émission de CO2 par tonne. Toutefois, sa contribution aux émissions mondiales de CO2 passera de 2,5 % à plus de 15 % d’ici 2050 si l’industrie continue d’étendre sa présence mondiale sans accélérer la décarbonation. Les principaux défis actuels sont d’une part atteindre un consensus sur les carburants de remplacement qui mèneront l’industrie à son ambition de carboneutralité pour 2050, d’autre part les obstacles à l’entrée ainsi que la façon dont l’industrie peut atteindre les objectifs intermédiaires ambitieux pour 2030 avant que la technologie requise ne soit disponible. De plus, avec le risque sans précédent que peuvent comporter les investissements dans une technologie non éprouvée, les acteurs de l’ensemble de la chaîne de valeur – propriétaires de navires, ports, fournisseurs d’énergie, constructeurs de navires, fournisseurs d’équipement et, bien sûr, fournisseurs de services financiers et financements en capitaux propres – se posent tous les mêmes questions : quelle est notre stratégie de placement tout au long de ce parcours vers le développement durable, et comment abordons-nous la prochaine décennie ?
Le régulateur mondial du transport maritime, l’OMI, a un rôle clé à jouer. Premièrement, il doit tracer sa trajectoire de décarbonation pour s’aligner sur le scénario de 1,5 degré énoncé dans l’Accord de Paris. Il doit également clarifier son introduction tant attendue de taxes sur le carbone qui, avec l’introduction de l’indicateur de l’intensité en carbone en 2023, pourront être des catalyseurs de changement des comportements des armateurs et des affréteurs en récompensant le changement et en pénalisant les pires émetteurs. La responsabilité incombe toutefois à l’ensemble de l’industrie du transport maritime, et les acteurs de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement se rassemblent pour aborder des questions cruciales au moyen de coalitions comme la « Getting to Zero Coalition » et les principes de Poséidon. Cette collaboration vise à aborder des sujets comme la viabilité, l’évolution possible et l’approvisionnement en combustibles à zéro carbone, comment sécuriser à long terme l’usage de navires innovants en matière de technologies et bien sûr, la disponibilité de financements pour appuyer l’investissement stratégique qui est au cœur de bon nombre de ces discussions.
Des sociétés de transport maritime réputées et d’autres acteurs maritimes se concentrent aujourd’hui plus que jamais sur ces questions – grâce à une combinaison de proactivité et de surveillance accrue de la part des fournisseurs, des clients et des financeurs, afin de démontrer de manière transparente leur contribution à la transition énergétique. Avoir une feuille de route ESG est de plus en plus indispensable et c’est la raison pour laquelle des banques comme Société Générale ont choisi d’évaluer les engagements, les stratégies et les investissements ESG de chacun de leurs clients maritimes à ce jour vers la décarbonation en stimulant nos efforts d’origination.
Comment le secteur peut-il aligner tous les acteurs maritimes sur une même voie vers la carboneutralité ?
Bien que les acteurs de l’industrie maritime s’entendent de plus en plus sur la nécessité de s’engager sur le scénario de 1,5 degré, il existe un fossé entre les universitaires et les acteurs de l’industrie sur la trajectoire. Les carburants à faible et à zéro émission de carbone ne seront pas disponibles au rythme nécessaire pour atteindre les objectifs scientifiques très stricts. Afin de s’aligner sur n’importe quelle trajectoire de décarbonation, il faut combiner de nouveaux modèles de navires, avec une modernisation de navires existants et une meilleure optimisation de la flotte (ce qui peut se traduire par les affréteurs acceptant des vitesses plus lentes à court terme).
Les carburants comme la propulsion au LNG devraient également être considérés comme un combustible de transition et une voie vers le Bio-LNG et e-LNG. Ils constituent à juste titre un élément stratégique de l’approche de transition de nombreux armateurs vers la carboneutralité. Cependant, des connaissances scientifiques précises et des données empiriques sont absolument nécessaires pour comprendre l’impact des émanations de méthane. Il est important que les banques soutiennent leurs clients sur ces investissements, mais cela doit se faire en sachant que l’intensité en carbone de ces navires est mesurée avec précision ; par conséquent, ces données sont essentielles.
La trajectoire de décarbonation pour le secteur maritime est à juste titre ambitieuse, et nécessite un changement de comportement, de nouveaux marchés et, surtout, de nouvelles technologies à développer. Que ce soit au moyen de technologies futures en termes de carburant comme les moteurs à ammoniac, de l’hydrogène maintenu confiné, des piles à combustible ou des batteries, ou le captage du carbone à bord des navires, ainsi que le transport du CO2, des investissements et des dépenses très importantes de R&D sont nécessaires. Il doit toutefois y avoir un ensemble de cibles intermédiaires réalistes jusqu’en 2030 jusqu’à ce que la technologie requise soit disponible, tout en respectant le budget carbone alloué.
Comment le modèle économique de Société Générale a-t-il évolué avec l’évolution de l’industrie maritime ?
Toute la chaîne de valeur de l’industrie est en train de changer, et de multiples acteurs deviennent de plus en plus interconnectés, surtout dans le contexte de la transition énergétique. Avec une attention particulière portée sur la viabilité commerciale et sur l’évolution des carburants sans émission de carbone, le dialogue entre les parties prenantes en amont et en aval s’est intensifié, impliquant les entreprises énergétiques, les propriétaires de navires et même les opérateurs portuaires. Les banques ont une occasion sans précédent de collaborer plus que jamais avec leurs clients, en plus de financer de nouveaux navires respectueux de l’environnement et de moderniser les navires existants pour réduire les émissions. Mettre en contact nos clients et d’autres parties prenantes, y compris donner accès à d’autres investisseurs institutionnels, est essentiel pour augmenter la collaboration dans l’ensemble du secteur et générer de la valeur, et les banques peuvent être au cœur de ce changement.
Il est donc essentiel que les banques fassent preuve d’agilité pour évoluer avec le marché, et c’est ce que nous faisons chez Société Générale. En harmonisant notre activité secteur maritime avec un « shift » de notre division Global Banking and Advisory à l’échelle mondiale, nous tirons parti à la fois de notre expertise sur le secteur maritime et de l’intelligence collective de toutes les équipes des chaînes de valeur connexes pour élargir notre approche dans toutes les industries maritimes. En plus de poursuivre notre activité principale de financement du transport maritime, cela nous permet de suivre de nouvelles chaînes de valeur, y compris les fournisseurs et traders en énergie, les sociétés de transport maritime, les exploitants de ports et de terminaux, les fabricants d’équipement, ainsi que les investisseurs financiers. Grâce à un dialogue stratégique avec ces multiples acteurs, nous pouvons partager notre expertise et point de vue sur l’évolution des tendances et des défis de l’industrie maritime avec de nouveaux leaders émergents, tout en accompagnant nos clients actuels. Grâce à cette approche holistique, nous aurons un dialogue plus stratégique avec nos clients, en leur offrant des solutions de financement novatrices et des conseils sur l’ensemble de la chaîne de valeur.