3 questions à... Christophe Roux
La Commission Européenne a lancé le Critical Raw Materials Act, qui comprend une série d'actions visant à garantir l'accès de l'UE à un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques. Notre expert Christophe Roux, Responsable du financement des mines, métaux et industries pour la région EMEA, répond à certaines questions soulevées par l'importance croissante des "matières premières critiques".
En quoi certains minerais sont-ils dits critiques et pourquoi leur disponibilité est-elle une préoccupation générale ?
Notre capacité à atteindre les objectifs de réduction d’émissions de carbone annoncés par les gouvernements ou les entreprises dépend de la disponibilité des minerais nécessaires à la fabrication d’équipements et d’infrastructures qui soutiennent la transition énergétique. Cela comprend notamment le lithium, le nickel, le cobalt, le manganèse ou le graphite pour les batteries de véhicules électriques, ou les "terres rares" pour les aimants utilisés dans les moteurs électriques ou les éoliennes. Mais la transition énergétique dépend aussi de matières premières plus courantes, comme le fer et les métaux non-ferreux. Par exemple, un panneau solaire photovoltaïque contient surtout de l'aluminium, une éolienne est en grande partie constituée, d'acier alors que les réseaux électriques sont essentiellement en cuivre.
L’offre mondiale de bon nombre de ces minerais est déjà limitée, mais sans investissements significatifs, elle pourrait rapidement devenir insuffisante. Par ailleurs, la production et la transformation sont souvent concentrées dans un petit nombre de pays, dont certains sont perçus comme présentant un risque politique élevé. La crise du COVID-19, par les perturbations qu'elle a entraînées dans les chaînes d'approvisionnement industrielles a alerté les entreprises et les gouvernements sur l'importance des minerais critiques. Avec la guerre en Ukraine, ces derniers sont devenus une préoccupation majeure. L'UE et des pays comme le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et les États-Unis ont annoncé des stratégies visant à sécuriser l'approvisionnement en ces minerais. En particulier, la récente loi américaine sur la réduction de l'inflation (US Inflation Reduction Act) offre une gamme impressionnante d'incitations fiscales et financières pour encourager à la fois la production de minerais aux États-Unis et l'approvisionnement de l'industrie américaine depuis d’autres pays.
La construction de nouvelles mines en Europe occidentale est-elle la solution magique pour garantir l'approvisionnement ?
Peut-être. Dans les endroits où la géologie est adéquate et suffisamment bien étudiée, cela peut faire partie de la solution. Cependant, je vois deux obstacles à l'expansion rapide de l'industrie minière en Europe occidentale. Tout d'abord, le temps. L'Europe occidentale est peut-être riche en ressources potentielles, mais elle doit rattraper des décennies de sous-investissements dans l'exploration minière par rapport à des pays comme le Canada, l'Australie, les États-Unis ou la Chine. En outre, il faut normalement entre sept et dix ans pour qu’une mine se mette à produire après une découverte, sans mentionner les retards potentiellement liés à l'obtention des permis d'exploitation, qui sont souvent difficiles à anticiper. Le deuxième obstacle est la forte densité de population européenne et l'intolérance des habitants à l'égard de l'impact qu'une exploitation minière voisine pourrait avoir sur leur qualité de vie.
De plus, le problème de l'approvisionnement en minerais critiques va au-delà de la promotion d'une industrie minière nationale : une fois qu'un minerai a été extrait, il doit être traité, parfois en différentes étapes de transformations successives avant d'être utilisé comme matière première industrielle. Par exemple, une mine de lithium australienne typique produit du spodumène qui doit être transformé en hydroxyde de lithium, puis en matériau précurseur pour le matériau actif cathodique et, enfin, en matériau actif cathodique. Ce n'est qu'ensuite qu'il pourra être utilisé pour produire des batteries. En termes économiques, le traitement du minerais en aval représente souvent une création de valeur plus importante que son extraction minière. La dépendance de l'Europe occidentale à l'égard de l'Asie de l'Est, et en particulier de la Chine, pour le traitement des minerais critiques est aussi préoccupante que son accès aux réserves mondiales.
Bien entendu, les métaux présentent l'avantage unique de pouvoir être recyclés à l'infini. Il faut moins de temps pour construire une usine de recyclage que pour explorer et évaluer un gisement avant d’y construire une mine. De plus, il est important de noter que le recyclage d'une tonne de métal tend à émettre beaucoup moins de CO2 que l'extraction, le traitement et le raffinage d'une tonne du même métal.
La nécessité de sécuriser l'approvisionnement en minerais critiques va-t-elle avoir un impact sur les normes ESG ?
Je ne le pense pas. L'augmentation rapide de la production minière et industrielle dans le monde ne sera pas possible sans un large soutien public. Ce ne sont pas seulement les communautés voisines directement touchées qui expriment leurs préoccupations, mais aussi, de plus en plus, les consommateurs finaux. Ces derniers s'inquiètent de la durabilité de l'extraction, de l'empreinte carbone et de la recyclabilité des minerais qui sont, par exemple, contenus dans la batterie d'un téléphone portable ou d'une voiture électrique.
Lorsque nous conseillons ou finançons des projets, ceux-ci doivent être conformes aux Principes de l'Équateur et à des normes spécifiques à l’industrie qui reflètent les normes ESG les plus élevées. En outre, nous observons que de larges montant de capitaux sont autant alloués à la construction de capacités de production supplémentaires qu'à la réduction de l’empreinte carbone dans les procédés miniers et industriels. Nous pensons que cette tendance va s'accélérer pour une bonne raison : les minerais et les produits industriels verts attirent de plus en plus une prime de marché, qui incite à plus de recherche et de développement, ainsi qu'à l'investissement dans l'optimisation de la production. Cette prime est déjà visible pour des produits tels que l'acier. Alors que la production d'acier reste une source importante d'émissions de CO2 "difficiles à éliminer", plusieurs projets nouveaux soutenus par des engagements de capitaux très importants visent à capturer les émissions de CO2, voire à les éviter complètement en utilisant de l'hydrogène vert plutôt que du carbone pour réduire les oxydes de fer. En effet, nous soutenons la décarbonation de l'industrie sidérurgique, en tant que co-responsables des Sustainable Steel Principles, conçus pour permettre d’atteindre les objectifs de la Net Zero Banking Alliance. Nous conseillons également H2 Green Steel, qui vise à produire 5 millions de tonnes par an d'ici 2030.