
Perspectives sur le Leveraged Finance : un optimisme raisonné ?
Analyse de nos experts, Etienne Hairy, Responsable Leveraged Finance Europe, et Augustin Giard, Responsable Leveraged Finance France chez Société Générale, qui partagent leur point de vue sur l’activité Leveraged Finance à l'échelle mondiale, soulignant le soutien que la Banque apporte à ses clients pour les aider à tirer parti des opportunités dans ce domaine.
Un coup de frein après un frémissement
Depuis le second semestre 2024, l’activité Leveraged Finance avait connu un frémissement, grâce au retour d’une certaine stabilité. Après la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine, 2024 était en effet la première année sans événement de cette même ampleur perturbant les marchés. Nous avons observé l’émergence de nouvelles transactions, avec notamment un redémarrage du M&A (Mergers & Acquisitions – Fusions & Acquisitions), particulièrement illustré par des opérations de Carve-Out, mais aussi des opérations Public-to-Private (P2P), des recapitalisations par dividendes, ou encore un fort volume de refinancements d’entreprises.
Début 2025, le climat semblait favorable à une poursuite de cette dynamique M&A, soutenue par des conditions de marché avantageuses pour les emprunteurs, avec des profils Corporates de qualité, et un mouvement de dérégulation, surtout aux États-Unis. Tout portait alors à croire qu’après une nécessaire phase de digestion du nouvel environnement, et en dépit de la forte incertitude géopolitique mondiale, l’activité Leveraged Finance pourrait reprendre progressivement. Les marchés de financement se sont révélés extrêmement favorables aux émetteurs, comme en témoigne la tarification très serrée pour le financement d'Opella, la scission de Sanofi achetée par CD&R, pour laquelle Société Générale a agi en tant que Global Coordinator.
Le mois d’avril 2025 a cependant marqué un nouveau tournant, brisant la dynamique de redémarrage. En effet, les annonces de la nouvelle politique commerciale des Etats Unis, lors du Liberation Day, ont mis un véritable coup de frein sur les marchés, que ce soit du côté des Corporates ou des Sponsors. Si l’on schématise, les deux cibles principales étaient la chaîne de valeur automobile et la Chine. En Europe, nous avons surtout vu un impact sur le secteur automobile et l’aspect des flux de nos exportations avec les Etats-Unis. A l’échelle mondiale, les marchés se sont retrouvés dans une situation assez similaire à ce qui s’était passé lors de l'invasion de l'Ukraine, avec une contraction quasiment du jour au lendemain. Les émetteurs se sont retirés brutalement, aux États-Unis comme en Europe, non pas par crainte pour leur propre activité, mais à cause de l’incertitude générée par les effets d’annonce. Ils avaient en effet besoin de temps et de recul pour d’abord intégrer, puis comprendre les conséquences : au-delà des impacts sur les tarifs en eux-mêmes, quelles allaient être les implications pour les différents secteurs commerciaux ? Nous évoluons aujourd’hui dans des économies extrêmement connectées, avec des chaînes d’approvisionnement très longues et complexes ; il n’était donc pas aisé, ni immédiat, d’identifier les conséquences et leurs imbrications.
Retours sur les marchés
Après avril, le ralentissement semble se terminer. Nous avons observé le retour d’émetteurs totalement insensibles aux tarifs et aux effets d’annonce. Par exemple, fin avril, nous avons agi en tant que Global Coordinator dans le refinancement de Stada, une société allemande du secteur pharmaceutique., qui a été un succès tant en termes d'appétit des investisseurs que de tarification.
Du côté des grandes entreprises, les contraintes vis-à-vis de la chaîne de valeur automobile se sont atténuées, ce qui a encouragé la reprise. Les exceptions dont ont bénéficié certains acteurs, comme Jaguar Land Rover, par exemple, ou bien les exceptions appliquées à certaines pièces détachées en fonction de leur origine de fabrication, ont créé des opportunités pour des émetteurs, qui ont pu se positionner pour faire des transactions plutôt vanilles. En France, nous avons agi auprès de Getlink, ainsi que de FORVIA, un fournisseur de pièces détachées pour l’automobile.
Nous notons également un retour des émetteurs qui attendaient pour se lancer. De nombreux émetteurs, qui avaient mis leurs transactions en pause, reviennent sur le marché. Ils souhaitent être présents de manière opportune. C’est le cas de Tarkett, leader mondial des revêtements de sols et surfaces sportives, qui avait retiré une transaction au moment des annonces de Donald Trump, et qui a relancé avec succès la syndication en mai avec un résultat très positif.
La tendance est similaire du côté des Sponsors. Ils ont comme l’année dernière du cash à déployer et des actifs à vendre. Bien que l’attitude générale soit un mode attentif des uns envers les autres, certains Sponsors voient la volatilité des marchés comme une opportunité. Nous avons par exemple accompagné le fonds d’investissement KKR dans l’une des trois acquisitions de sociétés qu’il a réalisées en Europe, celle d’Osttra, une fintech au Royaume Uni. Nous avons également accompagné l’entrée de Bain Capital Europe au capital du groupe français Softway Medical, acteur majeur de l’informatique de santé en France et dans le monde.
Prudence, mais pas immobilisme
Cependant, cette accélération est à nuancer : nous ne sommes pas revenus à une situation pré-Liberation Day. Bien que l’activité Leveraged Finance ait connu un regain d’opportunités, le marché est plus prudent que ce qu’il n’était. Les opérations M&A prennent donc plus de temps, et les phases de négociations sont plus longues. Pour autant, nous n’avons pas le sentiment que la machine soit cassée et nous envisageons une évolution relativement positive pour les mois à venir, avec des positions opportunistes, pragmatiques et raisonnées jusqu’à l’été, puis une reprise du M&A. Et ce, d’autant plus si la stabilisation des tarifs se poursuit, depuis le recul de Donald Trump sur les droits de douanes imposés à Pékin. Dans ce contexte, nous restons bien sûr concentrés sur les effets d’annonce potentiels. Mais le Leveraged Finance est moins touché que d’autres classes d’actifs, comme l’Equity, où les impacts sont encore plus prononcés.
Durant ces deniers mois en dents de scie, Société Générale a choisi de rester active sur le marché malgré ces conditions difficiles. Notre rôle, en tant que Banque, est d’être aux côtés des clients, quels que soient les marchés. Notre valeur réside justement dans notre capacité à être présents et à apporter une expertise de haut niveau pour naviguer dans la complexité et gérer les risques.