Paiements transfrontaliers : la nécessaire gestion de la liquidité des banques

27/09/2023

Dans un contexte de taux d’intérêt positifs, et d’attentes en matière de rapidité et d’instantanéité des règlements, le contrôle de la trésorerie dans les banques est devenu un véritable enjeu additionnel.

Depuis fin 2021, le retour de l’inflation a changé la donne économique et financière. Pour la contrôler, les banques centrales ont entamé la normalisation de leur politique monétaire à un rythme rarement vu auparavant. La Banque centrale européenne (BCE) a remonté ses taux directeurs de 425 points de base entre juillet 2022 et juillet 2023 ! Contrastant avec la dernière décennie où les taux d’intérêt étaient historiquement bas, voire négatifs en zone euro, et la liquidité abondante. Un changement de paradigme qui, à l’heure où se développent les systèmes de paiement instantané domestiques et internationaux, n’est pas sans conséquences pour les banques en termes de gestion de la liquidité (re)devenue une ressource rare.

Tendance de marché

Qu’il soit domestique ou transfrontalier, le paiement est vu comme une commodité répondant aux mêmes attentes, ceci alors que la réalisation d’un paiement transfrontalier est autrement plus complexe qu’un paiement domestique. Aujourd’hui, la tendance est à la rapidité et l’instantanéité. Sur les paiements cross-border, les banques ont fait d’énormes progrès depuis 2017, grâce aux développements standardisés de la coopérative interbancaire SWIFT qui compte plus de 11 000 membres dans le monde. Via Swift gpi, 40 % des paiements transfrontaliers sont réalisés en moins de 5 minutes et les deux tiers en moins d’une heure. Pas loin de l’objectif du G20 qui est d’atteindre 75 % d’ici à 2027.

Pour gagner en efficacité sur les temps de traitement et la fluidité des paiements internationaux, l’une des pistes suivies serait d’ouvrir en 24/7/365 les systèmes de règlement RTGS (real-time gross settlement) des banques centrales. Un mouvement se dessine pour étendre leurs plages horaires. À l’image du système TARGET 2 pour l’euro supervisé par la BCE ouvert de 2h30 (contre 7h auparavant) à 18h depuis mars 2023. Une extension des heures ouvrées est aussi actuellement à l’étude à la Banque d’Angleterre (BoE). Il s’agit d’avoir le plus de systèmes de règlement interconnectés dans le monde en activité au même moment pour faciliter les échanges en temps réel (concept dit de “global settlement window”). Autre solution avancée : améliorer le paiement instantané localement en autorisant les paiements transfrontaliers à être débouclés en « instant ». Cela améliore le traitement sur les dernières étapes de la transaction, là où apparaissent davantage de frictions opérationnelles (plus de contrôles, de filtres, de délais pour créditer le bénéficiaire final).

Le mieux est parfois l’ennemi du bien

Mais ouvrir en 24/7/365 et en instantané diluerait la liquidité, matière première des banques. S’ajoute une contrainte sociale. Assurer le « follow the sun » nécessite des moyens humains et techniques conséquents en dehors de son marché domestique pour effectuer les opérations en continu. Surtout, la demande pour un tel service n’existe pas encore. L’attente se veut donc plus raisonnée, la solution se trouvant sans doute dans l’amélioration de l’existant. L’étape suivante pourrait être d’ouvrir les RTGS 22h/24h et 5 jours/7 en général du lundi au vendredi. Déployer des « ponts de liquidité » entre banques centrales, à l’instar de la BCE et de la BoE, pourrait contribuer à fluidifier les échanges. Les banques peuvent s’échanger des euros contre des livres sterling en cas de pic d’activité. Des apports de liquidité ponctuels de plus en plus nécessaires s’il s’agit de tendre vers un 24/7/365.

Un contrôle accru

Appelé à terme à prendre de l’ampleur, le paiement instantané reste un challenge. Il implique d’opérer dans un cadre sécurisé. À ce titre, la banque a un rôle de tiers de confiance essentiel. Elle est l’un des principaux vecteurs de lutte contre le blanchiment et la fraude, s’assure de la disponibilité des fonds lors du règlement, vérifie l’identité des acteurs pour lesquels elle l’exécute, réalise les contrôles réglementaires… Elle participe ainsi de manière active et responsable à la solidité du système financier.

Se pose également la question de la gestion de la trésorerie, en particulier dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Leur retour en terrain positif redonne de l’attrait à certains produits comme les Sicav monétaires. Les liquidités placées par les trésoriers sont autant de cash en moins disponible, ce qui peut complexifier la chaîne de traitement du règlement. Or pour exécuter un paiement instantané transfrontalier, il faut pouvoir disposer des fonds. C’est précisément sur ce point que les considérations de trésorerie des banques rejoignent, encore plus aujourd’hui, les préoccupations du paiement. Côté banque, il y a la volonté de ne pas atomiser le pool de liquidité, alors que l’émergence de multiples nouvelles solutions de paiement locales et régionales entraîne au contraire une plus grande fragmentation des ressources financières. Une difficulté de gestion pour la banque par rapport à l’évolution structurelle des systèmes de paiements. Ainsi, sur le métier du correspondent banking, la dimension collecte et dépôt est plus importante qu’auparavant. Depuis plusieurs mois, les trésoriers bancaires gardent un œil sur la liquidité collectée auprès des clients et le funding des comptes pour les paiements. La hausse des volumes de capitaux échangés en temps réel, soutenue par la croissance des échanges internationaux et par les nouveaux modes de consommation, impose un contrôle permanent du niveau des liquidités disponibles en banque pour pouvoir honorer les règlements à tout moment. Cette surveillance des comptes s’ajoute à l’activité quotidienne de correspondance bancaire et implique une évolution de culture des équipes. Dans un monde des paiements toujours plus rapide et interconnecté, les banques continuent à se réinventer pour faire face aux échéances de leurs clients.  Les nouvelles technologies qu’elles sont en train d’intégrer dans leurs systèmes pas après pas, tels que les modèles prédictifs basés sur l’Intelligence Artificielle et le Machine Learning, leur permettront de répondre aux nouveaux défis de liquidité, qui sont autant d’opportunités renouvelées de différenciation et de fidélisation de leurs clients.