Une récession mondiale toujours à l’horizon ?

13/09/2023

Retardée ou purement et simplement évitée ? La récession largement annoncée pour 2023 n’est pas encore arrivée. Les banques centrales mondiales seraient-elles en train de réussir un atterrissage en douceur ou la contraction de l’économie mondiale va-t-elle se faire sentir plus tard que prévu ?

Selon Kokou Agbo-Bloua, Responsable de la recherche économique, cross asset et quantitative, un ralentissement reste possible, entraîné par deux trimestres de croissance négative aux Etats-Unis pour le premier semestre 2024. La récession devrait être modérée, mais elle devrait arriver, selon lui. D’autant plus que le resserrement monétaire de 5 points de pourcentage entrepris par la Réserve fédérale au cours des 18 derniers mois devrait finir, certes avec un décalage, par peser sur la demande, l’emploi et la confiance. 

L’une des raisons pour lesquelles le décalage semble si long réside dans le fait que de nombreuses grandes entreprises disposent de liquidités issues des aides publiques liées à la pandémie et qu’elles ont sécurisé des financements à long terme à des taux très bas. Cela les a efficacement protégé de la hausse des taux d’intérêt, brisant le mécanisme traditionnel de transmission par lequel la hausse des taux conduit, plus ou moins immédiatement, à une destruction de la demande.

Ajoutons que les entreprises ont pu répercuter la hausse des coûts de production et des marges bénéficiaires à des niveaux inédits depuis 2007 (d’où le terme de « greedflation », greed signifiant avidité en anglais). Et l’on comprend aisément pourquoi les entreprises ont conservés leurs employés plutôt que de les laisser partir, la pénurie des compétences consécutive à la « grande démission » étant un autre facteur. Les marchés du travail sont donc restés solides, et les consommateurs confiants ont puisé dans leur épargne excédentaire constituée lors de la pandémie. Avec pour résultat, une économie mondiale plus solide et pour plus longtemps. 

Une immunité partielle seulement

Toutefois, cette immunité contre la hausse des coûts de financement se limite principalement aux grandes entreprises figurant dans l’indice S&P 500. Pour les autres, qui représentent l’essentiel de l’emploi et du PIB, les conditions financières se sont nettement durcies. Leur demande et leur confiance diminuent, comme en témoigne la récente baisse des indicateurs économiques avancés aux États-Unis, en Europe et au Royaume-Uni. 

En outre, la reprise chinoise liée à la fin de la politique zéro Covid s’essouffle et la déflation s’installe dans un contexte de baisse du secteur immobilier, de baisse des investissements et d’augmentation de l’épargne de précaution parmi les consommateurs. Le gouvernement central dispose d’une capacité de relance budgétaire, mais semble engagé dans l’austérité pour assainir les emprunts locaux excessifs.

Enfin, le plus déterminant pour l’économie mondiale reste l’action des banques centrales. « La crédibilité est leur principal actif », déclare M. Agbo-Bloua, « de sorte qu’elles n’ont pas d’autre choix que de ramener l’inflation à l’objectif. » Or, ce faisant, elles finissent presque toujours par déclencher une récession.

Rapport minoritaire

Il existe cependant une alternative séduisante. Le resserrement rapide de la Fed et de la plupart des grandes banques centrales a contribué à restaurer leur crédibilité. Ainsi, elles peuvent prendre des décisions monétaires futures sur la base des données les plus récentes et n’ont pas besoin d’agir à la hâte. Les investisseurs semblent relativement détendus – comme le montrent les faibles niveaux de l’indice VIX de volatilité – et sont prêts à donner aux responsables politiques le bénéfice du doute. 

Cela signifie que la Fed et ses pairs pourraient orienter l’économie vers un atterrissage en douceur, la stabiliser à environ 2 % de croissance économique, avec une inflation d’un peu plus de 2 % et des taux nominaux de 4 à 5 %. Dans ces conditions, le chômage pourrait bien ne jamais augmenter. 

Il semble que nous allions dans cette direction, avec une baisse rapide de l’inflation globale (et de l’inflation sous-jacente, dans une moindre mesure) dans la plupart des pays occidentaux, la croissance et l’emploi ne s’étant pas effondrés. « Dans un sens, il s’agirait d’un retour à la Grande Modération qui a précédé la crise financière mondiale et la pandémie », explique Hatem Mustapha, Co-Responsable des activités de marché de Société Générale. Si tel est le cas, cela pourrait présager des cycles économiques beaucoup plus stables à l’avenir.

Dans ce scénario, le ralentissement de la Chine est en réalité positif, car il exporte une dose de déflation (par le biais des prix des matières premières) et de croissance négative (via les résultats des multinationales exposées) qui permet à l’Occident de contrôler la croissance excessive des prix et les prix des actifs.

Un retour à la croissance de la productivité, qui a été inexplicablement faible, contribuerait également à assouplir le marché de l’emploi et à atténuer l’inflation des salaires. L’intelligence artificielle (IA) a le potentiel de relancer l’augmentation de la productivité, même si, prévient M. Agbo-Bloua, elle nécessitera d’abord d’importants investissements.

Couverture des alternatives

Face à deux scénarios divergents – même si celui de la banque d’investissement de Société Générale reste sur une faible récession en début d’année prochaine, les investisseurs doivent examiner attentivement leurs options. Ceux qui ont investi cette année dans des obligations, dans l’attente d’un ralentissement imminent, accusent actuellement des pertes. 

Mais la partie courte de la courbe des taux, liquidités incluses, offre des rendements indisponibles pendant de nombreuses années. Dans le même temps, l’achat de maturités plus longues est probablement judicieux s’il s'accompagne d’un programme de couverture. 

En ce qui concerne les actions, une approche thématique semble appropriée : investir dans la transition énergétique, dans l’IA, ou bien dans des entreprises « immunisées » au bilan solide. Cela suggère également de privilégier les obligations d’entreprise « investment grade » plutôt que les obligations à haut rendement.

En adoptant une approche équilibrée et prudente, les investisseurs peuvent sereinement faire face à au ralentissement économique qui s’annonce, , quelle que soit la forme qu’il prendra.

 
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