Perspectives et points d’inflexion : la valeur durable de la recherche sell-side

02/09/2025

Les fonds indiciels, la pression sur les commissions, les restrictions réglementaires, les gestionnaires de fonds à court de temps… et depuis peu l’avènement de l’intelligence artificielle (IA). La recherche en investissement a été sous pression dès que la première note de recherche d’une page a été publiée, il y a plusieurs décennies. Certains s’interrogent sur la valeur de la recherche elle-même tout autant que sur la viabilité du modèle économique qui la sous-tend. Et pourtant, la recherche continue d’être rédigée, lue et acquise, bien que généralement de manière indirecte.

Dans un secteur financier en évolution rapide et constante, « la valeur ajoutée fondamentale de la recherche sell-side est restée intacte tout au long des 60 années d’existence de notre activité », déclare Colin McGranahan, Responsable de la recherche US chez Bernstein, la coentreprise de recherche actions et cash actions de Société Générale et Alliance Bernstein.

Il existe environ 50 000 entreprises cotées de toute taille dans le monde et 2 000 à 3 000 gestionnaires d’actifs de toute taille, ajoute son collègue Michael Parker, Responsable de la recherche EMEA & APAC chez Bernstein. « Cela signifie qu’il y aura toujours un rôle pour un acteur tiers de la recherche pour d’aider l’un à comprendre l’autre. »

Ils soulignent que si la manière dont la recherche est créée, consommée et financée peut évoluer, la proposition de valeur fondamentale reste cependant solide – les menaces pesant sur la recherche sont toujours importantes mais jamais existentielles.

Profondeur et originalité des analyses 

Cette valeur repose sur la production d’analyses approfondies, originales et contextualisées des différents secteurs et entreprises. Les meilleurs analystes comprennent non seulement l’entreprise qu’ils observent, mais aussi l’écosystème dans lequel celle-ci évolue. Ils sont capables de comprendre la complexité et reconnaître les points d’inflexion.

Selon M. Parker, les analystes, forts de leur expertise sectorielle et de leur connaissance des marchés de capitaux et de l’évaluation, sont capables par exemple d’identifier une nouvelle classe de médicaments comme les traitements anti-obésité bien des années avant leur autorisation de mise sur le marché – puis de modéliser leur impact financier. Les analystes travaillent en équipes au niveau mondial. Ainsi, ils s’assurent que leurs clients connaissent non seulement le potentiel mais aussi les menaces qui pèsent sur certaines entreprises ou un secteur dans sa globalité comme l’IA.

Alors que les investissements passifs à faible coût augmentent, les gestionnaires actifs restants, qu’ils soient « long-only », fonds souverains ou hedge funds, ont plus que jamais besoin d’un avantage compétitif. « Les gestionnaires actifs doivent générer de l’alpha pour rester en activité », observe M. McGranahan, « et ils ont besoin d’informations pour générer cet alpha. »

La personne la mieux placée pour produire ces informations précieuses est ce que l’on pourrait appeler « l’analyste volant » (flywheel analyst). C’est à dire un chercheur dont le réseau est construit à la fois en amont et en aval sur un secteur particulier. Un interlocuteur privilégié, avec qui tout le monde parle parce qu’il parle à tout le monde – chaque discussion venant enrichir la suivante. L’IA n’en est pas capable. Et même les analystes buy side ou les gestionnaires de portefeuille les mieux connectés n’ont ni le temps ni les connaissances pour comprendre un secteur avec une telle profondeur.

De l’importance du relationnel

L’investisseur aura toujours besoin de consulter un analyste sell side avisé et bien connecté, et d’entrer dans la discussion. Comme aime le dire M. McGranahan : « Bernstein ne fait pas de la recherche ; nous sommes dans le service client. L’objectif de chaque note de recherche est de susciter un échange. »

Au niveau institutionnel, cela se traduit par le mode d’accès aux entreprises (corporate access). Les banques d’investissement et les brokers organisent des conférences et des roadshows au cours desquelles les investisseurs buy side ont la possibilité rencontrer un nombre d’entreprises qu’ils ne pourraient pas rencontrer seuls – et de bénéficier de quelques minutes en privé ou quasi privé avec la direction d’une entreprise pour poser leurs questions les plus pressantes. Lors de la conférence « Strategic Decision Conference » de Bernstein à New York, une conférence renommée, plus de 1 000 investisseurs côtoient des dirigeants de plus de 100 entreprises cotées.

Raconter la stratégie de l’entreprise

La recherche est également clé pour les clients corporates qui souhaitent présenter leur stratégie et trouver un moyen efficace de capter et retenir l’attention des investisseurs. « La recherche sell-side est une composante essentielle des flux de capitaux », affirme Krzysztof Walenczak, Responsable de la banque d’investissement chez Société Générale Amériques.

« Le buy side accorde une grande valeur à la recherche actions pour prendre ses décisions d’investissement », note Jeff Mortara, Co-responsable mondial des marchés de capitaux actions chez Société Générale. « La recherche de Bernstein jouit d’une réputation exceptionnelle, reconnue par les clients. »

Après la création de la co-entreprise Bernstein, Société Générale a renforcé sa présence sur les marchés de capitaux actions dans le secteur Technologie, Médias et Télécoms (TMT) – un secteur traditionnellement très dynamique sur le marché actions– avec l’ouverture d’un bureau à Menlo Park, au cœur de la Silicon Valley.

La productivité seule ne suffit pas 

Certes les chatbots IA ne savent pas serrer des mains, mais leur impact sera inévitable sur le métier de la recherche. Les experts de Bernstein estiment que les notes de recherche conventionnelles vont perdre en valeur et ne seront sans doute plus produites qu’automatiquement pour des raisons réglementaires. À terme, des événements comme les Capital Markets Days pourraient également devenir obsolètes, alors que les algorithmes IA pourront collecter et diffuser ces informations plus rapidement et efficacement que les analystes sell side.

Les outils IA remplaceront-ils des métiers ? Ou permettront-ils aux équipes de recherche d’augmenter leur productivité et de couvrir plus de titres ? cela reste encore hypothétique. Le buy side aussi investit massivement dans l’IA, pour des tâches plus basiques de filtrage et de recherche. Par ailleurs, les gestionnaires de portefeuille de demain préféreront peut-être regarder le résumé ou la synthèse vidéo générée par IA d’une note de recherche de 100 pages, plutôt que de la lire dans sa version complète, comme le font leurs prédécesseurs.

Néanmoins, il sera quasi impossible de remplacer les experts qui sont le cœur du modèle différencié de Bernstein : des spécialistes ayant acquis des connaissances sectorielles de plusieurs années, bénéficiant d’un large réseau de contacts, et dotés d’une compréhension exhaustive de l’évaluation et des marchés. Les clients ne veulent pas de simples extrapolations de modèles financiers (que l’IA peut facilement fournir). Ils souhaitent être aidés pour reconnaître et identifier les changements d’orientation, les évolutions. Comme le dit M. Parker : « L’IA reste limitée en matière de prévision, et d’humour. Et nos clients recherchent idéalement les deux. » Il reste donc de l’espoir pour les analystes humains.