Le financement du secteur maritime facilite une propulsion plus verte
Par Paul Taylor, Responsable mondial, Industries maritimes, Société Générale, et Elodie Tarby, Conseil en Stratégie et Capital, Industries maritimes, Société Générale, d’après le webinaire organisé par Société Générale « Décarboner le secteur maritime », lors duquel des experts ont échangé sur les progrès réalisés et l’accent mis sur le financement de navires plus verts.
Lorsque le cargo Pyxis Ocean, équipé de voiles géantes et rigides, est parti de la Chine en août 2023pour rejoindre le Brésil, il se pourrait qu’il ait sonné le début de la fin du règne du moteur à combustion dans le transport maritime depuis les années 1850. Le Pyxis Ocean sera bientôt suivi par quelque 50 autres navires commerciaux équipés de voiles dans le but de réduire leur consommation de combustible de soute.
Toutefois, les voiles ne sont qu’une des solutions du secteur maritime pour réduire sa consommation de carburant et ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Parmi les autres : l’optimisation de la mécanique de propulsion avec de nouvelles hélices et étraves, l’usage de carburants alternatifs, de batteries ou encore de systèmes de captage du carbone à bord.
Dans ce contexte de nouvelle ère de la propulsion l’Organisation maritime internationale (OMI) a annoncé en juillet 2023 son ambition d’atteindre l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre (GES) dans l’ensemble du transport maritime d’ici 2050. Elle vise également à assurer l’adoption de carburants alternatifs d’ici 2030, et poursuit d’autres objectifs pour 2040. Signe de l’influence de l’OMI en tant qu’organisme de l’ONU chargé de réglementer le secteur, les actionnaires des compagnies maritimes encouragent leurs dirigeants à planifier des trajectoires crédibles de décarbonation.
Un besoin de 1 000 à 2 000 milliards de dollars d’investissement d’ici 2050
Les banques jouent aussi un rôle clé dans la transition énergétique du transport maritime. En effet, elles donneront probablement la priorité aux financements de navires à faible émission de carbone et de travaux de modernisation. 34 banques au total, représentant environ les trois quarts de tous les prêts maritimes, ont adhéré aux Principes de Poséidon. Ce cadre permet d’intégrer les considérations climatiques dans les décisions de prêt et d’aligner efficacement les prêts sur les ambitions de l’OMI. Il permet également aux banques de renforcer leurs objectifs de transition vers la neutralité carbone. Les capitaux devraient être alloués en conséquence.
Le coût de la décarbonation de l’industrie maritime au cours des 26 prochaines années est considérable. On estime qu’il faudra investir entre 1 000 et 2 000 milliards de dollars d’ici 2050 dans des navires modernisés, de nouveaux navires et des infrastructures maritimes. Rien que pour les six prochaines années, c’est-à-dire jusqu’en 2030, on estime que ce sont au moins 350 milliards de dollars qui sont nécessaires. Ces capitaux prendront principalement la forme de prêts bancaires. Ils seront complétés par de nouveaux apporteurs de capitaux flexibles tels que des fonds d’investissement spécialisés, particulièrement adaptés à certains des risques induits.
Sans ces investissements, l’industrie maritime pourrait se retrouver sur une route dangereuse alors que le commerce mondial se développe. En effet, la taille de la flotte mondiale devrait doubler entre 2008 et 2050, tout comme les échanges commerciaux. Alors que le transport maritime est actuellement responsable d’environ 2,6 % des émissions de CO2, cette proportion pourrait atteindre 15 % d’ici 2050 si rien n’est fait.
Des progrès significatifs
Selon le Dr Jan-Henrik Hübner, Responsable mondial du transport maritime chez DNV, les mesures techniques et opérationnelles nécessaires d’ici 2030 incluent une réduction moyenne de la vitesse d’environ 15 % et une proportion d’environ 10 % de bio-MGO alternatifs sur l’ensemble des carburants utilisés. « C’est ambitieux, mais c’est tout à fait possible si nous voulons atteindre les objectifs 2030. La technologie existe déjà et nous n’avons pas besoin d’attendre une nouvelle découverte majeure », a-t-il déclaré.
Certaines grandes entreprises de conteneurs se sont déjà engagées à atteindre la neutralité carbone d’ici 2040 ou 2045, et à utiliser des quantités importantes de carburants alternatifs d’ici 2030. Les flottes prévoient des modernisations avec de nouvelles hélices, de nouvelles étraves et des moteurs bicarburants. Il y a néanmoins une grande différence = entre les chefs de file et les retardataires, qui risquent d’être distancés et de ne pas atteindre les objectifs de l’OMI. Il n’y a pas de temps à perdre, car les chantiers navals font le plein : on observe souvent un délai d’un an pour installer des hélices plus efficaces. Or, avec la capacité actuelle des chantiers navals, il faudrait attendre 2045 pour que l’ensemble de la flotte mondiale soit renouvelé.
Il semble plus réaliste que les armateurs optent pour un mélange de solutions de propulsion à faible émission de carbone. Les ferries par exemple, naviguant sur de courtes distances pourraient à l’avenir être alimentés par des batteries. Un cargo la Chine à l’Australie sur 7 500 kilomètres pourrait choisir d’utiliser voiles et carburants alternatifs, d’autant que l’Australie dispose de vastes terres et de nombreuses ressources renouvelables pour produire ces carburants. Le captage du carbone à bord peut être une solution provisoire, bien que les taux de captage soient insuffisants pour atteindre entièrement l’objectif de zéro émission nette. De plus, les petits réacteurs nucléaires pourraient être une option à l’avenir, s’ils s’avèrent sans danger.
Pour les armateurs qui investissent dans la modernisation des navires avec des mesures à court terme comme de nouvelles hélices et de nouvelles étraves, le retour sur investissement est souvent relativement rapide. « Nous l’estimons entre un an et demi et deux ans », explique Frederik Pind, Directeur général de Njord Solution, entreprise spécialisée dans l’amélioration des performances environnementales. « En tenant compte du futur système d’échange de quotas d’émissions de l’Union Européenne, le retour sur investissement intervient en moins d’un an. Ces investissements sont donc viables, mais on se heurte à des difficultés : incitations partagées entre les armateurs et les affréteurs, et paysage complexe de plus de 30 technologies différentes qui peuvent être combinées selon de nombreuses configurations différentes. »
Le secteur financier se concentrera sur les navires plus verts
En général, la modernisation d’un navire coûte entre 1 et 1,5 million de dollars US, selon Frederik Pind, ce qui représente un investissement considérable pour le propriétaire d’une flotte de 15 à 20 navires.
Les nouveaux fournisseurs de financements maritimes flexibles ont un rôle important à jouer. Guillaume Branco, Directeur des investissements chez Eurazeo, société d’investissement spécialisée dans les marchés privés, a évoqué la possibilité d’attirer un nouveau groupe d’investisseurs dans le secteur, en complément des banques qui pourraient avoir du mal à fournir tous les capitaux nécessaires.
« On peut réellement mesurer l’impact des investissements verts dans le transport maritime, ce qui est une bonne chose », a-t-il ajouté. « Nous pouvons fournir des données détaillées sur les émissions, en indiquant aux investisseurs la quantité de carbone économisée pour chaque million de dollars investis. »
La transition énergétique du transport maritime prend soudainement de l’ampleur et il y a de bonnes raisons d’être optimiste. Les banques et les fonds d’investissement renforcent cette tendance. Les Principes de Poséidon et les objectifs durables des fonds d’investissement spécialisés impliquent tout simplement que les financements seront désormais réservés aux navires qui se tournent vers des formes de propulsion plus écologiques.