Entreprises : Evaluer l’intelligence artificielle à l’aune de l’ESG

18/10/2023

L’intelligence artificielle (IA), un outil de transformation de votre entreprise ou une technologie menaçant de la disrupter ?

L’effervescence qui entoure l’intelligence artificielle, notamment depuis le lancement de ChatGPT en novembre dernier, qui a attiré 100 millions d’utilisateurs en moins de deux mois1, a généré une couverture médiatique et des débats sans fin. De nombreuses équipes de direction sont perplexes quant à l’adoption de l’IA et l’évaluation des risques et des opportunités qu’elle présente.

L’ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) peut servir de prisme, suggère Yannick Ouaknine, Responsable de la recherche ESG au sein de Société Générale : « Le rythme d’adoption de l’IA et donc, celui du changement seront, et sont déjà, très rapides. Toutefois, les entreprises pourront plus facilement gérer ce process si elles étudient la question de manière structurée et analytique. »

En matière d’environnement, les outils d’IA peuvent aider le secteur de l’énergie à améliorer la gestion du réseau électrique, qui devient de plus en plus essentielle alors que les énergies renouvelables par nature intermittentes, représentent une part chaque jour plus grande de la production d’électricité. Le secteur agricole peut accroître sa productivité : grâce à la robotique, avec les tracteurs automatisés ; grâce à la surveillance des cultures, avec des drones capables de surveiller les parasites et les maladies dans les champs ; mais aussi grâce à l’analyse prédictive qui aide les agriculteurs à améliorer les rendements.

Ainsi, la plupart des entreprises peuvent utiliser l’IA pour mieux contrôler et potentiellement réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Le Think Tank du Parlement européen estime ainsi qu’une réduction de 1,5 à 4 % des émissions de GES d’ici 2030 est possible2.
D’un autre côté, l’entraînement d’un seul et unique modèle d’IA peut émettre plus de 284 tonnes de dioxyde de carbone, selon une étude du MIT3. Le nombre de centres de données qui alimentent le cloud et l’IA connaissent une croissance exponentielle. Et leur consommation d’énergie et d’eau pour fonctionner et refroidir les installations, exerce une pression supplémentaire sur l’environnement.

Gérer les enjeux sociaux

L’impact social de l’IA est encore plus complexe. Elle pourrait créer près de 100 millions de nouveaux emplois selon le Forum économique mondial4. Pourquoi ne pas se reconvertir en pilote de drone ou en responsable Conformité des algorithmes ? Dans le même temps, elle pourrait aussi entraîner la disparition de plus de 80 millions d’emplois, avec l’automatisation d’une grande partie de la production manufacturière et du secteur des services. C’est déjà le cas dans plusieurs secteurs et services comme le service client et le marketing : des chatbots répondent désormais aux questions des clients et Netflix est capable de vous suggérer votre prochain film.

L’impact net sur l’emploi semble donc relatif et les économies potentielles pour les entreprises sont séduisantes. McKinsey affirme ainsi que l’IA peut améliorer l’efficacité de 40 % et réduire les charges d’exploitation de 30 %5. Tout tient à la manière de mettre en œuvre cette transformation précise M. Ouaknine. « Au fur et à mesure qu’elles développent les compétences de leurs collaborateurs et les forment à de nouveaux métiers, les entreprises doivent également acquérir les connaissances suffisantes pour non seulement maîtriser la technologie, mais aussi contrôler et superviser les modèles d’IA qu’elles déploient. »

Un manque de maîtrise pourrait susciter la résistance d’une main-d’œuvre de plus en plus sensibilisée sur ce sujet.  Ce qui pourrait bien annihiler les gains de productivité de l’IA dans un contexte de tension du marché du travail et de pénurie de compétences. Dans certains cas extrêmes, les entreprises pourraient même s’aliéner des clients ou des législateurs, mettant ainsi en péril leur capacité à exercer leur activité.

Tout aussi important est le risque lié à l’autorisation de l’utilisation de services basés sur l’IA par la direction d’une entreprise, et plus particulièrement les cadres supérieurs, qui ne maîtriseraient pas la technologie. La généralisation de la robotisation et des capteurs connectés pourrait exposer les entreprises à des cyberattaques. Une erreur de diagnostic d’un médecin robot pourrait coûter des vies. Si une voiture autonome renverse un piéton, tout le monde, du « conducteur » au fabricant en passant par le fournisseur de la technologie, pourrait se retrouver devant les tribunaux.

Le rythme d’adoption de l’IA et donc, celui du changement seront, et sont déjà, très rapides. Toutefois, les entreprises pourront plus facilement gérer ce process si elles étudient la question de manière structurée et analytique.
Intégrer une bonne gouvernance

C’est là que le « S » et « G » d’ESG se rejoignent. Une gouvernance adaptée, tant au niveau des individus, des entreprises et des gouvernements, sera véritablement essentielle pour garantir que l’IA est suffisamment contrôlée afin d’être largement acceptée par la société.
Et cette fois, les régulateurs sont en première ligne, ce qui est rassurant, explique M. Ouaknine. Ainsi, chaque pays légifère pour lutter contre la désinformation et les biais, lisser les pertes d’emplois et atténuer la disruption. D’une façon générale, l’UE se concentre sur les utilisations à haut risque, en imposant la charge de la preuve aux entreprises et en cherchant à maintenir son rôle de fer de lance de la réglementation mondiale de la technologie.

En revanche, aux États-Unis, l’impasse politique a jusqu’à présent empêché la promulgation de bon nombre de lois. Ainsi, ce sont les principales entreprises de l’IA et de la tech qui travaillent sur des mesures d’autorégulation dont les mécanismes d’application sont limités. En Chine, l’accent est mis sur la transparence des algorithmes et les fournisseurs d’IA générative doivent s’enregistrer auprès du gouvernement, ce qui lui fournit un contrôle politique.

Parallèlement, les entreprises doivent mettre en place leurs propres procédures de gouvernance tout en s’efforçant de comprendre les nouvelles réglementations et de s’y conformer dès leur entrée en vigueur. Une première étape simple consiste à confier à un haut dirigeant ou un cadre supérieur la responsabilité de superviser l’IA et de lui attribuer un budget suffisant et une équipe compétente pour mener à bien cette mission. Apprendre les meilleures pratiques de ses pairs peut également être utile et tester des modèles d’IA permettra de collecter des données précieuses.

Il reste que les entreprises doivent veiller à ne pas lancer ou déployer des services et des procédures basés sur l’IA sans une parfaite connaissance de leur fonctionnement (par exemple, la manière dont la technologie apprend et fait des recommandations). La tentation d’exploiter tout le potentiel de ce nouvel outil sera grande, mais le faire de manière responsable est vital.

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Sources:
1- “ChatGPT's explosive growth shows first decline in traffic since launch”, Reuters, July 2023
2-“Training a single AI model can emit as much carbon as five cars in their lifetimes”, MIT Technology Review, June 2019
3-“Artificial intelligence: threats and opportunities”, EU Parliament Think Tank, 2020.
https://www.europarl.europa.eu/pdfs/news/expert/2020/9/story/20200918STO87404/20200918STO87404_en.pdf

4-“The future of jobs report”, World Economic Forum, April 2023
5-“A future that works: Automation, employment, and productivity”, McKinsey and Company, 2017

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