
Transformer l’incertitude en levier : le rôle clé du Supply Chain Finance
Aurélien Viry, CEO de Société Générale Factoring et Gilbert Cordier, Responsable du Supply Chain Finance chez Société Générale Factoring, analysent l’impact des événements mondiaux récents sur l’adoption et le déploiement du Supply Chain Finance (SCF), et constatent que, plus que jamais, cette solution peut être mutuellement bénéfique pour les acheteurs et les fournisseurs.
Les chaînes d’approvisionnement physiques – à la croisée des achats et de la logistique – ont été fortement perturbées ces dernières années. Cela a entraîné un retour en force du SCF comme outil clé pour sécuriser et renforcer les chaînes d’approvisionnement, en soutenant à la fois les acheteurs et les fournisseurs dans l’optimisation de leur besoin en fonds de roulement.
Le SCF permet aux acheteurs d’optimiser leur trésorerie en allongeant les délais de paiement, tout en renforçant la résilience de leur chaîne d’approvisionnement sans détériorer la relation fournisseur. De leur côté, les fournisseurs peuvent encaisser plus rapidement leurs créances, à un taux bien plus avantageux que s’ils se finançaient seuls. C’est là l’impact social du SCF : sécuriser les fournisseurs stratégiques en leur faisant bénéficier des conditions de financement de l’acheteur. Dans un monde incertain, où le risque de contrepartie est croissant, cette approche est plus précieuse que jamais.
Bien que le SCF ne soit pas nouveau – il est apparu dans sa forme actuelle en Espagne dans les années 1980 – sa popularité a fortement progressé depuis les années 2010. Après la pandémie de Covid-19, son adoption a connu un regain, avant de ralentir face à la hausse des stocks et au retour des taux d’intérêt positifs.
En mai 2023, de nouvelles obligations de transparence comptable ont été imposées par l’IASB (International Accounting Standards Board), via des amendements aux normes IAS 7 et IFRS 7, afin d’éclairer les investisseurs sur l’impact des programmes SCF sur la liquidité et les flux de trésorerie.
Mais le monde a de nouveau basculé. Les tensions géopolitiques, la flambée des coûts de l’énergie, les pénuries de composants, et les guerres tarifaires entre grandes puissances ont créé une instabilité économique mondiale. Dans ce contexte, le SCF s’impose à nouveau comme un outil efficace pour faire face à la turbulence.
Apaiser les tensions commerciales
Malgré tout, l’incertitude reste le maître-mot. Certains grands groupes hésitent à investir aux États-Unis – premier marché mondial du SCF – en raison des droits de douane. Cela pourrait perturber les programmes SCF transfrontaliers, notamment entre les États-Unis, le Mexique et le Canada.Selon Aurélien Viry, les flux commerciaux sont aujourd’hui si imprévisibles que les effets peuvent être aussi bien positifs que négatifs. Il est difficile d’évaluer qui – consommateur final, importateur ou exportateur – supportera le coût des hausses tarifaires. Quoi qu’il en soit, les entreprises devront faire face à des niveaux de stocks plus élevés, à des plans de contingence, et à de nouvelles contraintes de trésorerie.
En effet, ajoute Cordier, « quelle que soit la situation, l’un des atouts du Supply Chain est qu’il peut, dans de telles conditions, être perçu comme une solution gagnant-gagnant. Il permet de sécuriser la chaîne d’approvisionnement d’un acheteur avec ses fournisseurs stratégiques clés, en les aidant à optimiser leur fonds de roulement – et leur capacité d’investissement – grâce au paiement anticipé.
Pour Gilbert Cordier, le SCF reste une solution gagnant-gagnant, particulièrement pertinente en période d’inflation. Les hausses de prix peuvent ralentir les achats, mettant sous pression les fournisseurs non américains. Pour eux, la liquidité et l’optimisation du BFR deviennent des priorités absolues.
Soutenir toute la chaîne, jusqu'aux sous traitants
Les conditions actuelles replacent le besoin en fonds de roulement au cœur des préoccupations. Si certains secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, l’agroalimentaire, les télécoms ou l’énergie utilisent déjà le SCF, d’autres – comme la défense – pourraient en bénéficier davantage.
Aurélien Viry souligne, durant cette période, de nombreuses entreprises envisageaient de relocaliser ou de rapprocher leur production, mais les entreprises ont tiré des leçons des expériences passées et sont aujourd’hui bien mieux préparées à relever ce défi qu’elles ne l’étaient il y a cinq ans.
Il note que, si de nombreux secteurs utilisent déjà le financement de la chaîne d’approvisionnement – comme l’automobile, l’aéronautique, l’agroalimentaire, les télécommunications ou l’énergie – d’autres, notamment dans l’industrie européenne de la défense récemment dynamisée, pourraient également en tirer profit.
Cependant, dans ce secteur, les acheteurs préfinancent souvent leurs commandes ou soutiennent déjà leurs fournisseurs stratégiques. Le véritable défi réside dans le soutien aux sous-traitants de rang inférieur, souvent plus petits et moins bien financés. Aujourd’hui, aucun programme SCF ne prévoit de mécanisme pour ces acteurs, car les contrats sont conclus entre l’acheteur et son fournisseur principal.
Pour Gilbert Cordier, l’enjeu est désormais d’étendre le SCF à l’ensemble de la chaîne, y compris en amont, avant même l’émission de la facture. Cela est particulièrement crucial dans les secteurs où les matières premières sont volatiles et coûteuses.
Redonner de l'élan à une solution gagnante
Alors que le SCF traditionnel semble relativement épargné par les récents bouleversements, l’instabilité des marchés alimente un regain d’intérêt pour cette solution. Gilbert Cordier observe que son développement se poursuit, porté par des besoins et des attentes de plus en plus sophistiqués de la part des utilisateurs.
L’une des demandes les plus fréquentes des clients SCF concerne les programmes multi-financeurs. Pendant la crise du Covid, de nombreuses entreprises ont subi des ruptures dans leurs chaînes d’approvisionnement. Si le SCF a été un véritable filet de sécurité pour beaucoup, certains acheteurs ont vu leurs banques se retirer du marché pour limiter leur exposition au risque. « Aujourd’hui, les clients qui considèrent le SCF comme un outil stratégique cherchent à se prémunir contre la perte de financements essentiels grâce à une approche multi-financeurs. »
Deux modèles permettent cela, explique Gilbert Cordier :
1. La syndication, où une banque chef de file distribue le financement à plusieurs autres institutions financières, répartissant ainsi le risque. « Ce modèle peut parfois manquer de transparence, notamment sur la part de marché de chaque participant ou la structure tarifaire », précise-t-il. Toutefois, chez Société Générale, la syndication se fait sur une base pro rata, garantissant ainsi transparence et visibilité pour l’acheteur comme pour les banques participantes.
2. Le recours à une plateforme tierce indépendante, une demande de plus en plus fréquente de la part des clients. « Si nos clients recherchent des solutions agnostiques vis-à-vis des banques, nous devons être prêts à y répondre. En plus de développer nos propres produits SCF, nous proposons des solutions innovantes via ces plateformes fintech. »
Dans cette optique, Société Générale collabore depuis plus de dix ans avec PrimeRevenue, et a lancé en 2024 un nouveau partenariat avec CRX Markets, une place de marché dédiée au financement du BFR. Ce partenariat permet aux clients d’accéder à une technologie SCF automatisée, basée sur le marché, pour le préfinancement des factures. D’autres collaborations avec des plateformes sont également à l’étude.
Allonger les délais de paiement sans impacter les fournisseurs
Une autre évolution du SCF concerne l’extension des délais de paiement (DPO) sans affecter les fournisseurs. Déjà adoptée par certaines entreprises en Allemagne, cette approche consiste à ce qu’un prestataire de services de paiement (banque ou fintech) règle le fournisseur à l’échéance convenue. Ce prestataire facture ensuite l’acheteur, en lui accordant un délai de règlement supplémentaire. Résultat : le fournisseur est payé à temps, tandis que l’acheteur bénéficie d’un DPO allongé, sans détériorer la relation fournisseur.
L’objectif est clair : améliorer le BFR de l’acheteur sans alourdir son bilan, puisque les fonds utilisés relèvent des activités opérationnelles. Il est même envisageable que l’acheteur propose des délais plus courts à ses fournisseurs tout en prolongeant son propre DPO – un avantage double en matière de trésorerie.
Cependant, comme le souligne Gilbert Cordier, la mise en œuvre de cette solution dépend encore de plusieurs facteurs : validation par les auditeurs, interprétation comptable de l’entreprise, et avis favorable des agences de notation. Il conclut néanmoins que cette approche suscite « un très fort intérêt, tant chez les multinationales que chez les PME », car elle représente une nouvelle option pour amortir les chocs sur le BFR dans un contexte géopolitique et économique toujours plus incertain.
Plus que jamais, les entreprises doivent s’appuyer sur l’expertise de spécialistes du SCF comme Société Générale Factoring.