ESG aux Etats-Unis : le monde entier observe
Il y a vingt ans naissaient les critères ESG (environnement, social et gouvernance) dans un rapport des Nations Unies (« Who Cares Wins », 2004), qui se sont généralisés depuis. Aujourd’hui, ce concept est attaqué comme jamais auparavant, tant comme approche d’investissement que comme pratique commerciale.
Plusieurs États américains ont fait les gros titres, les administrations républicaines ayant annulé des mandats de gestion de pension confiés à des gestionnaires d’actifs en raison de leurs stratégies pro-ESG. S’ajoute à ce « contrecoup opportuniste » un « contrecoup de dislocation » explique Marie Clara Buellingen, Responsable de la finance durable au sein de Société Générale Amériques. En effet, la transition énergétique a un impact réel sur les économies locales et régionales, tandis que le soutien gouvernemental, les capitaux privés et les emplois se détournent de ces secteurs basés sur l’énergie thermique au profit des énergies renouvelables et des technologies « vertes ».
Au "contrecoup opportuniste" s'ajoutent le "contrecoup de la dislocation" et le "contrecoup de l'immatérialité"
Enfin, il y a ce que l’on pourrait appeler un « contrecoup d’immatérialité ». Au cours des dernières années, le battage médiatique autour de l’ESG et de la durabilité (termes souvent confondus) a brouillé les frontières entre les questions ESG matérielles ou concrètes, et d’autres considérations davantage liées à la responsabilité sociale et environnementale traditionnelle des entreprises. Lorsque tout est labellisé « ESG », son impact devient impossible à mesurer, tant sur le plan financier que sur le plan de la durabilité.
50 nuances de vert
La surveillance accrue des régulateurs, des détenteurs d’actifs et d’autres parties prenantes révèle également à un public plus large combien l’intégration de l’ESG peut aujourd’hui varier et différer dans son ampleur. Les investisseurs le ressentent fortement. Ceux-ci sont confrontés à un cadre réglementaire de plus en plus strict (avec la mise en place de taxonomies mondiales) et à des systèmes de reporting obligatoires et volontaires parfois contradictoires. Ils doivent donc évoluer ou aligner leur approche d’investissement et le marketing qu’ils en font, face à des risques de «greenwashing».
Ceci s’est répercuté sur les entreprises. Celles-ci évaluent leurs stratégies ESG et les publient pour des raisons réglementaires et de réputation, certaines d’entre elles se montrant plus discrètes, une pratique appelée le « greenhushing ». Dans les premières années de la généralisation de l’ESG, l’augmentation des publications par les entreprises était un objectif central et une étape clé. Aujourd’hui, les entreprises consacrent plus de temps à aligner leurs objectifs en interne avant de s’engager publiquement. D’un point de vue macro-économique, il s’agit à la fois d’une correction nécessaire en réponse à l’engouement suscité depuis 2020 et du signe d’une maturité croissante.
Cependant, les critères ESG, qu’on les aime ou qu’on les déteste, sont là pour durer. « Le changement climatique, le déclin de la biodiversité, la montée des troubles sociaux sont autant de bouleversements tectoniques dans notre monde. Et ils représentent des risques financiers potentiels pour les entreprises. C’est pourquoi l’ESG est aujourd’hui une priorité pour tous les conseils d’administration », déclare Helle Bank Jorgensen, Directrice générale et fondatrice de Competent Boards, qui forme et certifie les administrateurs de conseils d’administration et les dirigeants des entreprises sur les questions d’ESG et de climat.
Le changement climatique, le déclin de la biodiversité, la montée des troubles sociaux sont autant de bouleversements tectoniques dans notre monde. Et ils représentent des risques financiers potentiels pour les entreprises.
Dépolitiser le débat et analyser l’impact
Comment les entreprises doivent-elles réagir pour aller de l’avant ? La première étape consiste à dépolitiser le débat en se concentrant sur la « valeur » pour les multiples parties prenantes. Cette valeur est apportée de façon éthique, particulièrement précise et via une grande capacité d’action stratégique. La réduction des déchets, l’utilisation moindre des ressources, l’amélioration de l’efficacité énergétique, de bonnes relations avec les collaborateurs et les communautés locales… Ces actions de l’entreprise ont du sens pour la société et la planète tout en lui permettant d’améliorer ses marges et d’assumer ses responsabilités fiduciaires. Il existe donc bien un terrain d’entente pour les entreprises, les investisseurs et les autres parties prenantes, quelle que soit leur affiliation « politique ».
Parallèlement, une meilleure analyse de l’impact financier peut aider la direction d’une entreprise à distinguer plus clairement les questions ESG concrètes de celles qui ne le sont pas, note Marie Clara Buellingen. Il s’agit d’un processus évolutif qui nécessitera l’implication de tous les services de l’entreprise, au-delà des équipes en charge de la durabilité et des finances.
Les entreprises devraient toutefois considérer un tel programme comme une opportunité d’innovation et de différenciation plutôt que comme un simple coût. Cela s’applique également lorsqu’il s’agit d’encourager un débat plus vif sur les compromis inhérents à l’ESG (tant en interne et au sein du conseil d’administration qu’en externe avec les partenaires et les parties prenantes). Si une entreprise agit sur un des aspects d’une question environnementale (en passant entièrement aux énergies renouvelables, par exemple), comment cela affecte-t-il d’autres facteurs (comme ici la demande de métaux rares extraits dans des conditions non durables) ? L’ESG n’est pas un substitut à la politique, et n’a pas à l’être. Bien utilisé, cet outil permet d’améliorer la résilience des entreprises, la gestion des risques et l’innovation, explique Marie Clara Buellingen.
Cette intersectionnalité doit être étudiée avec soin. Aucune entreprise ne souhaite être accusée d’aggraver la situation par inadvertance. D’où l’importance de disposer des compétences et de l’expertise adéquates jusqu’au niveau du conseil d’administration, souligne Helle Bank-Jorgensen. Qui ne veut pas connaître la solidité de sa chaîne d’approvisionnement ? Ou dans quelle mesure une hausse du prix du carbone affectera ses bénéfices ? Sans compter qu’une approche bien maîtrisée des questions ESG peut contribuer à attirer des talents (en particulier les plus jeunes) et à réduire le coût du capital.
Un environnement favorable
Pour mettre tout cela en pratique, les entreprises (et leurs parties prenantes) ont besoin de travailler au sein d’un écosystème ESG plus robuste : des taxonomies standardisées, des systèmes harmonisés de publications et des données fiabilisées par une garantie externe, comme le sont aujourd’hui les données financières. Cela permettra de créer un « langage » ESG commun dans l’ensemble de l’entreprise, jusqu’au conseil d’administration.
En attendant, comme mentionné, les entreprises doivent investir de manière proactive : en confiant la responsabilité des questions ESG aux dirigeants, avec ressources et formations appropriées. Les experts en la matière doivent conseiller les administrateurs, en particulier les non-dirigeants, afin que les débats du Conseil ne se limitent pas à de simples exercices pour cocher la case.
Au bout du compte, il s’agit de savoir quel genre d’entreprise on veut être, affirme Helle Bank-Jorgensen. Une entreprise ne peut pas plaire à tout le monde, et rien ne les y oblige. En revanche, choisir son positionnement et son impact potentiel, notamment financier, qu’il s’agisse d’ESG ou de tout autre sujet, il y va tout simplement de la bonne gestion d’une entreprise et de son activité.
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