En route vers le numérique : se préparer à la facturation électronique obligatoire
Avec la mise en œuvre dans toute l'Europe de législations rendant obligatoire la facturation électronique, dont plusieurs visent les paiements B2B, les trésoriers et les équipes de transformation financière doivent se préparer à un changement important dans la manière dont ils effectuent et reçoivent des paiements.
La facturation électronique offre de nombreux avantages pour les entreprises acheteuses et leurs fournisseurs. Par exemple, une facture électronique contient des données standardisées du fournisseur, qui peuvent être importées automatiquement dans le système TMS ou ERP de l'acheteur. La suppression de la saisie manuelle des données permet d'économiser du temps et de l'argent pour les trésoriers et les équipes qui assurent le suivi des paiements ou les rapprochements.
Le développement de la facturation électronique et de son corollaire, l'e-reporting, modifie la manière dont les entreprises effectuent leurs opérations dans toute l'Europe. La réglementation a été un moteur essentiel de son adoption. Depuis que l'Italie a instauré la facturation électronique obligatoire en 2014 pour les factures d'entreprises destinées à des entités du secteur public (Business-to-government, B2G), d’autres pays d'Europe ont suivi la même voie.
Aurélien Viry, Directeur Général de Société Générale Factoring, commente : « La plupart des pays ont mis en place des processus de facturation électronique B2G et s’attaquent désormais à la facturation B2B. »
Une Europe harmonisée ?
Au niveau de l'UE, le Parlement européen et le Conseil ont publié en mai 2014 une directive sur la facturation électronique dans les marchés publics, dont le délai de mise en œuvre avait été prolongé jusqu’en avril 2020. Le but de la directive était d'apporter un niveau de normalisation à la facturation électronique au sein de l'UE pour les factures B2G.
En début d’année, la Commission européenne a ouvert une consultation pour récolter des observations sur la directive entre mars et avril afin d'ajuster l'initiative et d'identifier les difficultés et les opportunités d’une standardisation pour la facturation électronique B2B et B2C.
« À un certain stade, une réglementation de l'UE sur les flux transfrontaliers intra-européens sera élaborée qui couvrira la facturation électronique B2B, mais il faudra attendre quelques années avant qu’elle ne soit mise en œuvre ».
Le message clé est que l'harmonisation des diverses facturations électroniques en Europe prendra du temps, principalement parce que la mise en œuvre se déroule à des rythmes différents dans les États membres.
« Chaque pays possède un point de vue différent sur le champ d’application et le lien entre le e-reporting et la facturation, sans parler des normes techniques », ajoute Aurélien Viry.
La facturation électronique ne sera pas harmonisée d’emblée dans l'UE, elle le sera dans un premier temps au niveau national.
Focus sur la France
Les pays développant légèrement différemment leurs cadres et leurs exigences en matière de facturation électronique, la difficulté pour les entreprises est de comprendre et de respecter les règles spécifiques dans chacun des pays où ils opèrent. Certains, par exemple, préfèrent centraliser le contrôle du processus par le biais d'une plateforme gouvernementale d'échange de factures. D'autres privilégieront les plateformes privées. Certains pays prévoient de n’utiliser ces plateformes que pour l'échange de factures, tandis que d'autres, comme la France, incluront des mises à jour du statut pour chaque facture de manière à y faire figurer quand elle est acceptée, rejetée ou payée.
« Alors que l'Italie dispose d'une plateforme unique gérée par l'État, en France, deux systèmes cohabiteront. Il y aura une plateforme contrôlée par l'État, mais il y aura également plusieurs opérateurs de plateformes privés qui obtiendront les factures de l'émetteur et les transmettront à la plateforme du client sur laquelle ce dernier verra la facture. »
Il est essentiel que les sociétés opérant en France comprennent leurs options de facturation électronique, car les grandes entreprises verront leurs transactions B2B soumises à l'obligation de facturation électronique à partir du milieu de l'année prochaine.
« La France commence par les plus grandes entreprises – définies comme celles dont le chiffre d'affaires est supérieur ou égal à 1,5 milliard d'euros – en juillet 2024. L’obligation sera ensuite étendue progressivement en janvier 2025 aux entreprises de taille moyenne, puis en 2026 aux petites entreprises. Quand c'est votre tour, c’est votre tour ! »
Il est particulièrement important de connaître le calendrier de mise en œuvre en France car il concerne à la fois la facturation électronique et le e-reporting. Les grandes entreprises doivent être prêtes et opérationnelles sur ces deux aspects d'ici l'été 2024. Si les petites et moyennes entreprises disposent d'un peu plus de temps pour l'émission de factures électroniques, elles doivent néanmoins être prêtes à recevoir des factures au format électronique dès juillet 2024, ce qui sera obligatoire pour toutes les entreprises.
« À cette date, il deviendra obligatoire de recevoir des factures de grandes entreprises par le biais de plateformes accréditées. Il y aura une plateforme publique, d'autres privés, et chaque entreprise devra ouvrir au moins un compte auprès de l'un d'eux pour émettre des factures ou en recevoir de ses fournisseurs. Les différentes plateformes seront connectées et se transmettront les informations car, bien sûr, la société qui émet la facture peut ne pas être sur la même plateforme que celle qui la reçoit. »
Cela implique également que les plateformes privées soient équipées d’une infrastructure connectée pour fonctionner correctement, afin qu'elles puissent communiquer entre elles.
« Chacune de ces plateformes aura également des obligations de e-reporting vis-à-vis de l'État via la plateforme publique, car l'un des objectifs de la réglementation est de pouvoir exercer un contrôle permanent afin de limiter le risque de fraude à la TVA », explique Viry. « Outre le contrôle de la fraude, un autre objectif est de rendre l'ensemble du marché de la facturation plus transparent et plus compétitif et de réduire le coût du recouvrement. »
Les changements à venir créent des opportunités
L’obligation de facturation électronique aura un impact sur le département trésorerie et les fonctions liées au sein des entreprises. Un premier impact évident est qu'elle obligera les entreprises à réexaminer leurs processus de facturation et d'achats/fournisseurs pour les flux de trésorerie sortants et entrants. Pour les entreprises qui se préparent à s'adapter au nouvel environnement de facturation, c'est aussi le moment idéal pour procéder à un état des lieux des processus, y compris évaluer la qualité des données sur leurs contreparties.
« C'est probablement une opportunité pour remanier ou ajuster les processus de traitement des factures émises et reçues », affirme Aurélien Viry. « Cela pourrait également avoir une incidence sur la manière dont le processus achats/fournisseurs est structuré et sur la façon dont l’entreprise communique avec ses clients. »
Si les entreprises multinationales seront probablement capables de faire évoluer leurs processus en interne pour répondre aux nouvelles exigences, les autres pourraient avoir du mal à tout faire elles-mêmes.
« Les entreprises devront repenser leurs processus en raison de l’interconnexion entre les différents services. Elles peuvent soit considérer cela comme une opportunité d'externaliser un grand nombre de leurs tâches, soit décider de les conserver en interne. »
Pour les nouvelles plateformes de facturation électronique privées, la période pourrait être propice à la création d’offre de services à valeur ajoutée.
« Il y aura probablement une intégration des services que certaines plateformes fournissent pour aider les petites et moyennes entreprises à gérer leur facturation et leur recouvrement. Elles pourraient par exemple essayer d’offrir des services supplémentaires tels que le recouvrement de créances, les rapprochements bancaires, le e-reporting et l'analyse. Il est probable que les cabinets comptables souhaiteront également être connectés, pour accéder facilement aux données dans le cadre des services de déclarations, par exemple. »
Au-delà des comptables, les banques auront également un rôle à jouer dans l'offre de services à valeur ajoutée pour les entreprises utilisant des plateformes de facturation électronique privées.
« La plupart des banques chercheront à trouver des moyens de rendre le parcours client aussi intégré que possible entre les fonctionnalités de banque en ligne et de facturation électronique. Les éditeurs de plateformes privées affirment qu’ils ont l’intention d'aller bien au-delà du simple processus de réception et d’envoi de fichiers par voie électronique. Ils veulent l'intégrer à leur activité existante, qu'il s'agisse de services bancaires ou de facturation. »
Pour les trésoriers, l’essentiel est de savoir que le changement est important, l’adoption est encore faible et le temps presse car l'échéance est imminente.
Le moment d'agir
Pour les trésoriers, c'est le moment idéal pour se préparer à l’obligation de facturation électronique. La date d’entrée en vigueur en 2024 pour les grandes entreprises en France souligne l’imminence de ces changements pour toutes les autres.
« Il est temps pour les entreprises de commencer à évaluer leurs processus – ce qui peut être supprimé, ce qui peut changer – et de se doter d’une certaine connectivité, surtout si elles émettent des factures », conseille Aurélien Viry. « Elles doivent effectuer une évaluation détaillée de la qualité de leurs données, revoir leurs processus et leurs partenaires, et repenser le parcours de paiement du client. Pour les grandes entreprises, où il faut généralement du temps pour changer les processus en raison des volumes importants qu'elles gèrent, c'est vraiment le moment d'agir. »
Pour les trésoriers et leurs collègues qui gèrent la facturation des clients, les achats ou les fournisseurs, il y a plusieurs décisions à prendre.
« Les entreprises doivent évaluer leurs données, leurs systèmes, modifier tout ce qui est manuel, et bien sûr décider si elles choisissent la plateforme « A », « B » ou « C », ou encore la plateforme contrôlée par l'État. Un niveau d'automatisation des processus de 90 % de l’ERP ne suffira pas. Les 10 % restants, qui sont très spécifiques et peuvent être manuels ou basés sur d'autres outils, sont tout aussi essentiels. »
Assurer un écosystème efficace
Bien sûr, les entreprises ne sont pas les seules à devoir se préparer au déploiement de la facturation électronique obligatoire. Les banques elles-mêmes se préparent activement à basculer sur de nouvelles fonctionnalités pour soutenir l'écosystème de la facturation électronique tout en maintenant leurs services et leur accompagnement existants aux clients.
« En tant que société d'affacturage, notre métier consiste à financer les créances », déclare Aurélien Viry. « En France, les factors sont la première source de financement court terme pour les entreprises, et nous le faisons en achetant des créances. Cela signifie que nous devons offrir un dispositif efficace pour éviter toute duplication de processus pour nos clients. Le secteur de l'affacturage collabore avec l'État et les instances regroupant les éditeurs de plateformes, pour faire en sorte que l'écosystème soit le plus efficace possible. »
Par ailleurs, les banques envoient régulièrement des factures pour des services à leurs propres clients. Les processus concernés vont également changer.
« Aujourd'hui, les banques débitent des frais sur le compte des clients et leur envoient un relevé de compte. Mais demain, elles devront peut-être le faire via les nouvelles plateformes électroniques, ce qui constitue un changement majeur ».
À l’inverse, les banques achètent également des biens et des services auprès de différentes parties, elles doivent également s’organiser pour la réception et le traitement des factures électroniques dans leur système achats/fournisseurs.
« L'aspect le plus important pour nous est la manière dont nous traitons avec nos clients et quel type de services nous pouvons leur offrir », conclut Aurélien Viry. « Nous avons l'intention d'être actifs dans ce domaine – tout en assurant la continuité de nos activités et en améliorant l'expérience actuelle des clients de Société Générale Factoring, nous étudions de nouvelles opportunités pour l'affacturage, car cette réforme créera un environnement propice aux services innovants.»
« En résumé, c’est un changement profond, dont l’adoption est encore faible et l’échéance imminente : le compte à rebours a commencé. »