Digitalisation et développement durable : deux tendances clés du Trade Finance en Asie-Pacifique

19/03/2021

En ce début d’année 2021, alors que nous émergeons à peine du naufrage économique causé par l'apparition de la pandémie de COVID-19, quelles sont les principales tendances en matière de financement ?

Par Stéphane-Alexandre Badoy, Head of Global Transaction Banking, Asie-Pacifique, Société Générale

L'impact a été variable selon les différentes économies de la région, avec toutefois une contraction plus importante du commerce en Asie du Sud et du Sud-Est. Dans le même temps, les économies d'Asie du Nord, comme la Grande Chine, la Corée du Sud et le Japon, ont mieux résisté. En réalité, la Chine sort même plus forte de cet épisode que ce qui avait été prévu avant la pandémie, lorsque les analystes s'attendaient à ce que la guerre commerciale avec les États-Unis ralentisse son commerce extérieur. S'il fallait une preuve de la résilience du commerce international en Asie, 15 pays de la région, avec la Chine comme pierre angulaire, ont signé l’accord de libre-échange régional (Regional Comprehensive Economic Partnership ou RCEP) en décembre dernier. Le RCEP est le plus grand accord commercial du monde, couvrant un tiers de la population et 29 % du Produit Intérieur Brut mondial.

La pandémie a déjà eu une profonde influence sur le commerce international - mais cela ne fait que commencer. Je pense qu'elle va également accélérer les tendances existantes dans le financement du commerce international, notamment celles qui concernent le développement durable et la digitalisation. 

Vers un financement du commerce international plus durable

La protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique ne sont plus un sujet réservé aux spécialistes ou aux militants. Dans l'ensemble des sociétés et dans les institutions financières, il existe un appel clair et fort pour que le système financier soutienne la transition vers un modèle de croissance plus durable. Le développement de la finance verte a commencé au milieu des années 2010, notamment avec la mise en place des Green Bond Principles par l'International Capital Market Association. Le verdissement des marchés financiers s'est poursuivi avec l'émergence de prêts verts et durables (sustainability-linked), ainsi que de financements de transition. Les solutions vertes de Trade Finance constituent la prochaine frontière dans l'exploration d'un système financier plus durable.

“Les solutions vertes de Trade Finance sont la prochaine frontière dans l'exploration d'un système financier plus durable.” 

L'Asie a besoin d’importants investissements pour construire les infrastructures nécessaires à sa transition vers une économie plus durable, notamment par le biais de projets d'énergie renouvelable. En effet, nous pensons que la région sera l’espace le plus prometteur au cours des prochaines décennies pour investir dans la transition énergétique. La transition énergétique dans la région APAC est stimulée par la croissance démographique et économique qui impactent la demande en énergie, ainsi que par les politiques gouvernementales visant à accélérer la décarbonisation des économies. Selon ENEA Consulting, en 2019, l'APAC représentait 45 % des investissements mondiaux dans la transition énergétique, et ce chiffre devrait être de 54 % entre 2019 et 2040.

En outre, la finance verte bénéficie d'un fort soutien politique dans la région : l'Autorité Monétaire de Hong Kong (HKMA) et la Securities and Futures Commission (SFC) de la ville ont créé un groupe de pilotage de la finance verte et durable en 2020, tandis que l'Autorité Monétaire de Singapour (MAS) a également annoncé le lancement de son programme de prêts liés à l'écologie et au développement durable (GSLS) à la fin de l'année dernière.

Nous pensons que les entreprises ont besoin d'outils financiers supplémentaires pour relever ce défi de la transition durable, notamment dans le domaine du financement du commerce international. C'est pourquoi nos équipes chargées du Trade Finance structuré ont élaboré un cadre pour promouvoir les opérations vertes de Trade Finance inspiré des nomenclatures existantes pour les obligations et les prêts, et basé sur des produits traditionnels du Trade Finance : crédits documentaires et garanties internationales. Ce cadre englobe des projets dont les sous-jacents sont relatifs aux énergies renouvelables, à la gestion des déchets, aux transports propres et à la gestion durable des ressources aquatiques. Cette innovation a été accueillie très positivement par nos clients asiatiques. Par exemple, elle a été utilisée pour les premières garanties internationales vertes de China Goldwind l'année dernière. Cette opération était l’un des premiers montages de ce type en Asie et a permis la construction d'un champ éolien au Vietnam. De même, la ligne de garanties vertes mise en place cette année par CGNPC Huasheng pour soutenir ses projets de parcs éoliens a constitué une avancée positive.

Davantage de standardisation de ces nouvelles offres est nécessaire

Pour que les opérations vertes de Trade Finance se développent sur le marché, le secteur bancaire dans son ensemble doit agir plus rapidement pour définir les normes et standards qui régiront ces solutions. Pour sa part, Société Générale participe depuis de nombreux mois à des groupes de travail organisés par la Chambre de Commerce Internationale (CCI) et la Banque Asiatique de Développement (BAD) ; mais les progrès sont lents et nous regrettons les difficultés à développer une nomenclature et des normes communes.

Cela est d'autant plus nécessaire que les autorités de régulation telles que celles de Hong Kong ou de Singapour s’intéressent déjà à ce sujet et nous pensons qu'il est important que l'industrie apporte une réponse cohérente. Si ce n'est pas le cas, le risque est de voir différentes juridictions adopter des approches très différentes.

En outre, grâce à une approche coordonnée, nos associations professionnelles ou nos organismes multilatéraux seront en mesure de démontrer que les produits verts de Trade Finance ne sont pas plus risqués que les produits traditionnels. Cela sera essentiel pour faire valoir qu'ils méritent un traitement réglementaire favorable, notamment dans le cadre des travaux du Comité de Bâle, afin de soutenir la transition de nos clients et de nos économies vers des émissions nettes nulles.

Développement durable et innovation dans le commerce international

Créer une approche plus durable pour notre secteur signifie également soutenir la croissance économique dans les régions les moins développées du monde et promouvoir l'inclusion sociale. Nous pensons que les acteurs asiatiques du Trade Finance ont un rôle clé à jouer dans ce processus. Cela passe par :  

  • Promouvoir de nouvelles solutions de Trade Finance qui relèvent ces défis dès leur conception, comme les garanties et les crédits documentaires sustainability-linked. Par exemple, nos équipes ont travaillé avec nos environnementalistes en 2020 pour développer un cadre dans lequel nous intégrons des objectifs sociaux et environnementaux aux instruments traditionnels du Trade Finance. Grâce à ces instruments, le client peut réduire ses frais s'il respecte certains critères de performance et de durabilité.
     
  • Permettre la croissance et le développement de l'Afrique. Par nature, le financement du commerce international construit des ponts entre les continents et favorise les échanges. Aujourd'hui, près de la moitié des importations de l'Afrique proviennent d'Asie, la Chine étant le premier partenaire commercial de l'Afrique. En tant qu'acteurs asiatiques du Trade Finance, nous devons faciliter le financement de projets d'infrastructure africains, ainsi qu'ouvrir des portes aux petites et moyennes entreprises africaines travaillant avec des sociétés asiatiques. 


Le chemin de la digitalisation 

Tous les acteurs du Trade Finance constatent que notre secteur garde une forte prédominance des échanges papier. Dans le cadre de nos efforts pour un financement du commerce international plus durable, nous devons également nous engager à poursuivre la digitalisation de nos services, ce qui devrait également contribuer à faciliter le règlement plus rapide des échanges transfrontaliers. En 2019, Société Générale a choisi l'Asie pour expérimenter l'exécution de sa première présentation électronique (basée sur eUCP) pour une lettre de crédit avec Reliance Industries en Inde.

En 2020, nous avons également déployé un outil de vérification des documents développé en interne et basé sur des modules d'intelligence artificielle et de reconnaissance optique des caractères. Cet outil a été déployé dans tous nos back-offices en Asie dans le but de réaliser des contrôles de conformité plus rapides et plus sûrs pour nos transactions de Trade Finance. Cependant, on ne peut que constater que ces technologies consomment énormément d'énergie et qu'il est crucial de trouver des moyens de devenir plus frugaux. A cet égard, Société Générale a publié une charte pour une utilisation responsable de l'énergie dans les technologies de l'information et nous appelons nos partenaires à nous rejoindre dans cette démarche.
 

(Cet article a été initialement publié par Trade Finance Global)