
Équilibrer les priorités ESG et de trésorerie en période d’incertitude
Considérant la durabilité comme une résilience commerciale autant qu’une responsabilité environnementale et sociale, Marie-Gabrielle Marie-Gabrielle de Drouas, Head of Sustainability, Global Transaction Banking de Société Générale, explore les pressions et les perspectives pour les trésoriers dans cette période particulièrement difficile.
Une fois lancé, l’ESG n’a jamais été une option facile. C’est pourquoi, alors que la plupart des entreprises considèrent aujourd’hui l’ESG comme un élément stratégique de leurs activités – des opérations aux investissements – beaucoup ressentent la pression, parfois de manière très concrète.
Après une période marquée par des engagements forts en matière d’ESG, les parties prenantes – clients, collaborateurs, actionnaires, gestionnaires d’investissement et agences de notation – attendent désormais des preuves tangibles que les entreprises respectent réellement les valeurs de durabilité qu’elles proclament. Pour les trésoriers d’entreprise, il s’agit d’un véritable défi : répondre aux exigences ESG tout en atteignant les objectifs financiers globaux de l’entreprise.
Comme le souligne Marie-Gabrielle Marie-Gabrielle de Drouas : Nous constatons un besoin croissant de données ESG fiables, et une fois de plus, les trésoriers, qui détiennent des données financières enrichies, ont un rôle majeur à jouer dans leur production.
Elle ajoute que leur niveau de contribution et de connaissance place de nombreux trésoriers en position de leader dans le financement de la transition durable de leur entreprise.
Alors que de plus en plus de trésoriers reconnaissent la valeur de l’ESG dans un monde où le bien commun est menacé, le contexte économique actuel, marqué par des tensions géopolitiques multiples, ajoute une difficulté supplémentaire : comprendre les révisions irrégulières des règles du jeu.
Objectifs mouvants – et chaînes d’approvisionnement
Les propositions de règlement Omnibus de l’UE, annoncées en février 2025, visent à simplifier les règles de divulgation et de reporting, permettant aux entreprises opérant dans les États membres de rester conformes tout en poursuivant activement leurs objectifs de durabilité. En parallèle, en Inde, les réglementations ESG sont en cours de révision par la SEBI (Securities and Exchange Board of India), et aux États-Unis, la SEC (Securities and Exchange Commission) a entrepris de revenir sur certaines règles de divulgation climatique.
Alors que l’évolution constante des réglementations ESG complique davantage la tâche des trésoriers opérant à l’international, plus près de chez nous, la réapparition de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt ont remis en question les stratégies d’allocation du capital de nombreuses entreprises, complexifiant encore davantage la situation.
Les entreprises savent que l’ESG est un investissement à long terme, mais elles doivent désormais concilier cette vision avec la pression de générer des rendements économiques à court terme, ce qui rend l’intégration plus complexe pour les trésoriers, note Marie-Gabrielle Marie-Gabrielle de Drouas.
Il existe toutefois des opportunités. Aux États-Unis, par exemple, malgré le recul du soutien aux énergies renouvelables, la demande croissante de centres de données énergivores liée au déploiement de l’IA pourrait créer une alliance de circonstance si ces centres peuvent être alimentés, au moins en partie, par des sources d’énergie durables.
L’influence politique sur l’activité des chaînes d’approvisionnement, notamment en matière de financement de la chaîne logistique (SCF) et de financement du commerce, est manifeste, les droits de douane entraînant une reconfiguration des stratégies d’approvisionnement. Cela peut modifier certains aspects de la durabilité, avec l’ouverture de nouveaux corridors commerciaux lorsque les entreprises choisissent de relocaliser ou de rapprocher leur production.
Certaines lignes de production en Chine ont, par exemple, été déplacées vers d’autres régions d’Asie du Sud-Est, comme le Vietnam. Cela crée de nouvelles routes de transport qui ont un impact ESG, notamment en termes d’émissions de carbone accrues. Pour de nombreuses entreprises, une part importante de leurs émissions provient du Scope 3, en particulier de la chaîne de valeur amont, et ce changement doit être intégré dans leurs nouveaux calculs.
La reconfiguration de la production, de l’approvisionnement et du transport des biens est une considération importante pour la durabilité, explique Marie-Gabrielle Marie-Gabrielle de Drouas.
« Et comme les perturbations commerciales exercent à nouveau une pression sur les marges bénéficiaires, cela peut réduire le choix de matériaux durables, souvent plus coûteux. »
Si une entreprise pensait que cela n’était pas un enjeu, le fait que les agences de notation et les investisseurs prennent désormais en compte la manière dont les entreprises s’adaptent aux risques géopolitiques devrait les alerter. Ces parties prenantes interrogent activement les entreprises sur le maintien de leurs standards ESG – y compris les engagements environnementaux et sociaux – dans le contexte des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, car cela fait désormais partie intégrante de la gestion des risques.
Faire appel aux experts
La nature en constante évolution de la réglementation, des marchés financiers et des chaînes d’approvisionnement – et la pression pour en évaluer et réévaluer les impacts dans le cadre d’engagements ESG sérieux – représente une véritable montagne à gravir pour les trésoriers.
Certes, la fonction de trésorerie a d’autres priorités importantes, mais l’ESG n’est plus simplement une case à cocher. Il est désormais un indicateur réel de l’intention commerciale et de la performance. Le fait qu’il concerne des parties prenantes au-delà du périmètre immédiat de l’entreprise renforce la gravité avec laquelle il est désormais pris en compte.
Bien entendu, certaines entreprises européennes sont soumises à la Directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), qui exige qu’elles rendent compte de l’impact de leurs activités sur l’environnement et la société, ainsi que des risques de durabilité auxquels elles sont exposées. Une réponse est obligatoire, mais le contenu de ces rapports audités de manière indépendante est, selon Marie-Gabrielle de Drouas, souvent « riche et intéressant », constituant un outil précieux pour l’analyse bancaire de la durabilité des clients.
De nombreux clients ont profité de cette opportunité pour créer des liens solides entre leurs équipes financières et RSE, ajoute-t-elle.
Certains ont même créé des postes dédiés à la finance durable, ce qui, selon elle, permet non seulement d’intégrer la durabilité dans l’ADN financier de l’entreprise, mais aussi de servir de point de contact expert entre la banque et le client pour discuter de finance durable.
Compte tenu de l’importance accordée à la durabilité, il n’est pas surprenant que l’ESG soit progressivement intégré aux structures de gestion des risques des entreprises. Cela inclut, par exemple, les risques physiques liés au changement climatique, qui peuvent affecter les actifs ou même les modèles économiques.
« C’est un signal positif pour nous », déclare Marie-Gabrielle de Drouas.
À mesure que de plus en plus de clients s’engagent dans l’ESG, leurs trésoriers s’impliquent davantage sur le sujet avec toutes les parties prenantes – non seulement leurs collègues RSE, mais aussi les équipes achats, relations investisseurs, communication, et même la direction générale. Cela leur permet de mieux partager leurs stratégies financières et RSE avec nous, et ainsi nous pouvons mieux les accompagner dans les défis de leur transition.
Effort collectif
Comme pour toute transformation fondamentale, une réponse efficace aux enjeux ESG ne peut être menée seule, affirme Marie-Gabrielle de Drouas. « Les trésoriers savent bien qu’ils ne peuvent réussir que si tous les acteurs concernés travaillent ensemble, y compris les partenaires externes comme les banques et les fournisseurs. »
Du côté des fournisseurs, la question du risque est bien réelle. L’intégration de l’ESG dans les procédures de due diligence « connaissance fournisseur » est particulièrement cruciale pour les prestataires stratégiques. Cela implique d’évaluer la résilience de la chaîne d’approvisionnement, non seulement face à l’instabilité des fournisseurs causée par des événements géopolitiques, mais aussi face au changement climatique et aux catastrophes naturelles. Dans certains cas, cela a conduit à l’adoption du financement de la chaîne d’approvisionnement (SCF) comme mesure de protection, impliquant ainsi les partenaires bancaires dans ces discussions.
« Chez Société Générale, nous considérons que l’ESG fait partie intégrante de l’ADN du financement de la chaîne d’approvisionnement », déclare Marie-Gabrielle de Drouas. L’un des objectifs fondamentaux du SCF est d’offrir un soutien en fonds de roulement à moindre coût, notamment aux fournisseurs PME ou ETI de grands acheteurs corporatifs. Cela renforce bien sûr la résilience de ces fournisseurs, et donc celle de la chaîne d’approvisionnement dans son ensemble. Mais en intégrant l’ESG, par exemple sous forme de SCF lié à la durabilité, le Scope 3 de l’acheteur peut également être amélioré, puisque les fournisseurs participants sont incités à soutenir ces objectifs grâce à un financement à coût réduit.
En tant que banque, nous conseillons également nos clients et leurs fournisseurs sur la manière d’optimiser les investissements CapEx et OpEx nécessaires à la transition vers un modèle plus durable, poursuit Marie-Gabrielle de Drouas.
Ces échanges permettent aussi à la banque d’anticiper et d’adapter ses produits financiers aux besoins de ses clients, que ce soit via la banque transactionnelle ou plus largement via les solutions de banque de financement et d’investissement.
La voie la plus rapide vers le TOP
À un niveau global, cela se concrétise grâce à l’outil Transition Opportunities Potential (« TOP »). Développé principalement par l’équipe de banque de financement et d’investissement (CIB) de la banque, Marie-Gabrielle de Drouas explique que TOP s’appuie sur une vaste base de connaissances et d’informations accessibles publiquement, adaptées aux défis spécifiques de chaque secteur.
TOP a été conçu pour évaluer les stratégies de transition climatique des clients. L’outil est adapté aux spécificités sectorielles et repose sur une méthodologie transparente. Il aide les banquiers à structurer et renforcer les discussions stratégiques avec leurs clients, et à mieux soutenir leurs stratégies de transition grâce à des solutions de financement innovantes et appropriées.
Le développement de TOP a commencé avec les industries à forte intensité carbone, qui ont montré un réel intérêt, et a été progressivement étendu à d’autres secteurs.
Ce n’est pas une approche « copier-coller », précise Marie-Gabrielle de Drouas, mais plutôt une démarche qui mobilise les connaissances et l’expertise accumulées par la banque sur les défis de transition propres à chaque industrie, ainsi que l’implication de compétences transversales au sein de la banque.
Passer à l’action – et aller plus loin
Bien que les tendances géopolitiques actuelles aient complexifié l’adoption générale de l’ESG, Marie-Gabrielle de Drouas observe que de nombreux clients, en particulier les grandes entreprises, ont atteint un niveau de maturité qui montre qu’ils ne sont pas prêts à revenir sur leurs engagements. En effet, avec les prêts verts, les obligations durables et le financement du commerce intégrés dans leurs stratégies, plusieurs cherchent à aller encore plus loin.
« Ces produits restent d’actualité, mais les mentalités évoluent. Les volumes de prêts liés à la durabilité se stabilisent, et les discussions avec les clients portent désormais davantage sur la sécurisation des CapEx et OpEx nécessaires à leur transformation durable. »
Il est révélateur que certains clients cherchent désormais des moyens plus précis de mesurer leur retour sur investissement dans les initiatives ESG. Là où auparavant ces investissements étaient considérés comme des dépenses modestes à long terme et plutôt intangibles, ils souhaitent aujourd’hui continuer à investir, mais avec un suivi et un reporting sur l’impact réel de ces investissements. Il y a clairement eu un passage de la phase d’engagement initial à une approche beaucoup plus concrète.
Bien qu’il existe « des initiatives intéressantes » pour quantifier les investissements et les retours ESG, Marie-Gabrielle de Drouas reconnaît que la plupart des fonctions trésorerie doivent encore s’appuyer sur des perspectives ESG qualitatives dans leurs comités d’investissement.
Cela pourrait bientôt changer, observe-t-elle.
Les défis liés à la mise en œuvre et à la communication des engagements ESG pour les trésoriers sont indéniablement plus complexes dans le contexte actuel. Mais nous observons une évolution très positive, qui s’éloigne de l’exercice de conformité statique d’autrefois, pour aller vers un modèle dynamique et prospectif, qui considère la durabilité comme une question de résilience commerciale, environnementale et sociale.
Dans cette optique, les trésoriers qui souhaitent marquer les esprits sont désormais en position de défendre avec force l’adoption de la finance durable.




