Concilier inclusion bancaire, impératifs économiques et conformité : l’équation complexe du Correspondent Banking
Au cours des dernières années, le Correspondent Banking s’est profondément transformé. Plus techniques et davantage régulés, les paiements internationaux sont devenus de plus en plus complexes à opérer, incitant certains acteurs à réduire la voilure sur ce marché. Mais ce mouvement ne doit pas freiner les efforts d’inclusion bancaire, au risque de couper une partie de la planète d’un accès aux échanges internationaux…
Au fil des années, le métier de la correspondance bancaire s’est profondément transformé. Tout particulièrement, le niveau d’exigence des régulateurs envers les opérateurs de paiements internationaux a fortement été relevé. De fait, les banques sont devenues le bras armé des autorités pour appliquer les programmes de sanctions internationales, détecter les fraudes et le blanchiment ou encore lutter contre le financement du terrorisme.
Pour répondre à ces enjeux sans dégrader leur efficacité opérationnelle, les banques correspondantes ont dû investir massivement dans leurs systèmes de détection des transactions illicites et le traitement automatisé des alertes conformité. Celles qui ne sont pas parvenues à trouver la bonne équation économique ont fait le choix d’abandonner cette activité, totalement ou partiellement. Inévitablement, ce mouvement conduit à une concentration du marché.
La concurrence de nouveaux acteurs dans les paiements cross-border
Au même moment, de nouveaux acteurs se sont intéressés à la chaîne des paiements internationaux, que ce soit dans la partie “front-end” (avec notamment des fintechs en relation directe avec les clients) ou dans les infrastructures sous-jacentes (avec, par exemple, des opérateurs comme Visa ou Mastercard, qui cherchent à constituer des réseaux alternatifs à Swift).
Les Fintech ont également pu prospérer car elles ont été, à une époque, moins régulées que les banques, dans une volonté des pouvoirs publics d’encourager la concurrence au profit des consommateurs. Néanmoins, ces acteurs font face aujourd'hui à deux difficultés : une régulation plus stricte à mesure qu'ils grandissent et un contexte économique et financier moins favorable pour lever des fonds, d'autant plus que nombre de ces nouveaux entrants ne sont pas rentables.
Nous risquons donc d'assister à court ou moyen terme à une sévère correction et, là encore, à une consolidation du secteur, avec quelques survivants et beaucoup de disparitions.
Une recherche accrue d’efficacité opérationnelle
Dans ce contexte, les banques commerciales traditionnelles tentent de regagner les paiements internationaux que leurs clients confient désormais aux nouveaux entrants : il revient à leurs banques correspondantes de leur donner les services et les prix leur permettant de reprendre le terrain commercial perdu ces dernières années. Mais il n’y a pas de miracle. Seules les banques correspondantes parvenues à abaisser leurs propres coûts de revient sont capables d’offrir à leurs banques clientes les moyens de repousser les assauts des Fintech…
Pour gagner en compétitivité et en efficacité opérationnelle, les banques correspondantes se sont attachées à automatiser leurs processus en mobilisant des technologies comme le machine-learning ou l’intelligence artificielle, en commençant par normaliser leurs données, en organiser le stockage, l’accès et l’utilisation. Mais le déploiement de ces transformations requiert de lourds investissements, rentables à la condition d’augmenter les volumes de paiements gérés.
En parallèle, la mise en place progressive de la norme ISO 20022, destinée à davantage harmoniser et enrichir les messages structurés échangés entre banques et systèmes d’échange, constitue un préalable utile à la meilleure exploitation des données.
Favoriser l’inclusion bancaire, un devoir pour les banques universelles
Cette recherche d’efficacité opérationnelle et de rentabilité - qui peut pousser à se détourner de certaines zones géographiques plus risquées - ne doit pourtant pas se faire au détriment de l’inclusion bancaire.
Ce point a été souligné par Christine Lagarde en juin 2017 à l’occasion de la conférence plénière du GAFI, lorsqu’elle était à la tête du FMI. Celle-ci invitait alors les banques à rester mesurées dans leur exercice de “derisking”, pour ne pas pénaliser les pays émergents en les coupant du reste du monde. Le risque ? Voir se développer des systèmes alternatifs moins régulés, en lieu et place des rouages traditionnels, ce qui n’est souhaitable pour personne.
Les grands acteurs du Correspondent Banking ont naturellement un rôle à jouer sur le sujet. C’est aussi pour ces institutions le moyen d’assumer de façon très concrète leur responsabilité sociétale, qui fait partie intégrante de leurs ambitions ESG.
Accompagner la montée en compétence des acteurs des marchés émergents
Les banques correspondantes peuvent (et doivent) garantir aux pays fragiles et aux populations modestes l’accès aux échanges internationaux, tout en restant dans le cadre fixé par les régulateurs et leur propre appétit aux risques. Elles ont un devoir d’inclusion.
Un des leviers sur lequel mettre l’accent est l’éducation, via des formations, le partage de bonnes pratiques destinés à faire monter en compétence les différents acteurs du marché, en particulier ceux relevant de juridictions réputées exposées. Depuis 2 ans, ces derniers profitent ainsi d’un programme de training articulé autour du « BAFT respondents’ playbook », fruit d’une coopération entre Société Générale et BAFT au profit de l’inclusion financière.
En résumé, les acteurs du Correspondent Banking mènent de nombreux chantiers de front, pour rationaliser et automatiser leurs processus et in fine abaisser leurs coûts de revient. Mais cette recherche de rentabilité a une limite, celle de l’inclusion financière et de l’accès de tous au commerce international.