CBDC : des moyens de paiement complémentaires, pas des réserves de valeur
Les monnaies numériques de banques centrales (MNBC en français, ou CBDC - Central Bank Digital Currencies en anglais) rencontrent un intérêt accru même si elles en sont à leur début et que l’on ne peut présager de leur vitesse de développement. L’intérêt des banques centrales pour le sujet ne s’est pas démenti - pas moins d’une centaine d’entre elles planchent sur le sujet, mais de nombreuses questions restent en suspens.
Depuis 2020 de plus en plus de banques centrales ont démontré leur intérêt pour les monnaies numériques, avec des orientations bien différentes selon les pays. En Chine (avec le e-Yuan en phase pilote à grande échelle), en Uruguay (avec le e-Pesos) ou encore aux Bahamas (qui a lancé officiellement le Sand Dollar), comme au Nigeria (avec le eNaira), ces monnaies sont destinées au “retail” : elles visent à favoriser les échanges du quotidien, tout en donnant aux autorités un contrôle accru sur les transactions.
Néanmoins, une grande partie des travaux d’étude et des expérimentations en cours sont plutôt liés aux usages de ces monnaies digitales dans le cadre d’échanges “wholesale”, c’est-à-dire pour des paiements à haute valeur ajoutée, réservés à des acteurs financiers spécialisés (banques, institutions, assureurs, …).
C’est cette approche qui est pour l’heure dominante en Europe, avec, par exemple, les expérimentations auxquelles participe Société Générale via sa filiale SG Forge. Au printemps 2021, SG Forge a ainsi contribué à l’émission d’obligations numériques sur la blockchain, pour le compte de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Dans le cadre d’un partenariat avec la Banque de France, le règlement des titres effectué par les souscripteurs à la BEI a été représenté par de la CBDC émise sur la blockchain.
Pourquoi les banques centrales s’intéressent-elles aux CBDC ?
Selon les pays et le niveau de maturité de chaque économie, les CBDC représentent ainsi des intérêts bien différents. Si une puissance comme la Chine y trouve une possibilité d’affirmer sa souveraineté, d’imposer une alternative au dollar et de mieux contrôler les transactions sur son sol, les pays faiblement bancarisés espèrent plutôt y trouver un moyen de favoriser l’inclusion financière de leurs populations.
Quant aux banques centrales des économies les plus développées, elles espèrent principalement en tirer des gains d’efficacité et de fiabilité pour les échanges wholesale, tout en démontrant leurs capacités d’innovation dans un contexte de développement de la finance décentralisée.
Il n’existe donc pas un modèle universel de CBDC. Selon la façon dont elles sont pensées et déployées, les CBDC peuvent apporter des réponses aux problématiques propres à chaque zone : développer le commerce transfrontalier, assurer une plus grande traçabilité des échanges domestiques, encourager l’innovation, accélérer les paiements, améliorer la résilience du système financier, etc… Elles constituent également une réponse aux initiatives privées des géants de la tech et réaffirment dans le rôle régalien et d’intérêt général des Etats.
Plus de questions que de réponses, pour l’instant
En Europe, l’intérêt des CBDC pourrait pourtant s’avérer limité : en wholesale, les infrastructures existantes sont déjà performantes et continuent à s’améliorer, tandis qu’en retail, le taux de bancarisation est déjà particulièrement élevé chez les particuliers. Suite à la phase d’investigation sur la création d’un euro digital retail, annoncée en juillet 2021, la BCE annonce un prototype d’euro digital pour 2023 afin d’offrir aux habitants de la zone euro un moyen de paiement gratuit, sûr et universellement accepté, dont les contours restent encore à définir.
L’un des risques est notamment d’aboutir à une hyper-fragmentation du marché, où co-existeraient différents systèmes de paiement et différents types de cryptocoins (CBDC, cryptomonnaies, stable coins…), avec peu voire aucune interopérabilité entre eux, entraînant des coûts supplémentaires sur la chaîne de valeur. Mais il est cohérent pour la BCE de s’intéresser aux principes de la finance décentralisée afin de pouvoir proposer des alternatives “hybrides” qui sauront tirer parti des avancées technologiques tout en capitalisant sur les infrastructures actuelles, ces dernières ayant déjà prouvé leur efficacité et leur résilience.
Il s’agira également de répondre aux questions techniques. Car le choix de l’architecture technologique retenue (sera-t-elle centralisée, partiellement ou totalement décentralisée ?) revêt de forts enjeux en termes de gouvernance, de contrôle et de transparence. Ces choix technologiques auront également des implications cruciales en matière de résilience et de soutenabilité écologique. La réflexion en cours devra aussi prendre en compte le sujet des coûts financiers, de partage de la valeur entre les différents acteurs de la chaîne et le respect des données personnelles. Enfin, le défi culturel n’est pas à sous-estimer et les banques centrales devront fournir un effort de communication auprès du public. La confiance est à ce prix.
Quoi qu’il arrive, les CBDC retail, en Europe comme dans le monde, pourront difficilement représenter une nouvelle forme de réserve de valeur sans mettre à mal les délicats équilibres financiers actuels : il est probable voire souhaitable qu’elles deviennent uniquement des moyens de paiement additionnels. En outre, à quelques exceptions près, ces monnaies trouveront surtout un intérêt dans le cadre des échanges wholesale et transfrontaliers, davantage que pour opérer les transactions du quotidien. La question de l’interopérabilité entre elles devient dès lors fondamentale.