Une révolution nécessaire pour résoudre le paradoxe de la durabilité de l'alimentation
Article publié dans Environmental Finance le 6 novembre 2023. Selon Vincent Nobilet et Frédéric Dubois, l'innovation et l'investissement sont nécessaires pour accroître la production alimentaire tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre de cette industrie.
Juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré. Avec les températures élevées et la sécheresse qui ont dévasté les terres agricoles dans une grande partie de l'Europe du Sud et des États-Unis, une crise de la production alimentaire frappe non seulement des régions d'Afrique, mais aussi des régions du monde considérées jusqu'à présent comme étant toujours fertiles.
Ainsi, le problème de la malnutrition dans une grande partie de l'Afrique et de l'Asie pourrait bien s'aggraver. En même temps, selon le département des affaires économiques et sociales des Nations unies, la population mondiale devrait passer de 8 milliards actuellement à 9,8 milliards d'ici à 2050 et à 11,2 milliards en 2100.
Cela met en évidence le paradoxe au cœur de la production alimentaire. Alors que des pénuries alimentaires se produisent déjà et que la population va augmenter, il est urgent de produire davantage de nourriture. Cependant, la production alimentaire est l'un des plus grands générateurs de gaz à effet de serre, ce qui signifie qu'une augmentation de la production risquerait de contribuer encore plus au réchauffement de la planète, en dégradant davantage les terres agricoles.
Pour résoudre ce problème, il ne faut rien de moins qu'une révolution dans la manière de produire les aliments. Il faudra de l'innovation et d'énormes capitaux pour la développer et la transposer à plus grande échelle.
Une planète en bonne santé pour des personnes en bonne santé
Les décideurs politiques reconnaissent le lien étroit qui existe entre une planète saine et des personnes en bonne santé. L'Union Européenne a placé un système alimentaire durable au cœur de sa stratégie "Green Deal in the farm to fork" (de la ferme à la table). Elle cherche à accélérer la transition vers un système alimentaire durable qui atténue les effets du changement climatique et réduit la perte de biodiversité afin de garantir une alimentation abordable pour tous.
Aux États-Unis, la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act) poursuit des objectifs similaires, en cherchant à subventionner une agriculture intelligente sur le plan climatique(1).
L'empreinte carbone de la production alimentaire illustre la nécessité de promouvoir des solutions pour stimuler la production alimentaire tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES). L'agriculture, y compris l'élevage et la pêche, représente actuellement environ un quart des émissions du total mondial.
Sachant que les aliments présentant des risques plus élevés pour la santé, comme la viande rouge, ont l'empreinte environnementale la plus forte, tandis que les fruits et légumes sont sains et ont l'empreinte la plus faible.
Malgré cela, à peine 11 % des investissements dans les start-ups spécialisées dans les technologies climatiques sont consacrés à l'agroalimentaire(2), 'il existe donc une énorme opportunité d'innovation pour les systèmes alimentaires durables. On estime à 840 milliards de dollars les dépenses d'investissement annuelles nécessaires pour que le secteur [agroalimentaire] parvienne à des émissions nettes zéro d'ici à 2050.
Pourtant, selon le Programme des Nations unies pour l'environnement(3), plus de 500 milliards de dollars de dépenses publiques sont consacrés chaque année à l'agriculture. Une grande partie de ces dépenses pourrait être réaffectée à des pratiques plus durables, ce qui limiterait le financement privé.
Mais les défis environnementaux et sociaux de la production alimentaire ne se limitent pas au changement climatique : l'agriculture est responsable d'environ 80 % de la déforestation totale (elle-même en partie responsable du changement climatique) et a de nombreux autres impacts négatifs.
Parmi les problèmes, citons les prélèvements excessifs d'eau douce, la pollution des sols, des rivières et des mers, la perte de biodiversité et le travail des enfants, pour n'en citer que quelques-uns. Il s'agit d'un secteur complexe concerné par plusieurs des 17 objectifs de développement durable des Nations unies.
Des protéines alternatives à l'agriculture régénératrice
Les protéines animales sont sous les feux de la rampe en tant que catégorie d'aliment le plus dommageable pour l'environnement - le plus mauvais est la viande rouge et la viande blanche n'est pas loin derrière - les protéines alternatives dans la viande et les produits laitiers ont également attiré les capitaux des investisseurs. En 2021, par exemple, plus de 5 milliards de dollars ont été investis dans les protéines d'origine végétale, fermentées et cultivées en laboratoire.
Actuellement, le marché des produits laitiers tels que les boissons et les yaourts à base de plantes est important et en pleine croissance. En revanche, le développement de viandes alternatives a été décevant, en partie à cause des problèmes de reproduction du goût et de texture.
Les protéines à base d'insectes sont un domaine prometteur pour les protéines alternatives, notamment en raison de leurs avantages dans l'économie circulaire, et permet la régénération de la nature
Les protéines à base d'insectes peuvent être utilisées pour nourrir le bétail, les poissons et les animaux domestiques. Les insectes se nourrissent de déchets et leurs propres déchets peuvent ensuite être utilisés comme engrais. Plusieurs usines sont déjà en activité et le marché potentiel est estimé par certains acteurs privés, à 25 milliards d'euros d'ici à 2030.
La gestion des déchets d'emballage, en particulier des plastiques, est un autre domaine dans lequel il est urgent d'apporter des améliorations.
Unilever, par exemple, prévoit de réduire de moitié son utilisation de plastique fabriqué à partir de matières premières d'ici à 2025. Elle est également devenue la première entreprise à garantir une obligation à impact cautionnée par une entreprise, qui aide l'entreprise sociale nigériane WeCyclers à collecter les déchets plastiques. Cette obligation structurée par la Société Générale, pourrait ouvrir la voie à d'autres entreprises pour garantir des obligations à impact sur le développement (DIB).
Il est aussi probable que nous assistions, dans les années à venir, à de nombreuses conversions de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture régénératrice, une pratique révolutionnaire qui vise à la fois à régénérer les sols appauvris et à séquestrer naturellement le carbone de l'atmosphère. Les entreprises technologiques innovantes fleurissent dans ce domaine, notamment celles qui se spécialisent dans la cartographie des sols et le calcul de la séquestration du carbone.
Adopter une approche holistique de la finance
Mais si le paradoxe de la durabilité de l'alimentation n'exige rien de moins qu'une révolution dans la production et la gestion des déchets, le secteur bancaire doit lui aussi s'adapter. Pour Société Générale, cela signifie travailler sur l'ensemble de la chaîne de valeur du secteur et développer des moyens d'accepter le risque de financer des entreprises qui débutent.
La banque contribue à financer le changement du secteur par le biais de son initiative "Shift". Par exemple, les spécialistes du financement du commerce et des matières premières travaillent désormais aux côtés des financiers de projets et des spécialistes de la technologie à risque afin d'adopter une approche holistique de la chaîne de valeur de l'alimentation et des boissons.
Tout comme la production alimentaire a besoin d'une révolution dans ses méthodes, le financement du secteur doit lui aussi s'adapter. Pour fournir les capitaux nécessaires, les banques doivent prendre en compte le risque et réunir leurs experts de l'ensemble du secteur et des domaines connexes.
https://www.usda.gov/ira
PwC State of Climate Tech 2022. Overcoming inertia in climate tech investing. November 03, 2022. https://www.pwc.com/gx/en/services/sustainability/publications/overcoming-inertia-in-climate-tech-investing.html
https://www.unep.org/news-and-stories/press-release/un-report-calls-repurposing-usd-470-billion-agricultural-support