Biodiversité, de l’urgence de la protéger
À l’issue de la dernière COP-15 sur la biodiversité, Eric Schoumsky, Responsable de l’offre de solutions pour le Capital Naturel, Société Générale, répond à nos questions sur ce sujet.
Eric, on parle beaucoup du climat mais pourquoi la préservation de la biodiversité est-elle tout aussi importante et urgente ?
Si les enjeux climatiques font l’objet d’une forte prise de conscience collective, la préservation de la biodiversité n’a pas jusqu’à présent été traitée avec le même degré d’urgence. Soyons clairs : la planète connaît sa sixième extinction de masse, soit un déclin de 70 % des espèces depuis 1970. De plus, 20 % des écosystèmes indispensables à la planète se rapprochent d’un point de non-retour avec de graves conséquences pour l'économie (perturbations de la chaîne d'approvisionnement, forte augmentation du prix des matières premières, risques réglementaires émergents, etc.). La moitié du PIB mondial étant modérément ou fortement lié à la nature, il est essentiel d'agir en investissant dans la protection de la biodiversité par le biais de solutions fondées sur la nature (SFN). En outre, le climat et la biodiversité sont les deux faces d'une même médaille, car les SFN peuvent atténuer 37 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Cent quatre-vingt-dix pays ont explicitement exprimé un sentiment d'urgence le 19 décembre 2022, lors de la COP 15 pour la biodiversité à Montréal. Ils ont approuvé le Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework (GBF), qui fixe des objectifs prévisionnels pour 2050 et 23 objectifs intermédiaires pour 2030. Parmi ces derniers, l'objectif "30x30" vise à préserver au moins 30 % des terres, des eaux intérieures, des zones côtières et des océans de la planète, et à restaurer 30 % des environnements terrestres et marins déjà dégradés. Les pays ont également convenu de mettre fin au subventions publiques préjudiciables à l'environnement accordées aux entreprises (de l’ordre d’au moins 500 milliards de dollars par an), en particulier pour l'agriculture et la pêche. Ils se sont également entendus sur la réduction d'au moins 50 % des risques liés à l'utilisation de pesticides d'ici à 2030. Le GBF est l'accord de Paris de la biodiversité. Il doit encourager les entités publiques et privées à préserver activement et à grande échelle la biodiversité, et à allouer des capitaux pour des solutions innovantes telles que les projets SFN.
Comment les entreprises peuvent-elles protéger la biodiversité et quelles sont les conséquences pour nos clients ?
La COP 15 a été un signal d'alarme pour les entreprises et les institutions financières. L'un des éléments clés du GBF nouvellement approuvé est l’Objectif 15, qui stipule que les entreprises ont une responsabilité accrue dans l’évaluation et la publication de leurs risques, impacts et dépendances liés à la nature. Des données et des rapports précis sont essentiels pour permettre la transition des entreprises vers des modèles économiques à impact positif sur la nature.
En fait, la directive sur les rapports de durabilité des entreprises exige des grandes entreprises cotées en bourse qu’elles publient des rapports sur les questions environnementales, y compris le climat et la biodiversité1. Bien que les normes de déclaration sur la biodiversité en soient encore au stade de la consultation publique, il est important que les entreprises alignent leurs plans de transition vers la biodiversité sur le GBF de la COP 15. Le reporting deviendra obligatoire en janvier 2024.
L’exigence de transparence accrue s'étend également aux marchés financiers. L'article 9 du Règlement Sustainable Finance Disclosure Regulation2 et l'article 29 de la législation française sur le climat et l'énergie3 visent tous deux à assurer une plus grande transparence sur les objectifs de durabilité des produits financiers. Cela implique une compréhension précise de la biodiversité, du climat et des risques sociaux d'un produit financier, et des impacts positifs visés.
Toutefois, le principal défi ne réside pas tant dans le reporting que dans la nécessaire transformation profonde des chaînes de valeur des entreprises. Les entreprises subissent de plus en plus de perturbations dans leurs chaînes de valeur : la compréhension de leurs dépendances à la nature et la transformation de leurs activités permettront de réduire les risques et de les rendre plus résilientes. Les premières à agir auront un avantage décisif.
Par exemple, l'agriculture productive et régénératrice représente un marché d'au moins 1 100 milliards de dollars américains d'ici à 20304. Ce qui pourrait apporter une solution au déclin continu de la productivité agricole de ces 20 dernières années sur environ 20% de la surface végétalisée de la Terre. Pour permettre cette transition, il faut investir dans des améliorations telles que l'irrigation intelligente, les systèmes de recyclage des nutriments et les nouvelles technologies liées à ces solutions. En conclusion, il est nécessaire de combler un déficit de financement de la biodiversité d'environ 700 milliards de dollars par an5, et d'aligner les flux financiers sur le Global Biodiversity Framework.
Si les opportunités sont très prometteuses, les défis sont quant à eux complexes. C'est pourquoi Société Générale participe activement à l’élaboration d’un nombre croissant de cadres et d’orientations, tels que le Science-Based Targets Network (SBTN), afin d'aider les entreprises à évaluer et à mesurer leur empreinte sur la biodiversité en utilisant des méthodologies basées sur les écosystèmes et les dernières données scientifiques disponibles.
Comment Société Générale aide-t-elle ses clients dans leur démarche " impact positif sur la nature " ?
La COP 15 souligne, entre autres, la nécessité de développer des mécanismes financiers innovants (Objectif 19). Société Générale contribue à mobiliser des capitaux privés en faveur de la biodiversité en développant des produits financiers adaptés aux besoins des clients. Ces solutions peuvent favoriser de nouvelles opportunités commerciales et l'innovation au sein de leurs chaînes de valeur. Nous souhaitons les accompagner dans la création de nouveaux modèles économiques évolutifs et rentables, dont les revenus sont liés à l’impact.
Notre équipe Impact-Based Finance a développé une nouvelle offre autour des SFN pour aider les entreprises à mettre en œuvre leurs stratégies net-zéro et leurs trajectoires « nature-positive » ou positives pour la nature. Cette offre leur permet de réduire et supprimer les émissions de carbone résiduelles, tout en transformant leurs chaînes de valeur pour améliorer leur empreinte et leur résilience en matière de biodiversité.
Cette nouvelle offre est composée de trois piliers :
1. Tout d'abord, nous aidons les entreprises à définir une stratégie et à fixer des objectifs mesurables et définis dans le temps, afin d’aligner leurs activités sur une trajectoire nette zéro et positive pour la nature. Nous nous appuyons pour cela sur notre participation au SBTN et un écosystème de partenaires incluant les experts de références au niveau mondial.
2. Deuxièmement, nous accompagnons nos clients dans la sélection, l'origination et la recherche d'investissements dans des projets SFN. Pour ce faire, nous avons construit un écosystème de développeurs pour la structuration, l'amélioration et la mise en œuvre de ces projets. En complément de la coopération mise en place avec les développeurs de projets SBN déjà bien établis, Société Générale a pris récemment une participation minoritaire dans EcoTree, une start up B-Corp active dans la préservation des forêts et écosystèmes en Europe. Nous avons également développé notre propre méthodologie pour nous aider à choisir des projets de grande qualité dont le résultat en matière d’impact est optimal. Ces projets doivent être économiquement et écologiquement viables et contribuer au développement socio-économique des communautés locales. Nous nous assurons donc qu'ils sont conformes aux politiques et réglementations nationales en matière de climat et de biodiversité, et qu’ils correspondent aux meilleures pratiques et aux normes mondiales. Nous veillons également à ce que les indicateurs de performance clés utilisés pour mesurer l'impact soient étayés par la science et les connaissances en local, afin de se concentrer sur ce qui est le plus important pour les communautés locales.
3. Troisièmement, nous mobilisons l'expertise financière de la banque pour répondre aux besoins de nos clients en matière de conseil et/ou de financement de leurs investissements dans des projets SFN. Par exemple, nous pouvons concevoir des mécanismes de financement mixte pour réduire le risque des investissements dans les pays en développement ou conseiller nos clients sur la création de fonds dédiés adaptés à leurs stratégies commerciales et de développement durable.
Pour conclure, nous pensons que les solutions fondées sur la nature constituent la base d'un cycle d'investissement positif et vertueux. Elles permettent aux entreprises de devenir plus résilientes et de contribuer à la transition vers une économie qui reconnaît sa dépendance et son impact sur la nature. Société Générale entend jouer un rôle actif dans cette transformation et contribuer à étendre l’action de la préservation de la biodiversité.
1 European Financial Reporting Advisory Group, Draft European Sustainability Reporting Standard E4 Biodiversity and Ecosystems
2 Mirova, SFDR
3 BL Evolution, Volet Biodiversité de l’article 9 LEC
4 World Economic Forum
5 Bloomberg