Quelles sont les dernières tendances et l’impact de la transition numérique sur les marchés de capitaux ?

01/06/2023

Point de vue de notre expert Eric Cherpion, Responsable mondial de la syndication obligataire.

Quel est le contexte actuel des marchés de la dette ? 

Les marchés de la dette ont traversé une année difficile en 2022 alors que la guerre en Ukraine, l'augmentation de l'inflation et le resserrement monétaire agressif des deux côtés de l'Atlantique ont fait des obligations une classe d'actifs mal aimée. L'ampleur et la rapidité de la hausse des rendements, même pour les actifs sans risque tels que les Bunds allemands (260 points de base sur 2022), étaient sans précédent même en 1994, connue comme l'année du « krach obligataire ».

L'attrait soudain des rendements sur les actifs sûrs en 2022 a entraîné l'éviction de la partie la plus spéculative du marché obligataire, en particulier les obligations spéculatives et les titres des marchés émergents. Si votre objectif de rendement était de 3 %, en 2021, vous deviez acheter des titres de qualité inférieure pour y parvenir. À la fin de 2022, vous pouviez obtenir cela sur des « covered bonds » AAA ou sur de nombreux titres d'État de l'UE.

Nous avons terminé 2022 en pensant que 2023 serait beaucoup plus propice aux obligations. Non pas en raison d'une amélioration des fondamentaux, mais parce que les obligations, et les obligations de crédit en particulier, offraient de la valeur par rapport à d'autres classes pour les gestionnaires d'actifs multiples tels que les fonds de pension ou les assurances. Cette vision à contre-courant nous a permis de bien nous positionner sur les premiers mois de l'année, où Société Générale fut numéro 1 sur les émissions en euros pour les institutions financières avec 11,3% de part de marché à fin février selon Dealogic. Depuis lors, divers problèmes idiosyncratiques autour du Crédit Suisse et des banques régionales américaines ont considérablement modifié la dynamique. Aujourd'hui, je définirais le marché comme étant dans un processus de guérison. Nous estimons que les investisseurs sont désireux de placer leur argent au travail mais restent très disciplinés en termes de prix et de crédit.

Quel est l'impact de la transformation numérique sur les marchés de capitaux ?

Nous avons toujours considéré la transformation digitale des marchés primaires non seulement comme nécessaire, mais comme un processus irréversible. De notre point de vue, cela nous a permis d'être plus efficaces tout en atténuant le risque opérationnel.

C'est pourquoi nous avons accompagné dès l'origine différents fournisseurs de solutions digitales, d'abord centrées sur le marché interbancaire, puis sur des solutions intégrant un élément de distribution en aval aux investisseurs. Cependant, nos efforts pour automatiser le processus primaire ne sont pas seulement menés avec des prestataires externes. Bien au contraire, ils vont de pair avec nos propres solutions numériques développées en interne. Pour nos clients émetteurs, nous avons développé une plateforme appelée MyCapitalMarkets, qui leur permet d'avoir des retours d'investisseurs rencontrés lors de Roadshows pour une éventuelle transaction, ainsi que de collecter des statistiques sur les transactions en cours et passées. Nous nous sommes également appuyés sur la technologie Big Data pour créer une prévision de distribution sur une émission à venir, qui est naturellement extrêmement précieuse pour émetteurs venant pour la première fois sur le marché (ainsi qu’une source d’échanges avec les trésoriers).

Enfin, une vue sur la technologie et les marchés primaires ne serait pas complète sans mentionner notre partenariat avec SG Forge en matière d'émission tokenisée. Cela a déjà donné lieu à des opérations inédites, notamment pour la Banque Européenne d'Investissement.

Beaucoup a été accompli au cours des 20 dernières années, mais il reste encore beaucoup à faire. Faire de l'innovation l'une de nos valeurs fondamentales montre notre engagement envers la numérisation et l'automatisation du marché primaire. Chaque minute gagnée sur une tâche répétitive est une minute supplémentaire disponible pour soutenir les clients. Avec l'avènement de l'Intelligence Artificielle, notre valeur ajoutée résidera plus que jamais dans notre capacité à interpréter le marché et à conseiller au mieux nos clients.

Les marchés de capitaux peuvent-ils accompagner la transition énergétique ? 

De par leur nature même, les marchés de capitaux favorisant les flux de capitaux entre les émetteurs et les investisseurs, sont essentiels à la transition énergétique. Selon l'OCDE, des investissements supplémentaires estimés à 1-1,5 % du PIB sont nécessaires chaque année pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Il est donc primordial de faire appel à toutes les sources de financement disponibles, et les marchés de capitaux ont un rôle central à jouer. 

Pour répondre à cet objectif, nous avons vu des innovations sur les marchés répondant à des besoins différents. Par exemple, nous avons des obligations vertes, qui canalisent les capitaux vers des projets ou des investissements verts (les fonds récoltés sont limités à des fins « vertes »), ou des obligations liées à la durabilité où le coupon ou le principal sont liés aux jalons de décarbonation d'un émetteur. Il existe, à juste titre, des critères stricts en place, et avec une surveillance croissante, pour garantir que les produits identifiés comme ayant un objectif ESG le soient effectivement en pratique. 

Au-delà des produits, nous avons vu les investisseurs se concentrer de plus en plus sur la stratégie de transition des emprunteurs. Les investisseurs sont prêts à soutenir les industries intensives en carbone, à condition que le secteur - et plus particulièrement l'émetteur - ait une stratégie de décarbonation claire et crédible. Le rôle du syndicat est de comprendre l'impact de ces considérations ESG sur les contraintes des investisseurs pour les années à venir dans un environnement réglementaire en mutation. Prenons par exemple de l'énergie nucléaire. Pendant des années, elle a été considérée comme une zone interdite pour la plupart des investisseurs verts. Pourtant, la reconnaissance dans la taxonomie européenne de l'énergie nucléaire comme une activité de transition peut adoucir l'attitude des investisseurs envers le secteur. Le temps nous dira si c’est le cas.

 

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