Le grand saut des puces aux Etats-Unis

Les semi-conducteurs font la une quasi quotidienne des medias. Leur importance est en effet capitale pour l’économie d’aujourd’hui et les préoccupations géopolitiques questionnent la garantie de leur approvisionnement futur.

Nous avons demandé à Jonathan Weinberger, banquier conseil spécialisé dans le secteur des technologies, un secteur dont l’intérêt croissant pour Société Générale Amériques, de mettre ce sujet en perspective. Il nous donne un aperçu de l’évolution du secteur des semi-conducteurs, de son importance et du rôle des banques comme Société Générale dans le développement de cette technologie.

Jonathan, pourquoi entendons-nous autant parler des semi-conducteurs de nos jours, alors que cette technologie existe depuis les années 1940 ? 

L’importance des semi-conducteurs est immuable, mais ces derniers ne font pas toujours l’actualité. L’attention actuelle portée aux semi-conducteurs s’explique par trois évolutions importantes. Premièrement, la demande de semi-conducteurs est en forte croissance. Dans le secteur automobile, le développement des véhicules électriques a fait croître la demande. Ces véhicules utilisent en effet environ deux fois plus de puces que ceux équipés de moteurs à combustion interne. Dans les produits de consommation, l’idée d’un Internet des objets s’est imposée. Aujourd’hui, les sonnettes de porte sont intelligentes, les ampoules sont télécommandées et les montres surveillent le rythme cardiaque. Les jeux vidéo et la technologie blockchain sont des moteurs de la demande. Et l’intelligence artificielle a vu ses capacités évoluer de façon spectaculaire. Les besoins informatiques associée aux grands modèles de langage sont en plein essor.

Deuxièmement, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement liées à la pandémie ont été particulièrement graves dans le secteur des semi-conducteurs, car il s’agit de l’une des chaînes d’approvisionnement les plus mondialisées. Les intrants des semi-conducteurs finis proviennent du monde entier : les États-Unis représentent 39 % de la valeur des produits finis, la Corée du Sud 16 %, le Japon 14 %, Taïwan 12 %, l’Europe 11 % et la Chine 6 %. 

Troisièmement, ils sont devenus un sujet politique. En raison de la demande importante et croissante de semi-conducteurs partout dans le monde, des produits de consommation au secteur de la défense en passant par l’avant-garde de l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs constituent un intrant économique de grande valeur et d’une importance systématique. La fabrication de semi-conducteurs la plus avancée se situe à Taïwan, et les gouvernements américains et européens prennent des mesures en vue de créer une production locale aussi avancée. Par exemple, le CHIPS Act, promulgué en août 2022, prévoit 53 milliards de dollars pour la R&D sur les semi-conducteurs. Il ne faut pas oublier qu’en 1990, plus de 75 % de la capacité mondiale de fabrication de semi-conducteurs se trouvait aux États-Unis et en Europe, mais qu’en 2020, cette part était inférieure à 20 %.

Avec prédominance des semi-conducteurs dans l’actualité, nous commençons à peine à prendre conscience de la gamme de produits qui dépendent d’eux pour fonctionner. Existe-t-il des secteurs émergents où l’approvisionnement en puces les plus sophistiquées est une question de survie ?

C’est exact. Les semi-conducteurs sont vraiment partout. Le terme « semi-conducteur » fait référence à certaines propriétés physiques du matériau utilisé dans le processus de fabrication. Mais si l’on pense aux applications - ce que le circuit intégré imprimé sur le matériau semi-conducteur est censé faire - il existe un grand nombre d’utilisations. Il existe des semi-conducteurs qui stockent des données (par exemple, le stockage de photos dans l’appareil photo d’un drone), qui transforment des signaux analogiques en signaux numériques (par exemple, pour transformer la voix en données numériques dans un téléphone portable), qui transmettent des radiofréquences (par exemple, pour se connecter au Bluetooth), et d’autres qui ont des capacités extrêmement flexibles. C’est cette dernière catégorie, les microprocesseurs, qui retient le plus l’attention - nos ordinateurs sont équipés d’un processeur M1 ou i9. Les microprocesseurs sont généralement les puces les plus chères, mais elles ne sont pas les plus répandues.

La demande de puces les plus avancées provient de plusieurs sources. L’industrie biotechnologique utilise la puissance de calcul pour développer des médicaments. Les data centers sont une source croissante de demande, compte tenu de l’augmentation rapide de la quantité de données numériques générées, ce qui nécessite du stockage, et de l’amélioration rapide des outils analytiques visant à comprendre ces données, requérant aussi de la puissance de calcul. De nouvelles sources de demande sont apparues : les véhicules électriques et la gestion des réseaux électriques. À mesure que de fantastiques outils d’intelligence artificielle, tels que GPT et Bard, seront largement adoptés et que de nouvelles utilisations sont trouvées, l’intelligence artificielle sera un facteur dominant de la demande de puces avancées.

Lorsque les semi-conducteurs font l’actualité, c’est souvent en relation avec les processus les plus avancés, les évolutions techniques les plus récentes, mais il existe des puces absolument essentielles qui reposent sur des systèmes de fabrication optimisés et établis de longue date. Celles-ci font partie intégrante de la plupart des procédés de fabrication et de tout appareil doté d’une prise ou d’une batterie, ce qui signifie qu’elles sont partout autour de nous.

Venons-en maintenant à un autre sujet qui semble avoir un impact sur presque tous les secteurs d’activité : le changement climatique. Les considérations climatiques et, plus largement, les considérations ESG entrent-elles en ligne de compte lorsque l’on pense au secteur des semi-conducteurs ? 

Cette question soulève au moins deux idées importantes. Premièrement, les considérations environnementales sont pertinentes dans le cadre du processus de fabrication des semi-conducteurs, comme pour toute activité manufacturière. La fabrication de semi-conducteurs nécessite une eau incroyablement propre, ce qui explique que les fabricants se concentrent sur l’efficacité de l’eau - son utilisation, son évacuation, sa consommation et sa conservation. L’approvisionnement en énergie renouvelable pour faire fonctionner les fonderies est une priorité et, d’une manière générale, le secteur utilise les méthodologies SBTi pour s’engager dans une démarche de fabrication sans émission de carbone.

Deuxièmement, les semi-conducteurs - et les technologies de l’information plus généralement - sont un outil essentiel pour lutter contre le changement climatique. La modélisation du climat, comme toutes les modélisations météorologiques, est une activité à forte intensité de calcul. Les véhicules électriques et les réseaux électriques intelligents dépendent d’une puissance de calcul beaucoup plus importante que les voitures et les systèmes électriques antérieurs, et c’est cette puissance de calcul qui leur permet d’être plus efficaces sur le plan énergétique. Alors que de plus en plus d’activités prennent au sérieux la nécessité d’optimiser l’utilisation de l’énergie, davantage d’ordinateurs seront utilisés pour réaliser cette optimisation.

Pour conclure, notre conversation intervient à un moment particulier puisque Gordon Moore, cofondateur d’Intel, qui a donné son nom à la Loi de Moore et a été l’un des pionniers de l’industrie des semi-conducteurs, nous a quittés en mars. Il a joué un rôle très important pour cette technologie et pour ce secteur. 

Enfin, en tant que banquier, pouvez-vous nous donner quelques exemples de la manière dont Société Générale peut mettre à profit son expertise pour soutenir ce secteur complexe ?

Il y a environ deux ans, Société Générale a décidé de se concentrer davantage sur les semi-conducteurs. C’est un secteur clé de l’économie et une extension naturelle de nos efforts de longue date dans le domaine de la banque technologique. Depuis lors, nous avons accompagné nos clients dans le cadre de différentes transactions couvrant l’ensemble de la gamme des solutions bancaires. Parmi les exemples notables  : le financement d’une acquisition dans le cadre d’une très importante fusion, qui a fait appel à nos capacités de conseil en financement d’entreprise et à notre expertise du marché de la dette. On peut également citer le financement structuré d’une nouvelle fonderie de semi-conducteurs, qui a bénéficié d’une approche novatrice de l’utilisation de capitaux de tiers pour démarrer un investissement en capital important et qui s’appuie sur nos relations avec les gestionnaires d’actifs. Globalement, nos capacités de conseil et de financement nous permettent de nous positionner pour accompagner le secteur des semi-conducteurs dans la poursuite de son développement.

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