Financer l'avenir : tendances dans le domaine des télécoms

10/09/2020

Jonathan Tweed, responsable de TMT Finance, Londres, et Arnaud Burger, co-responsable de l’Industry Group TMT

La dépendance sociale et économique à l'égard des réseaux de télécommunications est désormais si développée que le secteur s'est transformé en service public, les utilisateurs comptant sur leur haut débit autant que sur le gaz, l'électricité et l'eau. Mais si le Covid-19 a permis d'affirmer cette nouvelle réalité, les réseaux existants ne sont ni adaptés à l’usage, ni à l’épreuve du temps, notamment face à l'explosion massive de la demande de données et à la nécessité de garantir la couverture Internet.

Le financement de la fibre optique s’avère relativement complexe, bien qu'il ne soit pas aussi risqué que lorsque le secteur en était à ses débuts, notamment de par la nature des participants et le changement dans la dynamique des rôles des acteurs et de leur capacité financière.

Société Générale est une banque leader dans le financement de la fibre, ayant financé et conseillé un total de 29 transactions pour plus de 19 milliards d'euros.
Nous avons réalisé 16 projets en France, où l’approche du financement de la fibre a été très coordonné, plaçant le pays en tête du peloton en Europe. Les marchés britannique et allemand doivent rattraper leur retard : le Royaume-Uni est le pays qui utilise l'une des plus faibles pénétrations de la fibre, et la situation est similaire en Allemagne. Ces derniers mois, nous avons conclu quatre accords sur la fibre optique, deux en Allemagne et deux au Royaume-Uni.

Boom ou effondrement

Nous utilisons tous de plus en plus les télécoms, ce qui donne l'impression qu'il s'agit d'un secteur en plein essor, bien que ce soit loin de la vérité, les entreprises européennes de télécommunications affichant de mauvaises performances de leur cours en bourse.

Le principal problème réside dans le fait que la fourniture de services télécoms est une marchandise. Lorsque vous achetez de la bande passante, il y a suffisamment de concurrence pour créer une pression à la baisse sur les prix, ce qui ronge les profits. En outre, le coût de la fourniture augmente en raison des contraintes réglementaires. L'ensemble du secteur réduit ses coûts, les opérateurs de télécommunications étant au point mort.

Alors que certains acteurs s'en sortent mieux que d'autres, le secteur est globalement stable, les dépenses d'investissement augmentant à mesure que l'utilisation accrue des données crée une demande de capacité et de vitesse exponentielle, qui culminera avec les besoins d'investissement pour le déploiement de la fibre optique et de la 5G.

Avantage mutuel

Les solutions possibles s'articulent autour du partage des infrastructures, de la modification des modèles économiques et de la recherche de la croissance. Les infrastructures ont un rôle majeur dans cette équation, et c'est là que nous, en tant que banque, pouvons avoir le plus d'impact.

Jusqu'à récemment, le régulateur de la concurrence de l'Union européenne a largement bloqué la consolidation nationale. En conséquence, les opérateurs ont cherché à partager l'accès au réseau pour réduire les coûts ou à faire converger les produits fixes et mobiles pour produire des synergies et réduire le taux de désaffection des clients. Le fait est que les opérateurs de télécommunications ont tendance à négocier à une valeur d'entreprise d'environ six fois l'Ebitda (bénéfices avant intérêts, impôts et amortissements), alors que les acteurs des infrastructures de télécommunications, tels que les sociétés de tours de téléphonie mobile, sont évalués à 15 à 20 fois l'Ebitda. Dans cinq ou dix ans, nous pensons que cette infrastructure mutualisée sera détenue par des investisseurs dont le coût des capitaux propres et les exigences de rendement sont faibles, comme les fonds de pension, car il s'agit d'une infrastructure sûre et fondamentale.

Parallèlement à cette évolution, les fonds d'infrastructure ont suscité de l'intérêt et de l'implication dans cette industrie. Alors que les opérateurs de télécommunications n'ont généralement pas les moyens financiers de payer pour la 5G et la fibre optique, les fonds d'infrastructure (y compris les fonds souverains et les fonds de pension) ont non seulement des liquidités mais sont habitués à investir dans les infrastructures de base - telles que les ports, les autoroutes, les aéroports - ce qui correspond à leur besoin d'investissements sûrs. Les infrastructures de télécommunications offrent un rendement plus élevé, principalement en raison de leur acceptation en tant qu'infrastructures de base. 

Il y a dix ans, les télécoms n'étaient pas considérées comme une infrastructure suffisante, principalement en raison du risque lié à la demande, qui a diminué à mesure que leur valeur en tant qu'infrastructure de base augmentait. Le Covid-19 a servi à confirmer le statut de nécessité.

Le rôle de la banque

Société Générale a ouvert la voie en fournissant des financements structurés pour aider les entreprises de télécommunications et les fournisseurs de réseaux alternatifs à financer les investissements substantiels nécessaires et à combler le vide laissé par les bilans tendus des entreprises.

Ce changement majeur dans la structure d'investissement des entreprises de télécommunications s'inscrit dans le prolongement des tendances précédentes, à savoir la convergence et la consolidation du marché, qui promettaient une réduction du taux d'attrition des clients grâce à la vente croisée de produits multiples.

La course à la croissance s'est également exprimée en plaçant le contenu au premier plan, bien que le succès de cette stratégie reste à prouver. La nature marchande des télécommunications a rendu difficile la différenciation des opérateurs, ce qui les a contraints à faire un choix : soit distribuer largement et amortir les coûts sur une large base mais perdre l’avantage concurrentiel ; soit devenir exclusif pour les abonnés en propre, créant ainsi une différenciation mais réduisant la base sur laquelle les coûts sont amortis.
Certaines entreprises ont décidé d’une autre approche, à savoir investir dans des activités autres que les télécommunications, comme Orange, par exemple, qui a développé Orange Money et est devenue une banque. Ce n'est pas chose aisée car les capacités sont différentes et ces entreprises doivent passer par des fusions et acquisitions, qui sont coûteuses et difficiles à réaliser.

L'avantage de créer une franchise spécialisée dans le conseil ainsi que dans l'octroi de crédits à une échelle qui assure un rôle de premier plan dans ces financements est d’acquérir une compréhension approfondie de la dynamique du secteur et une relation étroite avec la plupart des acteurs.